Les néo-paysans font beaucoup parler d’eux dans la presse et dans les médias ces dernières années. Qui sont-ils ? Est-ce un phénomène croissant ? Quel peut être leur impact sur l’agriculture française ?
Une enquête d’opinion publiée au mois de juin par l’institut Odoxa indique que 82 % des personnes interrogées en France seraient prêtes à changer de métier : 50 % l’ont même déjà fait, alors que pour 32 %, l’occasion ne s’est pas encore présentée. Un tel changement est néanmoins jugé difficile aux yeux de 67 % des Français sondés. L’idée de changer de vie est, en effet, une thématique à la mode que l’on retrouve souvent en couverture de magazines grand public ou de livres dans les rayons des librairies. Parmi les changements de vie les plus fréquemment mis en avant, il y a les projets de s’installer à la campagne et même de travailler la terre. Cela fait référence à ce que l’on appelle de plus en plus communément les « néo-ruraux » et les « néo-paysans ». Ce sont ces derniers qui nous intéressent ici.
A l’évidence, les « néo-paysans » sont un sujet qui intéresse beaucoup les médias. De très nombreux articles ont été écrits sur eux dans la presse spécialisée orientée vers l’exploration des alternatives, des nouveaux modes de vie et de consommation ou vers l’écologie (We Demain, Socialter, Kaizen, etc.), mais aussi dans la presse plus généraliste. Ainsi, en septembre 2016, l’hebdomadaire Paris Match consacrait, par exemple, un dossier aux « nouveaux paysans » en le présentant de la manière suivante : « Ils sont jeunes, ils ont quitté la ville pour vivre leur passion : une agriculture respectueuse de la nature. Et leurs produits sont exceptionnels ! ». La photographie ouvrant le dossier montrait d’ailleurs deux jeunes « néo-paysans » qui ont réintroduit la traction animale, tandis qu’une jeune femme en arrière-plan manie une faux.
Il en est de même pour les reportages télévisés. Les médias adorent semble-t-il traiter les sujets du type « ils ont tout quitté pour… » car cela leur permet de raconter de belles histoires, celle d’une reconversion et celle d’une « conversion », à l’agriculture et souvent au bio. Ils raffolent tout autant de sujets sur les décroissants qui vivent dans des yourtes et utilisent des toilettes sèches…
Mais de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on fait référence aux « néo-paysans » ? Le terme même de « néo-paysan » a été introduit par Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, les auteurs d’un ouvrage paru en 2016 intitulé justement Les Néo-paysans (Seuil). Si l’on suit la définition des Assises néopaysannes, les néo-paysans sont « des personnes qui, après une première vie dans un tout autre domaine, décident de changer de voie pour devenir agriculteurs ». Cette définition apparaît néanmoins un peu trop restrictive car elle ne prend pas en compte, par exemple, la situation de jeunes qui s’installent sans avoir de parents agriculteurs. Dans ce contexte, on peut donc considérer comme « néo-paysans » des personnes qui ne comptent pas d’agriculteurs dans leur famille et qui décident après une première vie professionnelle ou bien après leurs études de devenir agriculteurs ou, en l’occurrence, paysans.
On peut remarquer, en effet, que ceux-ci se définissent d’abord comme « néo-paysans », et non comme « néo-agriculteurs ». D’après le journaliste Gaspard d’Allens, cela s’explique par le fait que « les néo-paysans s’installent à rebours de l’agriculture industrielle. L’agriculteur contemporain a perdu son autonomie. Il est devenu « un fournisseur de matière première à l’export », il extrait du « minerai », il est le simple maillon dans une chaîne qu’il ne maîtrise pas ». Or, pour lui, « à l’inverse, les néo-paysans se réapproprient et réinventent la figure du paysan. Ils n’exploitent pas la terre mais la valorisent ».
