annee internationale sols

Les dix enjeux des sols en 2015

2015 est, d’après la FAO, l’année internationale des sols. Cela nous donne l’occasion de faire le point sur ce sujet absolument essentiel pour la sécurité alimentaire mondiale.

La FAO a décrété que l’année 2015 serait l’année internationale des sols autour du slogan « Des sols sains pour une vie saine ». Elle estime, en effet, « que les sols fournissent une série de services écosystémiques essentiels, cruciaux pour le bien-être de l’homme » tout en déplorant le fait qu’« ils ont longtemps été considérés comme une ressource acquise ». Or, l’agence onusienne considère que « compte tenu des pressions humaines sur les sols qui atteignent des limites critiques et mettent notre avenir en péril, il est urgent de sensibiliser à l’importance de cette ressource stratégique ».

Outre les informations fournies par la FAO, deux publications récentes permettent de répondre à dix questions que l’on peut se poser à propos des sols. La première est le Soil Atlas publié par la fondation allemande Heinrich Böll et l’Institute for Advanced Sustainability Studies à Potsdam en Allemagne. La seconde est le Cahier Demeter consacré au thème « Agriculture et Foncier ».

Qu’est-ce que le sol ?

Si l’on reprend la définition donnée par la FAO, on peut dire le sol est « la mince couche superficielle de la croûte terrestre » qui est constituée de matière organique, d’air, d’eau et d’organismes vivants. D’après le rapport Soil Atlas, le sol serait composé pour moitié de particules minérales, comme du sable ou de l’argile, d’environ 20 % d’eau et d’une quantité équivalente d’air, le reste correspondant aux racines des plantes et à la matière organique du sol (organismes vivants et humus).

La FAO et d’autres organismes insistent sur le fait que les sols sont extrêmement fragiles à partir du moment où il faut jusqu’à 1 000 ans pour former un centimètre du sol et où, selon le titre d’une brochure de l’agence, « les sols sont une ressource non renouvelable » et limitée. Le rapport Soil Atlas cite notamment à ce propos le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui estime que, si l’utilisation intensive des sols se poursuit au rythme actuel, nous devrions atteindre un « pic » en matière d’utilisation durable des sols d’ici 2020.

Quelle est la contribution du sol à la sécurité alimentaire ?

Pour la FAO, les sols sont « les fondements de l’agriculture et le milieu dans lequel presque toutes les espèces végétales alimentaires s’enracinent et poussent ». D’ailleurs, selon l’agence onusienne, 95 % des aliments sont produits directement ou indirectement dans les sols.

D’où l’importance de la qualité des sols car « on ne peut produire des aliments sains et de bonne qualité que sur des sols en bonne santé ». Un sol sain a, en effet, plusieurs fonctions selon la FAO : (1) il permet de préserver « une multitude d’organismes du sol qui aident à contrôler les maladies des plantes, les mauvaises herbes et les insectes nuisibles », (2), de former « des associations symbiotiques bénéfiques avec les racines des plantes », (3) de recycler « les nutriments essentiels pour les plantes », (4) d’améliorer « la structure du sol », (5) d’améliorer « la production agricole » et (6) d’atténuer « le changement climatique en maintenant ou en augmentant sa teneur en carbone ».

Les sols ont-ils une influence sur le climat ?

D’après la FAO, les sols jouent un « rôle majeur dans la régulation du climat » à partir du moment où ils contribuent à la « régulation de l’eau et des gaz atmosphériques » et où ils « constituent la plus grande réserve de carbone organique terrestre ».

Les matières organiques du sol stockent, en effet, 1 500 milliards de tonnes de carbone, soit davantage que toutes les forêts du globe. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les scientifiques se montrent très inquiets à propos de la fonte du permafrost (ou pergélisol en français), ces sols gelés durant toute l’année en Sibérie ou dans le Nord du Canada car, avec leur fonte, les immenses quantités de carbone qu’ils contiennent pourraient être « libérées » dans l’atmosphère et renforcer ainsi les émissions de gaz à effet de serre. Selon certaines évaluations, les sols gelés de l’Arctique contiendraient ainsi à eux seuls 1 700 milliards de tonnes de carbone, soit davantage que les stocks cumulés de pétrole, de charbon et de gaz naturel se trouvant actuellement dans le sous-sol terrestre. Il est à noter que le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), dans ses prévisions, ne prend pas en compte les effets de cette fonte potentielle du permafrost, ce qui pourrait contribuer encore davantage à l’élévation des températures d’ici la fin du siècle.

Quelles sont les autres fonctions du sol ?

