Séverine Dabadie, photographe à Ciboure, est allée à la rencontre des bergers basques, en montagne et en plaine. Elle a figé leur quotidien. Ses photos sont réunies dans un ouvrage, « Bergers basques – Entre deux mondes », dont elle cosigne les textes avec Christiane Etchezaharreta. Le livre est aussi un lieu d’expression pour les bergers et présente leur interview.
Durant trois ans, elle a sillonné les montagnes et les plaines du Pays basque à la rencontre des bergers, « ceux qui ont la responsabilité d’un troupeau, qui transhument et fabriquent leur fromage ». Séverine Dabadie, photographe à Ciboure, a figé avec humanité et spontanéité le quotidien de ces « hommes et femmes ivres de libertés » dont les conditions de vie sont pourtant difficiles. Aucune photo n’est posée. « Je devais me trouver au bon endroit au bon moment », affirme la photographe.
« Bergers basques – Entre deux mondes », publié aux éditions Elkar, révèle les réalités du pastoralisme en ce début de XXIe siècle. Cet ouvrage, dont Séverine Dabadie cosigne les textes avec Christiane Etchezaharreta, brise l’image pittoresque « qui pourrait faire crever le pastoralisme ». La photographe l’assure : « Les bergers basques gardent chevillée au cœur l’envie de perpétuer un savoir-faire ancestral, mais en l’adaptant au temps présent. » Le pastoralisme génère une économie tout en préservant les traditions.
Au gré de cette aventure humaine, Séverine Dabadie a découvert qu’il n’y a pas un, mais des pastoralismes au Pays basque. « Chaque berger vit son métier selon son statut, son âge, ses traditions familiales, explique la photographe. Les pratiques sont différentes mais complémentaires. » Elle a rencontré des bergers également fermiers, des bergers salariés, ou encore des bergers sans terres. Elle les a invités à se raconter à travers des interviews. « Je voulais que ce livre soit un lieu d’expression pour eux, commente la photographe. Je voulais qu’ils parlent d’eux avec leurs mots à eux. »
Les conditions de vie en estive se sont beaucoup améliorées. « Les chemins d’accès et les routes nous ont facilité la vie », reconnait Félix Bassaber, berger retraité. Pendant longtemps, le cayolar (cabane du berger) dans lequel il passait l’estive, à Ahusquy, était sans accès. « Nous montions tout le matériel à dos d’ânes et de la même manière nous redescendions les fromages », poursuit le retraité. C’est au militantisme du Souletin Jean Pitrau, décédé, qui a porté haut, dans les 60 et 70, la révolte, le cri des bergers et des paysans. Il est à l’origine de l’Association au service des agriculteurs de montagne (ASAM). « Il a lutté contre l’isolement des bergers, remarque Séverine Dabadie. Il a impulsé la construction des routes. Le pastoralisme basque lui doit beaucoup. »
Grace à cette action, les cayolars ne sont plus coupé du monde. Des bergers ont formé des groupements pastoraux. Ils partagent un cayolar, pratiquent la traite mécanique à l’aide de générateur, se relaient durant l’estive et dispose donc de temps pour leur ferme. « En montagne, avoir de l’eau chaude, un coin douche, favorise la présence des femmes et aussi des familles entières avec les enfants, affirme Francis Poineau, co-président de la chambre d’agriculture alternative du Pays basque Euskal Herriko Laborantza Ganbara. Si l’on s’organise bien dans sa production et la valorisation du produit, on peut en tirer un revenu raisonnable. » De multiples raisons qui pourraient favoriser la transmission.
Cependant, certains bergers refusent d’intégrer un groupement. « Ils ne veulent renoncer à aucune liberté », constate la photographe. Jean-Bernad Maitia, qui a succédé à son père en 2009, s’est épuisé par de multiples allers-retours entre la ferme, à Aincille, et son cayolar, à Urkulu. « Cela nécessitait beaucoup d’énergie et de carburant », explique-t-il. Devait-il engager un berger pour se consacrer pleinement à sa ferme ? Non, il décide de rester auprès de ses brebis. « J’ai vite compris que le troupeau pouvait donner du lait de manière très intéressante, que mon fromage était plutôt bon, et que la saison laitière pouvait durer longtemps. » Alors il se fait aider par un salarié grâce à un dispositif subventionné. « Cela libère du temps pour faire le travail à la ferme. »
Il fait partie de ceux qui traient manuellement. « Ce n’est pas la volonté délibérée de rester attaché à des valeurs traditionnelles mais simplement de rester fidèle à des méthodes qui ont fait leur preuve », remarque-t-il. Et de s’assurer d’un produit de qualité exceptionnel. « Beaucoup de bergers refusent la traite mécanique, souligne Séverine Dabadie. Ils considèrent que cela déshumanise leur relation avec leur troupeau. » Une traite manuelle permet aussi de détecter plus rapidement une mammite, de s’apercevoir qu’un peu de sang se trouve dans le lait, ce qui le rend impropre à la consommation.