Si l’on s’en tient au jargon purement administratif, les néo-paysans entrent dans une catégorie que l’on appelle les « installations hors cadre familial ». Cela correspond aux personnes qui reprennent l’exploitation d’un agriculteur qui n’a aucun lien de parenté avec elles. Une étude sur « Le devenir des agriculteurs installés hors du cadre familial » publiée en 2004 par le Service des études et de la communication du Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (Cnasea, placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture) donnait à ce propos la définition suivante qui semble servir de référence en la matière : « Toute installation ne se réalisant pas dans le cadre familial (CF) au-delà du troisième degré de parenté avec le cédant ».
On doit malgré tout noter que celles et ceux qui relèvent des installations hors cadre familial sont loin d’être tous des néo-paysans. On peut imaginer, par exemple, la situation d’un fils d’agriculteur qui s’installe en achetant une ferme voisine de celle de ses parents dont le propriétaire n’a pas de lien de parenté avec lui. La même étude du Cnasea distinguait ainsi deux groupes dans la catégorie des « installations hors cadre familial » : (1) les « locaux », plutôt ruraux et originaires de la région, qui représentaient la grande majorité des « hors cadre familial », et (2) les « migrants », connaissant mal le milieu agricole et venant d’une autre région, voire de l’étranger. Un tiers des « migrants » étaient d’ailleurs d’origine urbaine et seulement la moitié d’entre eux avaient un agriculteur dans leur famille. C’est donc dans cette dernière catégorie que l’on retrouve les néo-paysans. Par contraste, les installations dans le cadre familial, largement les plus nombreuses, font référence à la transmission d’une exploitation des parents à un enfant ou bien l’association d’un agriculteur avec un membre de sa famille.
Ce phénomène est loin d’être nouveau. On se souvient bien entendu des hippies et autres babas cools post-soixante huitards qui prônaient un retour à la terre, notamment en Ardèche. Il semble néanmoins qu’il y ait une nouvelle vague depuis quelques années et que celle-ci s’enracine ainsi que l’affirmait Gaspard d’Allens dans un entretien accordé à la revue écologiste Limite : « Dans les années 70, il s’agissait d’une contre-culture communautaire. Il y a eu une vague, un cri libertaire, qui est resté somme toute assez éphémère. Aujourd’hui, le phénomène s’enracine »
Il est cependant difficile de quantifier précisément ce phénomène d’autant que l’on tend très souvent à confondre les installations hors cadre familial avec les néo-paysans au sens strict. Ainsi, si l’on se réfère aux installations aidées, les « hors cadre familial » en représenteraient une part significative ces dernières années, de l’ordre de 30 % (voir le graphique ci-dessous). François Lefebvre en charge des études à la Cnasea indique que « désormais, les installations hors du cadre familial (HCF) constituent une réalité forte de la donne agricole ». Il estimait qu’au début des années 2000, ces HCF représentaient environ 10 % de l’ensemble des chefs d’exploitation avec 50 000 exploitations. D’après lui, ce chiffre pourrait s’élever à 30 % à l’horizon 2020 avec 100 000 exploitations.
Graphique : évolution de la part des « hors cadre familial »
dans les installations aidées, en pourcentages Source : ministère de l’Agriculture (2016).
Faut-il en conclure pour autant comme l’a fait allègrement le journaliste Gaspard d’Allens dans un entretien accordé à BFM Business, que les néo-paysans représenteraient « un mouvement de fond, un mouvement de masse, qui va révolutionner de façon silencieuse l’agriculture » ? Sans doute pas car il existe une assimilation trop hâtive entre les HCF et les néo-paysans.