La FAO estime que les sols sont importants car ils remplissent de nombreuses fonctions : (1) ils sont à la base de la production d’aliments, mais aussi de fibres, de combustibles et de produits médicinaux, (2) ils absorbent, stockent, altèrent, purifient et libèrent l’eau, (3) ils interagissent avec l’atmosphère grâce à l’absorption et à l’émission de gaz, comme le CO2 ou le méthane, (4) ils constituent la plus grande réserve de carbone organique terrestre, (5) ils servent d’habitat à des animaux (insectes, vers, acariens) et des organismes comme les bactéries et les champignons, ils abritent d’ailleurs un quart de la biodiversité, (6) ils sont le lieu où se dispersent les semences et où se diffuse le matériel génétique, etc.

Quelle est l’importance des surfaces agricoles dans le monde ?

Selon des données fournies par la FAO, alors que les terres émergées s’élèvent à 13 milliards d’hectares, les surfaces agricoles occupent 4,9 milliards d’hectares (graphique 1). Cela représente à peu près 38 % des terres émergées dans le monde (les forêts représentent à elles seules 31 % de ces terres). 26 % de ces terres sont des prairies (3,4 milliards d’ha) et 12 % sont des surfaces cultivées (1,6 milliard d’ha, dont 1,4 milliard pour les seules cultures annuelles). C’est en Asie, et tout particulièrement en Asie centrale, que la part des surfaces agricoles est la plus élevée avec un taux de 53,0 % et c’est en Europe et en Amérique du Nord qu’elle est la plus faible avec des taux respectifs de 21,4 % et de 25,3 %.

Graphique 1 : l’utilisation mondiale des terres émergées en 2011
Source : FAO.

 

Comment évoluent les surfaces agricoles dans le monde ?

En dépit de l’extension des aires urbaines dans le monde et de la dégradation des sols, les surfaces agricoles tendent à augmenter. Entre 1961 et 2011, les surfaces agricoles dans le monde ont ainsi augmenté de 451 millions. Cela a été notamment le cas jusqu’à la fin des années 1990. Depuis, elles tendent à diminuer.

On observe également depuis le début des années 2000 un accroissement des terres agricoles consacrées aux cultures annuelles et une baisse des surfaces pour les prairies et les pâturages permanents. Enfin, on peut noter que 318 millions d’hectares étaient équipés pour l’irrigation en 2011. Ces surfaces relativement faibles dans les surfaces agricoles totales (0,06 %) ou les terres cultivées (0,02 %) ne cessent pourtant d’augmenter depuis le début des années 1960. Elles ont doublé en l’espace de 50 ans.

En revanche, les surfaces agricoles moyennes par habitant tendent à diminuer depuis quelques décennies et cette tendance devrait se poursuivre d’ici 2050 (graphique 2).

Graphique 2 : surfaces agricoles moyennes par personne en mètres carrés,
1960-2050, estimation pour 2050


Source : Soil Atlas 2015.

En même temps, il est nécessaire d’accroître les surfaces cultivables si l’on veut répondre à l’évolution de la demande pour des produits agricoles. Le rapport Soil Atlas estime ainsi que les besoins en surfaces agricoles devraient progresser de 320 à 850 millions d’ha d’ici 2050. Dans le premier cas, c’est l’équivalent de la superficie de l’Inde et dans le second, de la superficie du Brésil.

Assiste-t-on à une dégradation généralisée des sols ?

Pour la FAO, il est question de dégradation des sols lorsque « la capacité du sol à fournir des biens et des services écosystémiques et à remplir ses fonctions » est réduite. Cette dégradation peut prendre plusieurs formes : une érosion, une salinisation, un épuisement des éléments nutritifs, une perte de biodiversité, une pollution, une perte de matière organique, un compactage, etc. La pollution des sols renvoie bien entendu à « la présence de substances à des concentrations supérieures aux seuils au-delà desquels elles deviennent nuisibles pour les organismes vivants ». Ces substances peuvent être des pesticides, des produits chimiques organiques, etc.

Selon la FAO,
« le taux actuel de dégradation des sols
menace la capacité des générations futures
à satisfaire leurs besoins les plus élémentaires
 »

La FAO avance que 33 % des terres sont modérément ou gravement dégradées par l’érosion, la salinisation, le compactage, l’acidification et la pollution chimique des sols. Le rapport Soil Atlas estime, de son côté, que 20 à 25 % des sols dans le monde seraient déjà dégradés, alors que 5 à 10 millions d’hectares se dégradent en moyenne chaque année. C’est notamment le cas au sein de l’Union européenne où 17 % des sols seraient dégradés. Enfin, un article publié dans le Cahier Demeter (M. Bardy, I. Cousin, D. Arrouays, G. Richard) indique sur les 22 % des terres émergées qui sont exploitables d’un point de vue agricole, 60 % d’entre elles seraient touchées par une ou plusieurs formes de dégradation. Ainsi, par exemple, quelque 24 milliards de tonnes de sol seraient perdus chaque année par érosion.

