Le succès de l’émission L’Amour dans le pré ne se dément pas année après année, malgré les réactions contrastées que celle-ci suscite, en particulier dans le monde agricole. Il s’explique avant tout par le fait que cette émission soit un spectacle qui plaît au plus grand nombre.
Chaque été depuis 2006, L’Amour est dans le pré, l’émission-phare de M6 et l’une des émissions les plus populaires de la télévision française, réalise de très bons scores d’audience plaçant souvent la chaîne en tête des audiences les soirs de diffusion. Il s’agit de l’adaptation française d’un concept anglais lancé en 2001, Farmer wants a wife, de la société de production Fremantle, à qui l’on doit également des émissions telles que Questions pour un champion, Le Juste prix, La Nouvelle star ou encore D & Co.
Pour les promoteurs de l’émission, ses fidèles et ses très nombreux fans, les clefs de son succès résident dans le fait qu’elle montre de belles rencontres et de jolies histoires d’amour tout en répondant à un besoin social légitime, qui est la solitude affective dans les campagnes, et en montrant également le visage actuel du monde agricole, ainsi que de beaux paysages champêtres. Fremantle justifie d’ailleurs ainsi le concept de l’émission : « La vie de nos agriculteurs et agricultrices serait comblée s’il ne leur manquait pas l’essentiel : l’amour ! Aujourd’hui, la France compte près d’un million d’exploitants agricoles. Comme tout chef d’entreprise, leur emploi du temps surchargé mais aussi leur isolement géographique ne favorisent pas les rencontres amoureuses ». L’argument clef pour montrer l’utilité de l’émission, qui est systématiquement avancé par l’animatrice, Karine Le Marchand, est bien entendu le nombre de mariages, et de naissances à la clef.
Pour ses pourfendeurs, L’Amour est dans le pré n’est que de la télé-réalité qui exploite de façon assez éhontée une misère affective pour en faire un spectacle télévisuel, alors que la télévision serait loin d’être la meilleure réponse au problème du célibat des agriculteurs, en donnant une image négative, ringarde et souvent caricaturale des agriculteurs et du monde rural que les téléspectateurs citadins se plairaient à regarder en faisant preuve d’un voyeurisme quelque peu condescendant, voire méprisant vis-à-vis du monde rural. Finalement, tout serait « bidon » dans cette émission : l’image qu’elle donne du monde agricole et rural, ainsi que celle des agriculteurs célibataires et des prétendant(e)s ne correspondraient pas à la réalité, comme s’en sont plaint certains d’entre eux lors de la saison 7 (2012), des scènes seraient rejouées, etc. etc.
On retrouve d’ailleurs ces mêmes clivages dans le monde agricole. Certains agriculteurs soulignent l’utilité sociale de l’émission (rencontrer l’âme sœur), le fait de pouvoir ainsi parler d’agriculture à une heure de grande écoute, de montrer la réalité actuelle du monde agricole et finalement de donner une image valorisante des agriculteurs qui sont désormais des chefs d’entreprise et non plus des vieux paysans rustres. D’autres, en revanche, notamment dans le monde syndical agricole, dénoncent l’image prétendument caricaturale donnée de l’agriculture et les nombreux clichés véhiculés sur les agriculteurs ou encore le fait de donner une image quelque peu idyllique de la campagne et des agriculteurs loin de la dure réalité économique et sociale vécue par le monde agricole.
Alors que penser de cette émission ? Qu’on le déplore ou que l’on s’en réjouisse, ce que l’on peut dire en premier lieu, c’est que son succès d’audience est indéniable et qu’il ne se dément pas année après année, tout comme d’ailleurs son succès auprès des agriculteurs célibataires, la société de production recevant à peu près 400 demandes chaque année. Si le succès reste au rendez-vous, on peut néanmoins remarquer que l’émission a largement évolué depuis son lancement. Les agriculteurs sont ainsi passés de 5 à 14. Ils sont plus jeunes et moins caricaturaux qu’au début. Des femmes agricultrices font également partie du casting. Les situations sont plus diversifiées. La production affirme d’ailleurs rechercher une diversité en termes d’âge, de type d’exploitation (avec par exemple un apiculteur lors de la saison 7 et un trufficulteur lors de la saison 8), de régions ou d’expériences sur le plan sentimental (divorcé, a vécu en couple, célibataire endurci, etc.). Enfin, elle affirme vouloir mieux montrer le monde agricole actuel.