En 2012, deux mouvements syndicaux de jeunes agriculteurs, les Jeunes agriculteurs (JA) et le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), ont commandé une enquête pour mieux connaître ces hors cadre familail (HCF) : « Ce public étant méconnu, Jeunes Agriculteurs et le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne, ont choisi de réaliser ce projet afin de mieux connaitre les HCF, leurs besoins, leurs attentes ». Les résultats de cette étude intitulée « Création d’activité par les entrepreneurs hors cadre familial : besoins spécifiques, leviers d’action et complémentarité des dispositifs d’accompagnement » ont été divulgués l’année suivante. Ils tendent à montrer que ces reconvertis ne sont tout de même pas totalement étrangers au monde agricole pour nombre d’entre eux. 230 HCF avaient alors répondu à cette enquête. 70 % d’entre eux ont eu une expérience professionnelle d’au moins cinq ans dans un autre secteur avant de s’installer, mais 43 % étaient tout de même salariés agricoles. De même que 48 % d’entre eux avaient un membre de leur famille qui était agriculteur. Cela signifie que les « néo-paysans » purs, qui n’avaient au préalable aucun lien avec l’agriculture par leur formation, leur profil professionnel ou leur milieu familial, ou même avec le monde rural sont sans doute moins nombreux que ce que l’on pense. Le rapport en conclut d’ailleurs que « comparé aux installés issus du milieu agricole, les HCF n’ont pas un profil très différent. Ces derniers s’orientent vers des productions classiques telles que les grandes cultures ou encore l’élevage bovin. Les productions atypiques, contrairement aux idées reçues, attirent moins de 5 % des porteurs de projets ». Il existe néanmoins une différence importante entre ces deux catégories, c’est le rapport à l’agriculture biologique, plus de 30 % des HCF s’installant en bio.
Une étude du Centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’Agriculture indiquait, de son côté, en 2011 que les HCF provenaient principalement du monde rural : « Les installation hors du cadre familial (HCF) progressent régulièrement. Elles concernent des personnes extérieures au monde agricole ou des enfants d’agriculteurs s’installant en dehors de la ferme familiale. Elles représentent près d’un tiers des installations aidées en 2003 contre 15 % dix ans auparavant. Avec elles, le lien au monde agricole se relâche puisque moins de la moitié de ces personnes sont des enfants d’agriculteurs. Ils sont certes essentiellement d’origine rurale : 10 % seulement étaient des citadins avant de s’installer. »
Il est néanmoins évident que, comme l’indique une étude récente du ministère de l’Agriculture, « dans le passé, les personnes exerçant une activité agricole étaient majoritairement des enfants d’agriculteurs. Ces dernières décennies, les profils se sont diversifiés ».
D’autres évolutions témoignent de l’ampleur semble-t-il croissante de ce phénomène. C’est en particulier le cas de l’édition. Plusieurs ouvrages ont été consacrés aux néo-paysans ou y ont fait longuement référence, à commencer par l’ouvrage de Gaspard d’Allens et de Lucile Leclair qui a donné le nom à cette catégorie. Il s’agit d’un ouvrage plutôt militant – Gaspard d’Allens est journaliste pour le site écologiste Reporterre – rédigé par deux jeunes (ils avaient 25 ans chacun au moment de la sortie de l’ouvrage), qui ont mené une enquête auprès des néo-paysans pendant un an.
Il est aussi intéressant de noter que l’on commence à avoir des ouvrages destinés à cette population spécifique, y compris chez des éditeurs plutôt « classiques », comme les éditions France agricole qui ont créé une nouvelle collection « TerrAgora ». Celle-ci se présente comme « une porte qui donne à voir cette profession à un public nouveau ». Cette nouvelle collection a été officiellement lancée lors des premières assises néo-paysannes organisées en 2017 et les deux premiers ouvrages publiés dans cette collection ont été consacrés aux néo-paysans. Le premier a pour titre Néo-paysans. Le guide (très pratique). Il a été écrit par Sidney Flament Ortun et Bruno Macias. Il présente « toutes les étapes de l’installation en agroécologie ». Sidney Flament Ortun et Bruno Macias sont d’ailleurs les cofondateurs de l’association Neo-Agri. Le second ouvrage est You can farm de Joel Salatin. Celui-ci est présenté comme « le pionnier américain de l’agroécologie » et « le véritable MacGyver de l’agriculture durable ». Il s’agit a priori de la traduction d’un ouvrage publié initialement en anglais en 1998 avec le même titre, You can farm. The Entrepreneur’s Guide to Start and Succeed in a Farming Enterprise (Le guide l’entrepreneur pour débuter et réussir dans une entreprise agricole). Ont été également publiés récemment un ouvrage collectif, Devenir paysan. Reconversions professionnelles vers l’agriculture (Les Champs des possibles, 2016) et Créer sa micro-ferme (Editions Rustica, 2017) de Linda Bedouet, qui est elle-même néo-paysanne après avoir travaillé dans l’immobilier. Elle a créé une micro-ferme en agroécologie et permaculture en Normandie (la Ferme des Rufaux).