Quoi qu’il en soit, selon la FAO, « le taux actuel de dégradation des sols menace la capacité des générations futures à satisfaire leurs besoins les plus élémentaires ». C’est dans ce contexte qu’a été lancée, par exemple, en 2007 l’Initiative de la Grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel, qui consiste notamment à planter des millions d’arbres en vue de restaurer des terres dégradées dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.

Les approches favorisant une gestion durable des sols ont donc le vent en poupe. C’est le cas de l’agroécologie, de l’agriculture biologique, de l’agriculture de conservation, du labour zéro et de l’agroforesterie. L’agriculture de conservation s’appuie sur trois principes : un bouleversement minimal des sols, une couverture permanente du sol, et une rotation des cultures. Le labour zéro, utilisé dans le cadre de l’agriculture de conservation, consiste à maintenir une couverture du sol biologique permanente ou semi-permanente. Enfin, l’agroforesterie tend à combiner la gestion des arbres, des cultures et du bétail.

Quelle est l’importance de l’artificialisation des sols dans le monde ?

Un article du Cahier Demeter (M. Bardy, I. Cousin, D. Arrouays, G. Richard) indique qu’environ 20 milliards d’hectares de sols agricoles sont perdus chaque année dans le monde en raison de l’artificialisation liées à l’extension des villes et des réseaux routiers ou à l’expansion industrielle. C’est assez considérable car c’est davantage que la surface des terres arables en France et cela représente une perte de l’ordre de 6 350 mètres carrés par seconde.

Cette tendance à l’artificialisation des sols devrait se poursuivre compte tenu de la croissance prévisible de l’urbanisation dans les décennies à venir, qui devrait continuer à exercer une forte pression sur les surfaces agricoles (graphique 3). En effet, si les villes occupent actuellement 1 à 2 % du territoire mondial, ce chiffre pourrait s’élever à 4 à 5 % à l’horizon 2050.

Graphique 3 : part de la population urbaine dans la population totale,
en pourcentages, 1950-2050, estimation pour 2030 et 2050

Source : ONU.

 

Quelle est l’importance de l’artificialisation des sols en France ?

En France, les surfaces agricoles représentent encore la majorité de l’occupation physique du territoire métropolitain mais, chaque année, l’artificialisation grignote ces surfaces (graphique 4).

Graphique 4 : occupation physique du territoire français métropolitain en 2012
Source : ministère français de l’Agriculture.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’extension des zones urbaines et des infrastructures a, en effet, été la principale caractéristique en qui concerne l’usage du territoire français. Durant les années 1960, c’était chaque année 40 000 hectares de terres agricoles et forestières qui disparaissaient. Or, depuis, ce chiffre n’a fait que croître : 54 000 hectares entre 1980 et 1992, 61 000 entre 1992 et 2003 et même plus de 80 000 hectares avant la crise de 2008-2009. En l’espace de 50 ans, les surfaces urbanisées ont doublé, passant de 2,5 à près de 5 millions d’hectares, alors même que le Cahier Demeter (R. Levesque) note que le tiers des surfaces urbanisées, soit 1,7 million d’hectares, correspondent à… des pelouses. Une étude publiée par le ministère de l’Agriculture en 2009 indiquait d’ailleurs que les trois premières causes de l’artificialisation entre 1992 et 2004 était l’habitat individuel, c’est-à-dire la construction de maisons individuelles (410 000 hectares), le réseau routier (148 000 hectares) et les équipements de sport et de loisir (74 000 hectares).

Les experts estiment que, si la réduction des surfaces agricoles se stabilisait à 50 000 hectares par an d’ici 2050, quelque 1,75 million d’hectares de terres agricoles supplémentaires disparaîtraient en France, soit 6,5 % de la superficie agricole totale. Cela signifie qu’au total, 4,25 millions d’hectares auraient disparu entre 1960 et 2050, soit 16 % du total des surfaces agricoles françaises.

Existe-t-il encore des « gisements » de terres agricoles inexploitées dans le monde ?

