Le rapport annuel sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde, qui vient d’être publié, montre que le nombre de personnes sous-alimentées et leur proportion dans la population mondiale tendent à baisser. Une personne sur neuf dans le monde souffre néanmoins de faim chronique.
Comme chaque année depuis 1999 est publié au mois de septembre un rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde. Depuis quatre ans, ce rapport est élaboré par les trois institutions onusiennes en charge de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de l’alimentation, à savoir l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Programme alimentaire mondial (PAM).
La dernière édition de ce rapport permet de faire le point sur la situation de la faim dans le monde dans un contexte marqué par la dégradation de la sécurité alimentaire dans un certain nombre de pays en guerre, au premier rang desquels la Syrie et l’Irak, et dans la perspective de la Deuxième Conférence internationale sur la nutrition qui doit être organisée à Rome du 19 au 21 novembre conjointement par la FAO et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est présentée par la FAO comme « la première conférence intergouvernementale du XXIe siècle à être consacrée aux problèmes de nutrition dans le monde ». La première Conférence internationale sur la nutrition avait été organisée en 1992.
Que retenir de ce rapport ? Dix chiffres qui permettent de bien comprendre la situation de la faim dans le monde.
C’est le nombre de personnes sous-alimentées ou souffrant de faim chronique dans le monde durant la période 2012-2014. Cela représente un humain sur neuf. La faim ou la sous-alimentation chronique correspond selon la FAO à « un niveau d’apports alimentaires insuffisant pour satisfaire les besoins énergétiques d’un être humain ». Dans une telle situation, l’apport énergétique alimentaire qui est nécessaire à une personne pour pouvoir mener une vie saine et pratiquer une activité physique légère est en permanence inférieur à son besoin énergétique alimentaire minimal (BEAM). Ce BEAM diffère selon le sexe, le poids, l’âge et le pays de la personne en question. En France, par exemple, le BEAM est fixé par la FAO à 1 950 kilocalories par jour.
Lorsque l’on parle de faim dans le monde, on ne fait pas nécessairement référence à la famine, c’est-à-dire à la situation dans laquelle une population donnée, pour une raison ou pour une autre, n’a pas accès à la nourriture, mais bien à la faim chronique. Or, contrairement à une idée reçue, qui a dû être certainement renforcée par les situations de crises alimentaires que l’on pu connaître dans la période récente liées à une flambée des prix (2007-2008, 2010, 2012), le nombre de personnes souffrant de faim chronique tend à baisser en volume (voir le graphique 1) même si la population mondiale continue de croître de l’ordre de 80 millions d’habitants par an. Ce nombre a ainsi baissé de 125 millions par rapport à 2000-2002 et de 209 millions par rapport à 1990-1992. Cette population sous-alimentée se trouve principalement dans les pays en développement : 790,7 millions sur un total de 805,3 millions.
C’est le nombre de personnes sous-alimentées se trouvant en Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh, etc.), la région dans laquelle le nombre de personnes sous-alimentées était le plus élevé durant la période 2012-2014. Arrivent ensuite l’Afrique subsaharienne avec 214 millions de personnes souffrant de faim chronique et l’Asie de l’Est (principalement la Chine et la Corée du Nord) avec 161 millions. 81 % de la population sous-alimentée dans le monde se trouve dans ces trois régions.
C’est l’Asie de l’Est qui comptait le plus grand nombre de personnes souffrant de faim chronique en 1990-1992 avec un total de 295 millions. La baisse de ce nombre y a donc été particulièrement spectaculaire : elle a été de 45 % entre 1990-1992 et 2012-2014. Au total, 217 millions d’Asiatiques sont sortis de la sous-alimentation depuis 1990-1992. Le nombre de personnes souffrant de la faim a également baissé en Amérique latine. En revanche, il a augmenté de 24 % en Afrique durant cette même période.