Il existe également désormais des associations spécialisées pour venir en aide aux apprentis néo-paysans. Ainsi, l’association Néo-Agri, créée en 2015, vise notamment à « soutenir et accompagner les néo-paysans » et à « promouvoir l’installation de néo-paysans en agro-écologie » en facilitant « le partage de connaissances et le réseautage entre les nouveaux paysans entre eux et avec les paysans déjà installés ». D’autres associations peuvent jouer un rôle important, notamment en termes de formation comme l’association Prommatta, qui plaide en faveur d’une « agriculture à traction animale moderne » et qui développe des formations en traction animale.
D’autres outils ou aides se sont aussi développés pour faciliter l’installation des néo-paysans comme les « cafés installation », le soutien d’agriculteurs « tuteurs », des « réseaux d’entraide et de solidarité », des « couveuses agricoles » comme Les Champs des possibles qui se présente comme une couveuse et une coopérative d’activités agricoles et rurales en Ile-de-France, des structures qui permettent d’avoir un accès facilité au foncier comme Terre de liens, ou encore des plateformes de financement participatif telles que Blue Bees ou Miimosa. L’association La Marmite, par exemple, se présente comme un « centre d’échange et de ressources » à destination des néo-paysans qui comprend notamment un « réseau de tuteurs ».
Enfin, les premières assises néo-paysannes, présentées comme la « première rencontre professionnelle et citoyenne néo-paysanne », ont été organisées à Paris le 25 février 2017, le jour de l’ouverture du Sia. Elles s’adressaient aux néo-paysans installés ou à ceux qui l’envisagent avec des conférences, des ateliers pratiques et des ateliers collaboratifs. L’événement a été notamment co-organisé par les Editions France agricole, Terre de liens Ile-de-France, une association qui achète des terres pour les louer ensuite à de jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer en agriculture biologique, le Groupement des agriculteurs biologiques d’Île-de-France (GAB IdF), Les Champs des possibles, Neo-Agri ou encore le Reseau Amap Ile-de-France.
Par ailleurs, ce phénomène ne semble pas être seulement français. Il semble se développer notamment dans les pays du Sud de l’Europe. Le réseau MakeSense qui soutient les entrepreneurs sociaux et l’association Néo-Agri sont ainsi à l’origine de l’initiative Agri Sense Tour qui a été lancée en 2015. Il s’agit d’une enquête de terrain menée en France, en Espagne et en Italie sur les « entrepreneurs sociaux paysans qui innovent dans leur business model ou leurs pratiques agricoles » afin de diffuser et de partager leurs pratiques.
Comment peut-on expliquer ce phénomène « néo-paysans » ? Les facteurs explicatifs sont sans aucun doute à la fois subjectifs – ce sont des décisions prises par des individus suite à une longue réflexion en fonction de leur parcours spécifique de vie – mais aussi objectifs.
De nombreuses études ont tenté de comprendre les raisons qui expliquaient les reconversions professionnelles. Elles tendent à indiquer que les individus qui s’engagent dans cette voie ont souvent choisi leur premier métier sous l’influence de leurs parents, dans la continuité de leurs études ou pour des raisons d’abord matérielles. Et souvent, ils se réorientent vers des fonctions plus concrètes et où les contacts avec les gens sont plus authentiques. Le choix d’un retour à la terre en est un exemple évident. Il est donc avant tout le fruit d’une quête personnelle, l’idée de se trouver ou de se retrouver sur la base d’une vie plus saine et plus sereine, mais pas pour autant plus facile, à la campagne.
