Le statut juridique des animaux suscite de légitimes inquiétudes dans les mondes agricole et rural. Une conférence a d’ailleurs été organisée sur ce sujet le 8 juillet dernier à Paris par le think thank agricole Saf Agr’iDées.
Rappel des faits : le 15 avril dernier est adopté par l’Assemblée nationale un amendement présenté par des députés de la majorité, au premier rang desquels on pouvait trouver Jean Glavany, l’ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche du gouvernement Jospin de 1998 à 2002, dans le cadre d’un projet de loi de modernisation et de simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Celui-ci modifie le code civil en indiquant que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ». Son objectif affirmé est d’harmoniser le code civil avec le code rural et le code pénal qui reconnaissent de façon explicite ou implicite les animaux comme des « êtres vivants et sensibles », alors que le code civil ne les reconnaissait jusqu’à présent que comme des « biens meubles » (au sens de bien mobile, et non d’un meuble en tant que tel bien évidemment). Pour les promoteurs de l’amendement, celui-ci n’a aucune conséquence juridique.
Parallèlement, le groupe d’études sur la protection animale de l’Assemblée nationale présidé par la députée socialiste Geneviève Gaillard a présenté fin avril une proposition de loi accordant un statut juridique particulier à l’animal. Or, il ne semble pas y avoir eu de coordination entre les deux initiatives parlementaires. Le groupe d’études sur la protection animale a d’ailleurs publié un communiqué de presse suite à l’adoption de l’amendement Glavany dénonçant « une fausse étape pour la condition animale car aucun effet juridique n’y est attaché laissant subsister la suprématie du droit de propriété et l’application du droit des biens corporels ». La députée EELV Laurence Abeille, qui a cosigné la proposition de loi dite Gaillard avec d’autres députés et qui est la vice-présidente du groupe d’études sur la protection animale, explique ainsi sur son site internet que « cet amendement a été rendu public la veille de l’examen du texte, sans aucune concertation avec les associations ou les parlementaires, notamment les parlementaires du groupe d’études sur la protection des animaux qui s’apprêtaient à déposer un texte bien plus ambitieux sur le statut de l’animal ». Celle-ci avait d’ailleurs présenté seule ou avec d’autres parlementaires des sous-amendements à l’amendement Glavany, qui ont été soutenus par Geneviève Gaillard, mais qui ont été rejetés par l’Assemblée.
La proposition de loi Gaillard accordant un statut juridique particulier à l’animal reprend en grande partie les sous-amendements à l’amendement Glavany qui n’avaient pas été adoptés. Elle propose d’insérer dans le code civil à l’article 515-14 le fait que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Ils doivent bénéficier de conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et assurant leur bien-être/bien-traitance » et à l’article 515-15 le fait que « L’appropriation, la mise à disposition, la transmission ou le louage des animaux s’effectuent conformément aux dispositions législatives applicables aux textes spécifiques du code rural et de la pêche maritime, et dans le respect des impératifs biologiques de leur espèce ». A ce jour, cette proposition de loi n’a pas été adoptée et semble susciter peu d’enthousiasme chez les députés.
Qu’est-ce que cela change, notamment pour le monde agricole et plus particulièrement pour les éleveurs ? C’est le thème de la conférence qui a été organisée le 8 juillet dernier à Paris par Saf Agr’iDées sous le titre : « Statut juridique des animaux : quelles implications pour des êtres vivants dotés de sensibilité ? »
Plusieurs idées sont à retenir de cette conférence. La première est que, pour les juristes et avocats qui y sont intervenus, l’amendement Glavany ne change rien de façon fondamentale, même s’il contribue à donner des gages aux associations de protection des animaux. En revanche, si la proposition de loi Gaillard n’a pas été encore adoptée, elle n’en met pas moins ce que le juriste Gilles J. Martin a appelé un « pied dans la porte ». Elle représenterait ainsi une menace potentielle dans un premier temps pour la corrida et certaines pratiques de chasse.
