Un randonneur averti en vaut deux ! Tout l’été, la Fédération des alpages de l’Isère enseigne aux promeneurs les bons gestes pour approcher les troupeaux en toute sécurité. Ou comment être touriste et respectueux
Jean-Marie Davoine a été berger pendant 20 ans dans l’Isère et le sud de la France. Souhaitant partager son expérience, il est devenu éducateur canin et formateur en maniement animal pour la fédération des alpages de l’Isère. Tout l’été, il propose les animations « dialogue avec un troupeau ». Itinérantes sur l’ensemble des massifs du département, ces journées sont destinées au grand public. L’objectif est de mieux comprendre les réactions des vaches en liberté. Ainsi, les promeneurs énervent moins les troupeaux… « et les bergers ! », ajoute en souriant l’animateur. « Dans la conduite des troupeaux, nous avons beaucoup insisté sur la technique en oubliant les fondamentaux. Par exemple, les bergers avaient coutume de donner du sel en grain aux bêtes en alpage. Aujourd’hui, ils se contentent de poser des blocs et perdent l’occasion d’un contact. Les bêtes deviennent plus sauvages. La présence est indispensable. Berger, ce n’est pas un métier compatible avec les 35 heures… », glisse Jean-Marie Davoine.
Nous avons suivi pour vous la session du 29 juillet, en plein cœur du Grésivaudan. Notre petit groupe est composé d’un jeune berger qui effectue sa première saison à la Grande Sure (massif de la Chartreuse), d’une ancienne éleveuse, d’un guide de moyenne montagne en formation, d’un couple en vacances, Marie Lenglart, stagiaire de la Fédération des alpages et de Yannick Croisier, vétérinaire et moniteur en contention de l’Institut de l’élevage. Après une marche d’approche d’une heure au petit jour, nous arrivons au refuge communal du Mollard, à la Combe de Lancey. Chaque jour, le troupeau bovin de Roger Giraud est surveillé par le gardien du refuge où nous déjeunerons.
Jean-Marie Davoine commence par parquer une dizaine de vaches avec de la rubalise : « C’est une solution économique pour contenir les troupeaux, trop peu utilisée. Le vent fait bouger le ruban, et l’effet de surprise les maintient à distance. Les vaches ont un champ de vision étroit, mais elles ont peur des mouvements soudains et perçoivent bien les couleurs flashy. Quand on rentre dans un alpage, les gestes doivent être lents et assurés. »
A ce propos, le jeune berger témoigne d’une expérience désagréable : « J’ai eu un souci récemment avec trois coureurs habillés en fluo. Ils ont traversé à fond l’alpage au petit matin. Les charolaises affolées couraient devant eux mais malgré mes cris, ils ne se sont pas arrêtés. J’ai vraiment eu peur que ça se finisse mal », peste-t-il.
Est-il utile de rappeler que les chiens (même tenus en laisse) sont strictement déconseillés dans les alpages ? « Contrairement aux patous, ils surprennent les troupeaux. Lorsque les bêtes chargent, les chiens reviennent vers leur maître. C’est très dangereux. Chaque année, nous déplorons des accidents de ce type dans les Alpes et le Massif Central. De plus, les patous peuvent être très agressifs vis-à-vis des autres chiens », prévient Jean-Marie Davoine.
Autre détail à éviter absolument : les lunettes de soleil qui empêchent les vaches de capter la direction du regard. « Les animaux deviennent agressifs lorsqu’on les regarde dans les yeux », précise le formateur.
Premier exercice : avancer doucement vers le troupeau à reculons. Si on contrôle ses gestes, les vaches se déplacent de quelques pas et on entend les cloches s’éloigner calmement. Une fois au cœur du troupeau, on s’arrête. Certaines vaches s’approchent à 50 centimètres, reniflent l’intrus, quand d’autres feignent l’indifférence ou se figent. L’expérience est saisissante ! « Les randonneurs devraient toujours avancer à reculons, cela évite de croiser les yeux des vaches », plaisante Jean-Marie Davoine.
Un peu plus engageant, l’exercice du « veau mort » : deux personnes s’allongent face à terre au milieu du champ. « En général, il y a toujours une curieuse qui va s’approcher. Si elle estime que vous n’êtes pas dangereux, elle va vous renifler et peut-être même vous lécher. Ne bougez surtout pas et ne riez pas. Ensuite, vous vous relèverez doucement. Les vaches vont renifler votre odeur et la confiance sera établie pour toujours », annonce l’animateur. Deux courageux volontaires se lancent. Effectivement, une vache les fixe, réfléchit, cherche une contenance puis décide finalement de s’éloigner.
Le troupeau évoluera un moment autour d’eux, en faisant semblant de ne pas les voir. « L’exercice n’a pas fonctionné car il est un peu trop tard. Les bêtes sont plus réceptives après la rosée », regrette Jean-Marie Davoine.
Autre apprentissage essentiel : conduire une vache par le regard. Lorsqu’on fixe le haut du dos, la vache se décale immédiatement de trois mètres. Il suffit de maintenir fermement le contact pour la mener où l’on veut. Dès que la pression redescend, la vache bondit et s’éloigne. « Cela sert à trier les animaux et de cette façon, on peut même arrêter une vache qui charge ! Par contre, évitez absolument d’éloigner les mères de leurs veaux. De même, si une vache émet des cris de détresse, restez à l’écart. Les autres peuvent devenir agressives pour diminuer la tension », précise Jean-Marie Davoine.
Enfin, le dernier atelier (sans doute l’expérience la plus émouvante) consiste à former une ronde autour des vaches. Au bout d’un moment, les bêtes se concentrent au centre, têtes contre têtes. On peut alors s’approcher jusqu’à leur flanc. Une personne se colle alors contre une vache, tandis que les autres reculent.
Pour notre randonnée, comme nous n’étions pas assez nombreux, nous n’avons malheureusement pas pu faire cet exercice. Nous avons donc mené tranquillement les bêtes vers leur alpage du mois d’août…
En savoir plus : www.alpages38.org (site de la fédération des alpages de l’Isère) ; http://lessentiersdesbergersenbelledonne.fr (les sentiers des bergers en Belledonne, tout un choix d’itinéraires pour randonneurs, avec également une page dédiée au pastoralisme).
A lire : « domestiquer autrement » (La Cardère éditeur), ouvrage sorti en 2014 dont Jean-Marie Davoine est co-auteur. On le trouve notamment ici : http://www.amazon.fr/Domestiquer-autrement-homme-animal-extensif-confiance/dp/2914053738.
Réservations : 04 76 71 10 20 ou [email protected]. Prochains ateliers : le 10 août (La Ferrière d’Allevard, alpage du crêt du Bœuf), et le 13 août (Saint-Pierre d’Allevard, alpage du crêt du Poulet).
Ci-dessous : Jean-Marie Davoine, formateur à la fédération des alpages.
Ci-dessous, comment conduire le troupeau du regard. d’abord avec Jean-Marie Davoine…
… Puis avec l’ensemble du groupe.
Aller à reculons parmi les vaches pour se faire accepter, une technique qui prête à sourire mais efficace.
Trois prochaines photos : à plat ventre, jusqu’à l’arrivée de la curieuse.
Ci-dessous, deux photos prises avec d’autres groupes, de rondes autour des vaches (fournies par la fédération des alpages de l’Isère).