Le Cahier Demeter (H. Guyomard et B. Schmitt) fournit un certain nombre d’évaluations en la matière. Les terres potentiellement cultivables, mais non encore cultivées dans le monde seraient évaluées entre 450 et 550 millions d’hectares, ce qui, aux yeux des experts, apparaît très faible et soulève la question cruciale du « manque de terres ». Ce serait dans les zones les moins développées de la planète que ces terres seraient les plus importantes, en particulier en Afrique subsaharienne et en Amérique latine. En revanche, elles sont quasi inexistantes en Asie du Sud-Est et dans la région Afrique du Nord-Moyen-Orient.

Dans le Cahier Demeter, Hervé Guyomard et Bertrand Schmitt en concluent néanmoins que « contrairement à la vision malthusienne de certains cassandres, il existe encore des terres cultivables non encore cultivées à l’échelle mondiale. […] Mais évaluer le potentiel de terres cultivables non encore cultivées est difficile pour des raisons essentiellement de qualité des informations statistiques. […] Au total, on chiffrera à environ 500 millions d’hectares les surfaces potentiellement cultivables non encore cultivées ».

Est-ce suffisant pour nourrir quelque 2,5 milliards de personnes supplémentaires d’ici 2050 ? Les auteurs répondent par l’affirmative, mais néanmoins avec « la grande incertitude que constituent le changement climatique et ses effets sur les rendements ». En outre, même si, au final, on ne devrait pas assister à un manque de terre, certains débats devraient être, à tort ou à raison, de plus en plus vifs dans les décennies à venir, entre autres, celui des usages possibles des terres, alimentaires ou non alimentaires pour les biocarburants notamment.

 

En savoir plus : www.fao.org/soils-2015/fr (page du site de la FAO consacrée à l’Année internationale des sols), www.fao.org/soils-2015/faq/fr (informations de la FAO sur les sols), www.fao.org/3/a-i4373f.pdf (publication de la FAO intitulée « Les sols sont une ressource non renouvelable »), http://www.fao.org/3/a-i4405f.pdf (publication de la FAO intitulée « Des sols sains sont le fondement d’une production alimentaire saine »), http://globalsoilweek.org/wp-content/uploads/2014/12/soilatlas2015_web_141221.pdf (rapport Soil Atlas 2015), www.clubdemeter.com/pdf/cahier/presentation/presentation_cahier_15.pdf (informations sur le Cahier Demeter consacré à « Agriculture et foncier »), www.fao.org/partnerships/grande-muraille-verte/grande-muraille-verte-accueil/fr/ (page du site de la FAO consacrée à l’Initiative de la grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel), http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/teruti2014T2bsva.pdf (données du ministère de l’Agriculture sur l’occupation physique du territoire français en 2012), http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/primeur219.pdf (étude de 2009 du ministère de l’Agriculture sur l’artificialisation en France). https://wikiagri.fr/archive/9 (numéro 9 de WikiAgri Magazine consacré au thème « La clé du sol », lecture en ligne réservée aux abonnés) ; https://wikiagri.fr/tags/sols (précédents articles de WikiAgri sur les sols).

2 Commentaire(s)

  1. D’accord en grosse partie avec l’article, et pour cause je pratique LAC depuis quelques années. Reste maintenant à passer aux choses sérieuses, à savoir quoi faire… Pas facile de faire évoluer les pratiques, et surtout il faut du temps pour vaincre les réticences. Mais il faut surtout obliger les agriculteurs a se former auprès de personnes compétentes, afin d’éviter toutes les embuches que les pus vieux ont eux.

  2. La biodiversité à la configuration d’un iceberg : la partie invisible et 10 fois plus importantes que la partie visible !
    La partie visible de la biodiversité (faunes et flores, et donc les humains) dépend à 100% de la partie invisible qui se cache dans les sols : des millions de micro-organismes qui commencent par les bactéries.
    Il faut considérer les sols comme une entité vivante globale qui est à la base de toutes les chaines alimentaires, la partie visible de la biodiversité nous sert de bio-indicateur, quand les bio-indicateurs disparaissent c’est que les sols meurent !
    Un sol vivant a besoin d’eau, de nourriture, d’oxygène, d’un climat tempéré et d’une protection solaire, tout ceci lui est apporté par la végétation !
    Plus la densité végétale est importante plus la biodiversité est riche, la référence planétaire étant la foret de feuillus, en opposition total au désert (donc sans végétation) et donc aux villes.
    La première des choses à faire pour le climat et la biodiversité c’est la végétalisation massive des surfaces exposées au soleil au rythme des forêts de feuillus : donc vert l’été !
    L’énergie du futur existe depuis des millions d’années et s’appelle photosynthèse : énergie du vivant !

    Couper l’eau dans les champs pour alimenter des villes hors normes ce n’est pas de la résilience mais une désertification massive et une mise en danger de la population.

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