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Les prochaines échéances agricoles du Parlement européen

Les résultats des élections européennes sont ce qu’ils sont, issus d’un vote démocratique. Sans parti pris, cet article cherche à voir plus loin, sous l’unique angle agricole, comment les agriculteurs français seront défendus à Bruxelles dans les années qui viennent, compte-tenu du calendrier et des échéances.

(à lire en fin d’article, l’interview d’Angélique Delahaye, agricultrice, maraichère, qui entre au Parlement européen)

Si la Pac 2014-2020 a déjà été adoptée, il serait faux de penser que l’Europe n’a plus de rôle à jouer sur notre agriculture nationale, y compris très rapidement. De fait, la représentativité parlementaire qui vient d’être élue a son importance.

Les parlementaires européens à sensibilité agricole

J’ai regardé un à un les profils des 74 parlementaires européens élus par les Français. 6 ont une sensibilité agricole affichée (et peuvent donc être saisis pour défendre des dossiers). Il s’agit de José Bové (Verts), Eric Andrieu (PS), Patrick le Hyaric (PC – Front de gauche), Michel Dantin (Ump), Angélique Delahaye (Ump) et Anne Sander (Ump), les deux dernières découvrant leur fonction. Je n’occulte pas ici le FN, j’ai vérifié un à un ses élus, y compris en ajoutant le mot « agriculture » derrière leurs noms dans un moteur de recherche : a priori, aucun n’a cette sensibilité agricole, affichée en tout cas.

Rappelons tout de même que l’agriculture est la première des politiques européennes, la seul qui soit commune, et nous avons donc fait le choix, d’abord dans les appareils politiques au niveau des têtes de liste puis à celui des citoyens dans les urnes, de n’avoir que 6 députés européens sur 74 a priori capables de comprendre de quoi on parle sur le sujet. 6 sur 74, ou 8,1 % si vous aimez les statistiques.

Les échéances

L’échéance la plus importante est ce que l’on appelle le mid term review. Comprenez, la révision à mi-parcours. Il s’agit de la Pac bien sûr, et la mi-parcours en question interviendra en 2017. Donc, elle se prépare avant, pratiquement dès à présent. Cette révision est souvent considérée comme une formalité, en partant du principe que la Pac a été adoptée jusqu’en 2020. Mais c’est un tort. On a déjà eu, par le passé, des exemples de révisions à mi-parcours ayant des incidences réelles jusque sur la conduite des exploitations agricoles. Par exemple, quand l’Autrichien Franz Fischler était commissaire européen à l’agriculture (de 1995 à 2004), les principaux syndicats français étaient dans la rue craignant les « gages de bonne volonté » donnés alors par la Commission européenne à l’OMC sans contrepartie dans le domaine agricole… C’est de cette époque notamment que date la crise de la filière volailles française, puisque les importations, sans contrôle de la qualité ni du niveau de vie des salariés agricoles du pays d’origine, devinrent massives.

Or, le prochain mid term review va se télescoper avec la définition des accords transatlantiques entre l’Europe et les Etats-Unis. Il existera donc une « opportunité » (en termes de possibilité de réformes, pas sûr qu’il en s’agisse d’une pour nos agriculteurs…) de changer ce qui peut l’être dans notre législation européenne pour coller aux termes de l’accord.

Techniquement et en principe, le mid term review est sensé faire un premier bilan de la mesure de la « zone d’intérêt écologique » ou évoquer le financement du fonds de réserve pour les paiements découplés. Des sujets importants, déjà, en soi, susceptibles de faire évoluer certaines conduites culturales. Si on y ajoute l’incorporation de termes de contrats multinationaux, l’échéance devient franchement cruciale.

Chaise vide ou sous-nombre, deux défauts majeurs

Par conséquent, pour éviter de très mauvaises surprises, mieux vaut donner de la voix. Or, sans procès d’intention sur l’activité à venir, jusqu’à présent les députés européens issus du FN ont brillé par leur absence dans les débats. Donc, il existe un risque réel d’une sous représentation nationale lors des questions agricoles d’échelon européen. Par ailleurs, pour ceux qui suivent les débats agricoles, un seul est issu du parti au pouvoir en France, et encore, Eric Andrieu est davantage connu comme un spécialiste de la ruralité dans son ensemble que de l’agriculture en particulier. Les trois députés européens Ump cités plus haut auront un unique avantage, appartenir au PPE, parti majoritaire en Europe… Mais en étant minoritaires chez eux en France, donc peu (en tout cas insuffisamment) représentatifs.