Il semble qu’il y ait également des facteurs spécifiques aux jeunes générations actuelles. Cette envie de faire des choses concrètes semble être, en effet, l’une des préoccupations des jeunes générations, y compris de diplômés de l’enseignement supérieur. Gaspard d’Allens et Lucile Leclair expliquent ainsi dans un entretien accordé à Reporterre que plusieurs de leurs camarades diplômés de Sciences Po Paris sont devenus charpentiers, menuisiers ou maraîchers. Le Monde avait d’ailleurs publié un article le 17 octobre 2016 pour mettre en exergue une telle tendance : « des milliers de jeunes diplômés de niveau bac + 5 déçus par le marché du travail choisissent chaque année de se réorienter vers des métiers manuels ». L’article mentionne une étude de 2015 de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) qui indiquait que 14 % des jeunes diplômés de niveau bac+5 ou plus déclaraient « avoir vécu un changement significatif d’orientation professionnelle dans les deux années suivant l’obtention de leur diplôme ». Ils doivent donc grossir les rangs des « néo-paysans », mais aussi des « néo-artisans ».
Mais il peut y avoir également dans cette démarche des motivations pourrait-on dire plus idéologiques ou militantes. Il s’agit alors pour les individus concernés de rompre de façon plus ou moins radicale avec la société de consommation et un mode de vie citadin. Ce choix néo-paysan s’inscrit alors dans une vision globale de nature décroissante et une conception agroécologique de l’agriculture, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes en étant la version la plus radicale. Gaspard d’Allens et Lucile Leclair parlent ainsi dans le même entretien accordé à Reporterre d’« une révolution de femmes et d’hommes qui transforment leurs actes quotidiens – cultiver, récolter, transformer, vendre – en actes militants et portent l’agriculture vers un modèle plus résilient, plus écologique ».
De façon plus objective, on peut aussi analyser ce phénomène comme le contrecoup de la crise économique, et des difficultés notamment pour les jeunes de trouver un emploi, mais aussi de la crise environnementale. On le voit en particulier dans certains pays comme la Grèce. D’après les statistiques officielles grecques, l’emploi agricole a ainsi progressé entre 2008 et 2015 pour la première fois depuis 20 ans en passant de 11 % de la population en emploi à 12,9 % et près de la moitié des nouveaux agriculteurs seraient des citadins (la contribution de l’agriculture au PIB a également cru de 3,1 % en 2008 à 4,2 %). Cela concerne tout particulièrement les jeunes alors que les taux de chômage des moins de 25 ans dépasse le taux de 40 %. L’association des jeunes agriculteurs grecs note ainsi un accroissement de 15 % du nombre d’agriculteurs entre 18 et 40 ans depuis le déclenchement de la crise.
Alors, les néo-paysans sont-ils des affreux bobos qui participent du dénigrement assez systématique de l’agriculture conventionnelle (agribashing) ou bien une aubaine pour un métier qui fait face à une profonde crise des vocations ? C’est sans doute un peu des deux.
Alors que le sociologue François Purseigle rappelle dans un entretien accordé à La Croix le 26 février 2017 que l’« on compte désormais une seule installation pour deux départs », le « sang neuf » des néo-paysans paraît être, en effet, le bienvenu. Ainsi que l’affirme l’association Neo-Agri, « les néo-paysans sont une réponse essentielle au problème de la succession en agriculture ». Les assises néo-paysannes estimaient également que « l’arrivée de ces nouveaux entrants pourrait permettre de lutter contre la déprise agricole ». Cela représente donc une bonne nouvelle pour un secteur qui, compte tenu de l’accumulation des crises conjoncturelles et structurelles, ne semblait a priori pas à même de susciter des vocations au-delà du milieu agricole à proprement parler. Le CEP concluait ainsi en 2011 à propos des installations hors cadre familial que « les HCF contribuent au renouvellement des générations agricoles que les seuls enfants d’agriculteurs ne pourraient assurer ».