Malgré un confort de vie amélioré en montagne, la transmission familiale est en régression et le nombre de bergers aussi. Alors le pastoralisme basque s’ouvre aux femmes, aux néo-ruraux et aux personnes venues de l’extérieur. « Les anciens leur ont fait une place, s’enthousiasme la photographe. Ils sont beaucoup plus ouverts que nous l’imaginons. » Félix Bassaber s’avoue heureux de cette évolution. « Que les jeunes bergers ne soient pas Basques ne me pose aucun problème. Le plus triste est de voir un cayolar vide. »
Ainsi, bon nombre de bergers salariés n’ont pas d’origines basques. Pascal Léonardi, anthropologue généticien à Paris, chercheur au musée de l’Homme et au CNRS, a tout quitté pour les pâturages basques. « Ceux qui viennent de l’extérieur et qui ne sont pas issus du milieu agricole ont souvent ressenti un ras le bol, sont empreints d’une conscience écologique, ont réfléchi à la vie citadine », commente-t-il. Après quelques mois d’observation, s’ils font preuve de compétences, ces nouveaux bergers venus d’ailleurs gagnent l’estime des anciens et leurs conseils.
Hélène Rolland, bretonne, a fait le choix du pastoralisme basque pour fuir l’élevage intensif du porc pratiqué dans sa région. Elle souhaite « montrer qu’un autre mode de vie plus sain, qu’une autre alimentation, qu’une autre agriculture sont possibles ici ou ailleurs. On ne peut pas continuer dans la même direction. Il faut se tourner vers les choses simples qui sont auprès de nous depuis la nuit des temps. » Elle ne projette pas de devenir propriétaire d’un troupeau. Le statut de salarié est plus confortable que celui de berger sans terre.
Les bergers sans terres vivent dans une grande précarité. Maina Chassevent a décidé d’acheter un troupeau. Elle n’a ni terre, ni ferme. Elle s’est lourdement endettée. « Elle est dans une situation matérielle compliquée et précaire, constate la photographe. Et pourtant, elle fait preuve d’un enthousiasme incroyable. » Elle force l’admiration et le respect des anciens.
Beñat Merle souhaitait quitter son statut de salarié. Une ferme représentait un investissement trop lourd. Alors il achète un troupeau et loue le cayolar d’Elusaro au syndicat de Cize. « Le problème du berger sans terre, c’est de trouver des pâturages pour l’hiver et surtout de pouvoir les conserver, constate le berger. En quatre ans, j’ai changé trois fois de pâturages. Chaque hiver, c’est une remise en question. De plus, les pâturages à louer sont chers et rares. Pour la vie de famille, ce n’est pas toujours facile surtout si les pâturages sont loin. J’ai été à Macaye, Larressore, La Bastide Clairence, Arrossa… J’ai environ trois cents brebis et il faut pouvoir toutes les placer. » Il vit de la vente de ses fromages, directement au cayolar ou sur les marchés. « Et puis, il y a les primes. »
Des primes nécessaires à la survie des bergers mais dont ils souffrent. Elles leur collent l’étiquette d’assistés dans le regard du reste de la société. « C’est injuste, martèle Séverine Dabadie. Les bergers sont utiles à la société. Ce sont eux qui entretiennent les montagnes, les gardent vivantes. Si les collectivités avaient à charge l’entretien des montagnes, le coût serait supérieur au montant des primes. »
Les bergers basques ont fait un pari audacieux et risqué. « Face à un productivisme acharné, ils ont affiché la volonté farouche de maintenir la race de brebis locale manex tête noire, observe Séverine Dabadie. Une race en danger, 70 % du cheptel a disparu au cours de ces trente dernières années. » La manex tête noire produit bien moins de lait que la lacaune mais sa rusticité lui permet une plus grande adaptabilité au territoire et surtout de mieux résister aux maladies. « Elle a donc besoin de moins d’antibiotiques que l’on retrouverait dans le lait puis le fromage, constate la photographe. Les bergers souhaitent proposer des produits de qualité. »
Pour que le pastoralisme basque perdure, « il faut que le consommateur fasse le choix d’acheter son fromage aux petits producteurs locaux, souligne la photographe. Il faut qu’il cesse de se faire berner par les producteurs industriels qui n’hésitent pas à utiliser l’image des bergers basques traditionnels pour sa communication tout en imposant des prix les étranglant. » Les bergers basques aiment partager leur passion. Ils vendent leurs fromages dans leurs cayolars, sur les marchés, les foires. Des chefs étoilés sont parmi leurs clients. « Ils ont besoin de signes de reconnaissance », conclut Séverine Dabadie.
Pratique : “Bergers basques – Entre deux mondes”, livre photographique bilingue (français – basque) publié aux éditions Elkar.Prix : 36 € avec une couverture souple (ISBN : 8490276242) et 45 € avec une couverture rigide (ISBN : 8490276579). En vente dans toutes les librairies et en ligne. Le site de la photographe, www.severinedabadie.com, propose un bonus d’interviews de bergers non publiées.
Ci-dessous, Jean-Bernard Maitia transhume à Urkulu (photo Séverine Dabadie).
Ci-dessous, Jean-Bernard Maitia traie ses brebis manuellement (photo Séverine Dabadie).
Ci-dessous, Hélène Rolland passe l’estive à Nabolegi, dans la zone d’Iraty (photo Séverine Dabadie).
Ci-dessous, Séverine Dabadie et Christiane Etchezaharreta ont rencontré des bergers basques en montagne et en plaine (photo Tosseri – Andraca)