Mais dans ce cas, comment expliquer le succès de L’Amour est dans le pré ? De très nombreuses explications ont été avancées. Cela tiendrait au fait que c’est une émission qui parle d’amour, de solitude et de rencontre amoureuse, et des difficultés affectives spécifiques des agriculteurs et agricultrices compte tenu de leur isolement géographique et social, mais aussi au fait qu’elle montre le visage actuel et diversifié du monde agricole, les beaux paysages de notre belle France ou qu’elle surfe sur la mode actuelle de la néoruralité.
En fait, l’explication semble assez simple. Cela marche parce que c’est un bon spectacle qui plaît au plus grand nombre. Il s’agit tout d’abord d’une télé-réalité, même si la production s’en défend, mais d’une télé-réalité de qualité ou soft car elle ne recherche pas à tout prix le trash pour le trash (dans la saison 8, par exemple, c’est-à-dire en 2013, les producteurs de l’émission ont ainsi essayé d’éviter les prétendant(e)s uniquement motivés par le souhait de passer à la télévision) et d’ailleurs, à la différence d’autres émissions de télé-réalité comme Secret Story, les protagonistes de l’émission – agriculteurs, prétendant(e)s – ne signent pas de contrat avec la production. Comme toute émission de télé-réalité, L’Amour est dans le pré met en scène la vie des agriculteurs et de leurs prétendant(e)s en conservant et en mettant en avant les moments les plus émouvants, les plus drôles et les plus cocasses : les rivalités entre prétendants ou prétendantes, les petites anecdotes croustillantes ou drôles, les petits défauts ou les petites manies des uns et des autres, les contrastes saisissants notamment entre des prétendantes citadines et la vie à la ferme autour de la désormais traditionnelle scène de la traite des vaches, les « coups de gueule » et les disputes, les « phrases-cultes » ou les fous-rires. Ce spectacle s’appuie donc sur quatre ingrédients : de bonnes histoires, qu’elles soient heureuses ou tristes, qu’elles soient romantiques, dramatiques ou comiques, « jouées » par des « acteurs » qui sont souvent bons, à savoir des personnes simples, sincères dans leur démarche pour la plupart et touchantes avec quelquefois ce que l’on appelle dans les médias de « bons clients » (Jean-Claude en 2011, Thierry en 2012, etc.), dans de beaux décors (les belles campagnes françaises) avec une jolie musique d’accompagnement, celle-ci jouant un rôle important dans l’émission.
Le reste n’est qu’accessoire ou prétexte, en particulier l’utilité de l’émission par rapport à un problème social étant donné que le taux de célibat des agriculteurs n’est pas aussi élevé que cela par rapport à la moyenne nationale et que les situations en la matière apparaissent très contrastées selon la taille économique de l’exploitation (les agriculteurs à la tête des exploitations les plus riches ont, par exemple, un taux de célibat proche de celui des cadres, soit les catégories socioprofessionnelles où ce taux est le plus faible en France) ou selon la région. Il en est de même pour tout ce qui concerne la volonté de montrer le visage actuel du monde agricole et rural. C’est donc l’amour avant tout qui explique le succès de l’émission plus que le pré…
En savoir plus : www.m6.fr/emission-l_amour_est_dans_le_pre/ (site officiel de l’émission), https://www.facebook.com/LAEDLP (page Facebook officielle de l’émission), www.fremantlemedia.fr/ (site de la société de production), www.franceinter.fr/emission-service-public-l-amour-est-il-vraiment-dans-le-pre (émission de France inter consacrée à l’émission le 20 septembre 2012), http://clubdemeter.com/pdf/ledemeter/2013/celibat_des_agriculteurs_unite_et_diversite.pdf (étude de l’universitaire Christophe Giraud intitulée « Célibat des agriculteurs : unité et diversité » publiée en 2013 par le Club Demeter).
il faut bien admettre que cela mérite bien d’avoir décoré la présentatrice du mérite agricole… c’est hélas vraie
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