De fait, il existe une réelle possibilité pour que les dossiers agricoles de niveau européen soient tranchés par des élus d’autres pays que la France. On arrive à ce paradoxe que le vote contestataire en France, contre les partis au pouvoirs mais aussi contre l’Europe, pourrait en définitive accentuer le phénomène de décisions européennes qui vont s’éloigner des intérêts français.

Un exemple, la viande bovine

Prenons un exemple concret. Celui de la viande bovine. Interbev, l’interprofession bétail et viande en France, a très récemment alerté l’opinion dans une conférence de presse sur les dangers pressentis pour ce secteur en France si les accords de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis, mais aussi entre l’Europe et les pays du Mercosur (de l’Amérique du Sud) devaient aboutir selon des contingents qui pourraient porter sur 300 à 600 000 tonnes de viandes bovines américaines débarquant sur notre continent. Qui plus est, avec des animaux élevés autrement qu’en France, « en contradiction avec notre modèle« , indiquait même Interbev.

Pour éviter que le secteur français viandes bovines ne s’effondre suite à des accords désastreux pour elle, les rares députés français concernés devront trouver des alliés dans les autres pays, ce qui compliquera singulièrement leur tâche. Leur seule parole ne portera que faiblement dans l’Hémicycle. Et encore, là j’ai choisi l’exemple extrême, que tout le monde connaît désormais, et qui devrait donc être suivi de près (espérons-le du moins). Mais il y aura aussi quantité de « détails » à relever, et là certains d’entre eux pourraient passer inaperçus…

En résumé, au terme d’un vote qui a contesté une Europe ne reconnaissant pas les siens, on pourrait voir le phénomène s’accentuer avec des prises de décisions qui échappent à nos représentants. Avec comme implication directe des sanctions immédiates pour notre agriculture…

Seule une implication particulièrement opiniâtre des élus français à tendance agricole peut éviter les catastrophes. Justement, ci-dessous, je propose de découvrir les premiers mots d’Angélique Delahaye au titre de députée européen, où elle affiche ses convictions.

Angélique Delahaye : « Je me donne deux missions, sur l’agriculture et l’aide alimentaire »

Angélique Delahaye gère une exploitation légumière depuis 1989. Elle a exercé des responsabilités professionnelles pour la filière légumière au sein de la FNSEA (présidente de la Fédérération nationale des producteurs de légumes de 2001 à 2012 notamment). Elle est aujourd’hui présidente de Solaal (SOLidarité des producteurs Agricoles et des filières ALimentaires), association créée par différentes associations agricoles pour faciliter l’aide alimentaire. Voici son interview :

Quelles missions vous donnez-vous pour votre mandat européen ? Resterez-vous proche de l’agriculture ? Pensez-vous prendre d’autres dossiers ?

A.D. : Je me donne deux missions, sur l’agriculture et l’aide alimentaire. Je suis agricultrice, je le revendique, je vais donc défendre ma profession. Par ailleurs, je suis également impliquée dans l’aide alimentaire. L’idée était de Jean-Michel Lemétayer, c’est d’ailleurs lui qui fut le premier président de Solaal : avec la fin programmée des quotas laitiers, il n’y aurait plus d’excédents, donc plus de matière pour l’aide alimentaire. Or les allocations pour l’aide alimentaire émanent de la politique européenne. En son temps, en 2010, Bruno Le Maire avait obtenu un sursis de deux ans, jusqu’en 2012, puis le groupe PPE a voté ensuite une prolongation. Mais pour maintenir cette aide alimentaire, le combat reste à mener. Pour ma part, dans ce domaine, je suis particulièrement sensible à la lutte contre le gaspillage, j’ai déjà mené des campagnes dans ce sens.

Sur le dossier agricole, comment comptez-vous vous y prendre ?

A.D. : J’ai beaucoup à apprendre sur l’élevage et sur les céréales. Et justement, je n’ai pas d’a priori. Je ne peux pas être taxée de vouloir favoriser l’un ou l’autre. Je vais m’attacher à rencontrer les responsables français pour bien comprendre quels projets l’agriculture française peut défendre à l’intérieur d’une politique européenne. Aujourd’hui, je n’ai pas de lisibilité là-dessus. Je peux vous dire aussi que, à titre personnel, mon exploitation est raisonnée. Je défends une agriculture respectueuse de l’environnement, compétitive et économiquement viable, et capable de créer des emplois.« 

 

En savoir plus : https://www.contexte.com/article/elections-europeennes-2014/les-74-nouveaux-deputes-europeens-francais.html (les 74 députés européens français, avec une petite présentation en cliquant sur chacun).

Photo ci-dessous : Angélique Delahaye (copie d’écran de sa vidéo de campagne électorale).

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