C’est le nombre de personnes qui souffraient de faim chronique en Inde en 2012-2014, pays qui compte le plus grand nombre de personnes sous-alimentées dans le monde. Cela représente au total 15 % de la population indienne, mais aussi 24 % de la population sous-alimentée dans le monde. Même si la part de cette population est en baisse dans le pays – 15 % en 2012-2014, contre 24 % en 1990-1992 –, le nombre de personnes sous-alimentées, lui, n’a baissé que de 10 % sur la période en passant de 211 millions à 191 millions. Enfin, malgré le développement économique rapide de ces pays, la population souffrant de la faim en Inde et en Chine équivaut tout de même à 42 % de la population sous-alimentée dans le monde.
C’est le nombre de Chinois qui sont sortis de la sous-alimentation entre 1990-1992 et 2012-2014, ce qui représente une baisse de 48 %. En 1990-1992, c’est en Chine que l’on trouvait le plus grand nombre de personnes souffrant de faim chronique avec 288,9 millions de personnes, soit tout de même 28 % de la population sous-alimentée dans le monde. En pourcentage de la population, la population sous-alimentée chinoise représentait 24 % de la population totale en 1990-1992, contre seulement 11 % en 2012-2014. Ceci est lié au développement économique spectaculaire que le pays a connu durant les deux dernières décennies. Il n’en reste pas moins que la Chine continue d’être un pays plutôt pauvre puisque 151 millions de personnes y sont encore sous-alimentées, ce qui représente 19 % de la population souffrant de la faim dans le monde.
C’est la hausse la plus forte en pourcentage du nombre de personnes sous-alimentées dans un pays entre 1990-1992 et 2012-2014. Cette hausse s’est produite en Irak. En 1990-1992, seules 1,4 million de personnes souffraient de la faim dans le pays, soit 8 % de la population, elles étaient 7,9 millions en 2012-2014, soit 24 % de la population. La dégradation de la situation dans le pays depuis le début de l’année 2014 devrait encore aggraver sa sécurité alimentaire.
La guerre et l’instabilité apparaissent à l’évidence comme des facteurs d’insécurité alimentaire. Le nombre de personnes sous-alimentées a ainsi progressé de 123 % durant la période en Côte d’Ivoire ou de 101 % en Afghanistan. Il est à noter que l’édition 2014 du rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde ne donne aucun chiffre pour d’autres pays en guerre comme la Syrie ou la Somalie. La population sous-alimentée a également beaucoup progressé sur la période en Corée du Nord (+ 95 %).
C’est la proportion de la population d’Haïti souffrant de faim chronique en pourcentage de la population totale. Il s’agit du taux le plus élevé pour un pays dans les données fournies par le rapport des agences onusiennes (qui ne prennent pas en compte par exemple les résultats de la République démocratique du Congo, pays où cette proportion était également très élevée ces dernières années). Au total, 5,3 millions de personnes sont ainsi concernées par la sous-alimentation en Haïti. Cela représente également 71 % de la population sous-alimentée de la région des Caraïbes. Cette proportion est néanmoins en baisse puisqu’elle se situait à 61,1 % en 1990-1992. Ceci est lié bien entendu à l’extrême pauvreté de la population, mais aussi à un certain nombre de catastrophes naturelles (séisme de 2010, ouragan Sandy en 2012) qui ont contribué à déstabiliser une économie nationale très fragile, même si l’agriculture emploie 50 % de la population active et représente 25 % du PIB du pays.
C’est l’objectif de baisse de moitié de la proportion des personnes sous-alimentées dans le monde entre 1990 et 2015 décidé par les chefs d’Etat et de gouvernement réunis au siège des Nations unies à New York en 2000 dans le cadre du Sommet du Millénaire. Cet objectif est donc l’un des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Selon la FAO, le FIDA et le PAM, celui-ci devrait pouvoir être tenu à l’échelle mondiale si le rythme de réduction annuelle que l’on a pu observer depuis 1990-1992 se poursuit, à savoir une baisse de 0,5 %. Il est déjà atteint pour 63 pays (6 autres pays pourrait y parvenir en 2015) et pour quelques régions qui se sont développées rapidement sur le plan économique durant cette période (Asie de l’Est, Asie du Sud-Est, Amérique latine-Caraïbes). Le rapport sur L’Etat de l’insécurité dans le monde de 2014 indique, en effet, que l’accès à la nourriture a été grandement amélioré dans les pays qui ont connu une croissance économique rapide comme ce fut le cas de l’Asie de l’Est et du Sud-Est.