En même temps, la démarche de nombre de ces néo-paysans semble être plutôt militante avec la promotion d’approches agro-écologiques ou d’une « agriculture paysanne » et le développement de modes de production (bio) et de distribution alternatifs (ventes directes, circuits courts). François Léger, enseignant chercheur à AgroParisTech, considère ainsi qu’« il y a un côté politique dans les installations néo-paysannes, une recherche de transformation du monde ». Le CEP expliquait, pour sa part, que « De par leur passé et leurs aspirations non exclusivement agricoles, ces personnes font plus que véhiculer des visions innovantes du monde de l’agriculture : elles le transforment de l’intérieur ».
Cela peut contribuer à alimenter l’idée selon laquelle les agriculteurs traditionnels sont trop « formatés » pour pouvoir envisager une véritable mutation écologique et que seuls des citadins seraient en mesure de pouvoir le faire. Ainsi, l’association Néo-Agri indique à propos des néo-paysans : « Ils sont issus de milieu urbain ou rural, de tout milieu social et catégorie socio-professionnelle et installent leur exploitation aussi bien à la campagne qu’en périphérie des villes ou bien en ville. N’étant pas formatés par leur entourage (soumis à une pression familiale), ou une formation agricole conventionnelle, ils se révèlent souvent très innovants ». Au final, cela peut donner le sentiment que seuls des néophytes peuvent développer une agriculture véritablement « authentique » non corrompue par l’industrie, la science ou la technique, que cette agriculture passe par la permaculture, le retour à la traction animale, etc. etc. Gaspard d’Allens, dans un entretien accordé à Radio Campus Paris, mentionne ainsi le fait qu’« ils ont un idéal fort, et c’est ce qui va les porter car quand on n’est pas issu du milieu agricole, on ne rêve pas d’une ferme à mille vaches, mais d’une ferme à taille humaine, d’un éco-système qui soit beau ». Ceci explique aussi la raison pour laquelle les néo-paysans ne sont pas toujours bien acceptés par le monde agricole traditionnel.
Quoi qu’il en soit, ces néo-paysans ont un rôle disruptif sans doute utile en apportant « un autre regard sur le métier » (Assises néo-paysannes). Ils peuvent donc en définitive être un facteur d’innovation. Ainsi pour François Lefebvre, qui ne parle pas uniquement des néo-paysans, mais aussi des HCF, « au fil des ans, les HCF s’éloignent des agriculteurs traditionnels de par leurs productions, leurs méthodes de travail ou l’écoulement de leurs productions. Il est même possible de parler de l’émergence d’une agriculture à deux visages : à l’agriculture de grande production, s’ajoute une agriculture de « niches » où les chefs d’exploitation utilisent toutes les facettes de la multifonctionnalité agricole ».