Cet objectif de réduction de moitié est également l’objectif qui a été fixé par le Sommet mondial de l’alimentation de 1996, mais cette fois pour la réduction du nombre, et pas seulement de la proportion, de personnes souffrant de faim chronique entre 1990-1992 et 2015. Si 25 pays ont déjà réussi à réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées, les trois agences onusiennes se montrent plus pessimistes pour l’ensemble du monde. Elles estiment, en effet, que cet objectif ne devrait pas pouvoir être atteint, notamment en raison des progrès insuffisants réalisés sur le continent africain.
C’est la part de la population sous-alimentée en Afrique subsaharienne en pourcentage de la population totale. Elle est la région dans laquelle cette part est la plus élevée dans le monde. Elle est suivie par les Caraïbes (20,1 %), notamment en lien avec la situation d’Haïti, et l’Asie du Sud (15,8 %). La proportion de la population sous-alimentée a néanmoins baissé en Afrique subsaharienne entre 1990-1992 et 2012-2014 puisqu’au début de la période un tiers de cette population souffrait de faim chronique. En 1990-1992, c’était déjà en Afrique subsaharienne que cette proportion était la plus élevée. Au total, un quart de la population sous-alimentée dans le monde vit en Afrique.
C’est la proportion des personnes sous-alimentées dans le monde en pourcentage de la population totale. Cette proportion tend à baisser depuis quelques décennies. Elle est ainsi passée de 18,7 % en 1990-1992 à 11,3 % en 2012-2014 (voir Graphique 2). Cette baisse est encore plus spectaculaire pour les pays en développement sur la même période puisqu’elle est passée de 23,4 % à 13,5 %, soit une baisse de 42 %. Cette baisse se concentre en Asie du Sud-Est (- 66 % sur la période), en Amérique latine (- 64 %) en Asie de l’Est (- 53 %). Elle a été également spectaculaire dans certains pays, y compris d’Afrique subsaharienne : – 72 % en Angola, au Cameroun, au Pérou et au Vietnam, – 73 % au Myanmar (Birmanie), – 75 % à Djibouti, – 79 % en Arménie, – 81 % en Thaïlande et – 83 % en Géorgie. En Chine, cette baisse a été de 55 %. C’est en Irak que la proportion de personnes sous-alimentées a le plus augmenté durant la période avec une progression de 199 %.
C’est le nombre de personnes sous-alimentées que l’on doit atteindre dans le monde d’après le « Défi Faim zéro », qui implique 100 % d’accès à l’alimentation, mais aussi zéro enfant de moins de deux ans souffrant d’un retard de croissance et zéro perte ou gaspillage de produits alimentaires. Ce défi a été lancé par les Nations unies en 2012. Il s’inspire en particulier de la réussite du programme « Faim zéro », qui avait été mise en place au Brésil sous la présidence de Lula à partir de 2003 et qui a contribué à réduire la faim dans le pays et notamment la malnutrition infantile. Entre 2000-2002 et 2004-2006, la part de la population brésilienne sous-alimentée est ainsi passée de 10,7 % à moins de 5 %.
En 2013, la Communauté d’Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) a d’ailleurs été la première organisation régionale à faire de l’éradication de la faim d’ici 2025 un objectif. En juin 2014, ce fut au tour de l’Union africaine de décider de faire de la fin de la faim en Afrique un objectif à l’horizon 2025.
En savoir plus : www.fao.org/docrep/019/i3434f/i3434f00.htm (version 2014 en ligne du rapport sur L’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde), www.fao.org/hunger/fr/ (partie du site de la FAO consacrée à la faim dans le monde), www.fao.org/about/meetings/icn2/fr/ (partie du site de la FAO consacrée à la Deuxième Conférence internationale sur la nutrition), www.un.org/fr/zerohunger/#&panel1-1 (site du Défi Faim zéro), www.un.org/fr/millenniumgoals/ (site des Objectifs du Millénaire pour le développement).