En savoir plus : www.odoxa.fr/sondage/changer-de-metier-bonne-chose-85-francais/ (enquête Odoxa de juin 2017) ; www.parismatch.com/Actu/Societe/Les-nouveaux-paysans-1065188 (dossier de Paris Match de septembre 2016 consacré aux « nouveaux paysans ») ; www.seuil.com/ouvrage/les-neo-paysans-gaspard-d-allens/9782021297287 (informations sur Les Néo paysans de Gaspard d’Allens et Lucile Leclair) ; https://ec.europa.eu/eip/agriculture/sites/agri-eip/files/synth_le_devenir_des_agri_hcf.pdf (« Le devenir des agriculteurs installés hors du cadre familial », étude publiée en 2004 par le Service des études et de la communication du Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles) ; http://revuelimite.fr/bonjour-veau-vache-cochon-couvee-rencontre-avec-gaspard-dallens-co-auteur-des-neo-paysans (entretien accordé par G. d’Allens à la revue Limite) ; www.clubdemeter.com/pdf/ledemeter/2009/demographie_agricole_la_france_doit_elle_craindre_l_avenir_previsions_a_l_horizon_2020.pdf (« Démographie agricole. La France doit-elle craindre l’avenir ? Prévisions à l’horizon 2020 », Le Déméter 2009, Club Déméter) ; http://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/video/la-parole-aux-auteurs-hervac-pillaud-et-gaspard-d-allens-2602-764701.html (entretien accordé par G. d’Allens à BFM Business le 26 février 2016) ; www.reseaurural.fr/files/rapport_creation_dactivite_par_les_entrepreneurs_hors_cadre_familial.pdf (« Création d’activité par les entrepreneurs hors cadre familial : besoins spécifiques, leviers d’action et complémentarité des dispositifs d’accompagnement », étude commandée par les Jeunes agriculteurs et le Mouvement rural de jeunesse chrétienne, 2013) ; http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_analyse321106.pdf (« Diversités du monde agricole », Analyse du CEP, n° 32, juin 2011) ; agriculture.gouv.fr/telecharger/83974?token=8603890fdf270cc16d06274d4e19a8c2 (Barbara Bour-Desprez, Dominique Brinbaum, Jean-Pierre Chomienne, Jean-Marie Seillan, « Transmission en agriculture : quatre scénarios prospectifs à 2025 », NESE n° 41, décembre 2016) ; http://collection-terragora.fr/editions-france-agricole (page de la collection « TerrAgora » des éditions France agricole) ; www.prommata.org (site de l’association Prommata) ; www.leschampsdespossibles.fr (site des Champs des possibles) ; www.association-la-marmite.fr (site de l’association La Marmite) ; https://www.terredeliens.org (site de Terre de liens) ; http://assises-neopaysannes.fr (site des Assises néo-paysannes) ; https://www.facebook.com/AgriSenseTour (informations sur l’initiative Agri Sense) ; https://reporterre.net/Interview-conference-livre-d-039-or (entretien accordé par G. d’Allens et L. Leclair à Reporterre) ; www.lemonde.fr/campus/article/2016/10/17/pour-les-jeunes-diplomes-la-tentation-des-metiers-manuels_5014750_4401467.html (article du Monde du 17 octobre 2016) ; www.aljazeera.com/indepth/features/2017/04/young-greeks-turning-farming-170417123546814.html (source des informations sur la situation en Grèce) ; www.la-croix.com/Economie/France/Francois-Purseigle-Les-agriculteurs-desormais-conscience-dune-possible-disparition-2017-02-26-1200827657 (entretien accordé par François Purseigle à La Croix le 26 février 2017) ; http://assises-neopaysannes.fr/l-evenement (source des citations des Assises néo-paysannes) ; https://www.grainesdemane.fr/2017/03/20/qui-sont-les-neo-paysans (source de la citation de François Léger) ; http://neo-agri.org/fr/a-propos (source des citations de l’association Néo-Agri) ; www.radiocampusparis.org/la-matinale-les-neo-paysans-et-la-vraie-vie-22-02-16 (entretien accordé par G. d’Allens à Radio Campus Paris le 22 février 2016).
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Bonjour,
Désireux d’intégrer le « clan » des néo-agri, avec un projet porteur dans le Sud Ouest, je lis avec attention l’article et le commentaire.
En famille, nous nous battons depuis plus d’un an pour faire aboutir un projet très porteur, ayant fait l’objet d’une étude comptable sérieuse qui a mis en avant la viabilité du produit.
Mais les banques ne voient pas du même œil que vous ces néo-agri, ces « hors cadre familial » et sans apport financier très important, ils vous ferment les portes.
Le taux de renouvellement des exploitants fait peur en France. Bientôt il n’y aura plus de cotisant…. Et on encourage pas assez les Néo-Agri, au contraire, on les confine dans un système, encore en marge dans le monde agricole, qu’est la permaculture et les petits ateliers Bio, ne permettant pas à une famille d’en vivre.
Non pas que le Bio et la permaculture ne sont pas viables ! Mais, HCF, les banques ne vous suivent que sur la création de petites structures difficilement viables.
Depuis des années, on parle du pouvoir d’achat des agriculteurs, des salaires ridicules qu’ils peuvent se dégager… Et les banques ne veulent pas suivre sur des structures correctes, laissant au Néo-Agri pour seule consolation qu’un « cadre de vie sain »….
Quand vous courrez les banques pour vous installer, que vous essuyer des refus avec des explications peu compréhensibles et que vous regardez l’endettement des agriculteurs pour ne dégager qu’un maigre salaire, vous vous posez de réelles questions quand à la volonté des établissements bancaires.
Pour sortir de la crise notre agriculture, ce n’est pas à grand coup d’emprunts que nous y arriverons, mais en permettant d’écouler nos produits correctement, à des prix rémunérateurs, de rémunérer le travail pénible. Alors pourquoi ne pas s’engager sur des initiatives innovantes et prometteuses.
Venez voir notre site : http://www.jorpas.fr, vous comprendrez ce dont quoi je parle.
Et je revendique haut et fort que » l’agriculture n’est pas morte »…. Nous avons plus de 60 millions de français à nourrir.
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Bonjour,
Merci pour ce travail de synthèse fort intéressant!
Je me permets de vous apporter quelques réflexions supplémentaires, en toute amitié, qui me semblent clés et qui éviteront des quiproquos.
Vous indiquez « Cela peut contribuer à alimenter l’idée selon laquelle les agriculteurs traditionnels sont trop « formatés » pour pouvoir envisager une véritable mutation écologique et que seuls des CITADINS seraient en mesure de pouvoir le faire. » Puis citez l’association Neo-Agri pour illustrer ce propos: « Ainsi, l’association Néo-Agri indique à propos des néo-paysans : « Ils sont issus de milieu urbain ou rural, de tout milieu social et catégorie socio-professionnelle et installent leur exploitation aussi bien à la campagne qu’en périphérie des villes ou bien en ville. N’étant pas formatés par leur entourage (soumis à une pression familiale), ou une formation agricole conventionnelle, ils se révèlent souvent très innovants »«
Hors c’est avec cette phrase que nous tenions à mettre en avant le fait que les néo-paysans ne sont pas à fortiori des ex-citadins, « néo-ruraux » (les termes sont trop souvent confondus), bien au contraire. C’est ce que nous constatons sur le terrain, les jeunes ruraux sont aussi désireux de devenir agriculteurs paysans, certains ont un lien familial avec l’agriculture mais ont étudié tout autre chose et ont vécu une première vie professionnelle loin de l’agriculture et décident de revenir dans le monde agricole. Pour nous ce sont aussi des néo-paysans et des personnes avec un fort potentiel innovant pour qui la tâche de changement de modèle agricole peut être d’autant plus difficile s’ils travaillent par exemple aux côtés d’un membre de leur famille de la génération précédente réfractaire au changement. Attention, ceux de la génération de ce dernier ne sont pas à fuir, au contraire, il est essentiel que s’établisse un dialogue entre nouveaux entrants et installés, entre HCF, néo-paysans et les fils et filles d’agriculteurs qui ont tout de suite souhaité reprendre la ferme familiale et ont suivi une formation agricole, ils sont tout autant source potentielle d’innovation. C’est ce que nous tenions à souligner dans notre « à propos » sur le site internet de l’association Neo-Agri par la phrase:
« Ils [les néo-paysans] peuvent travailler aux côtés des agriculteurs déjà en place [néo-paysans ou non, issus directement du renouvellement générationnel par succession familiale ou non], qui sont un moteur clé d’innovation, pour remettre en question le système agricole et apporter de nouvelles propositions. »
Bonne journée
L’association Neo-Agri