L’influence des associations de protection des animaux sur cette proposition de loi est d’ailleurs palpable. Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi Gaillard, ses promoteurs expliquent ainsi que « la présente proposition de loi reprend l’attente constante de l’opinion publique pour l’ouverture d’un débat public sur le statut juridique accordé à l’animal dans notre pays ». Ce débat public a été notamment porté par la fondation 30 millions d’amis qui avait lancé une pétition en 2012 intitulée Pour un nouveau statut juridique de l’animal et signée par plus de 700 000 personnes, mais aussi par 24 intellectuels français, sous l’égide de cette même fondation, qui ont publié un manifeste Pour une évolution du régime juridique de l’animal dans le code civil reconnaissant sa nature d’être sensible. On pouvait retrouver parmi eux des auteurs très prisés du public comme le psychiatre Christophe André, l’éthologue Boris Cyrulnik, les philosophes Alain Finkielkraut, Michel Onfray, André Comte-Sponville ou Luc Ferry, ou encore le sociologue Edgar Morin et les écrivains Erik Orsenna et Didier Van Cauwelaert.
La deuxième idée à retenir des interventions faites lors de la conférence de Saf Agr’iDées est que la question du statut juridique des animaux constitue, qu’on le déplore ou pas, le symptôme d’un véritable phénomène de société, qui ne concerne pas seulement la France, loin de là. On aurait tort, en effet, de ne voir dans ces initiatives parlementaires que le résultat de l’influence pernicieuse sur l’actuelle majorité d’associations de protection des animaux ou d’associations de végétariens.
La proposition de loi Gaillard n’a ainsi pas été faite uniquement par des députés socialistes et écologistes, mais aussi par des députés UMP ou apparentés, tels que Patrick Balkany, Frédéric Lefebvre, Lionnel Luca ou Alain Marsaud. On peut d’ailleurs remarquer que sur les 17 députés qui ont présenté cette proposition de loi, il y en avait pas moins de 9 qui étaient de droite et de centre-droit.
Les avocats du cabinet spécialisé Alinea ont également bien montré que la reconnaissance d’un statut et d’une sensibilité de l’animal est un phénomène assez généralisé dans les pays développés et notamment au sein de l’Union européenne. Le traité de Lisbonne en vigueur dans l’UE depuis décembre 2009 a ainsi introduit l’expression « en tant qu’êtres sensibles » après « bien-être des animaux ». L’article 13 du traité sur le fonctionnement de l’UE (en clair, le traité de Rome modifié par le traité de Lisbonne) stipule ainsi que « lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et l’espace, l’Union et les Etats membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des Etats membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux ».
Tout ceci semble être le résultat d’une évolution du rapport que des sociétés développées très largement citadines entretiennent avec les animaux, principalement les vertébrés. Il convient tout d’abord de noter que, selon le ministère de l’Agriculture, il y aurait ainsi plus de 18 millions de chiens et de chats en France et que près de deux tiers des foyers possèderaient un animal de compagnie. Par ailleurs, d’après l’Insee, les dépenses pour les animaux de compagnie (et le jardinage) s’élevaient à 13,9 milliards d’euros en 2012, soit davantage que les dépenses de presse et de livres, ou de jeux, jouets et articles de sport. Il s’agit même de la seconde dépense culturelle et de loisirs des Français.
Cela se traduit d’abord par un soutien très largement majoritaire de l’opinion à la modification du droit civil. Un sondage Ifop pour 30 millions d’amis publié en octobre 2013 indiquait ainsi que pour 86 % des Français interrogés, il était anormal que les animaux continuent d’être considérés aujourd’hui comme des « biens meubles » dans le Code civil, que 89 % seraient favorables à une modification du Code civil et que 82 % considéraient que les associations et fondations œuvrant pour la protection des animaux ont raison de faire du changement du statut juridique de l’animal une cause prioritaire.
Cela se traduit également par des attentes en termes de « bien-traitance » des animaux faisant l’objet d’une consommation alimentaire ou par exemple vis-à-vis des animaux de laboratoire. Selon un sondage CSA pour France Nature Environnement paru en février 2014, 94 % des personnes interrogées souhaitaient que les produits issus d’animaux élevés en batterie ou sans accès au plein air le signalent sur leur emballage. On peut mentionner enfin l’écho important accordé ces dernières années aux thèses défendues par des végétariens, comme le chroniqueur de télévision Aymeric Caron, qui a publié en 2013 No Steak (Fayard), ou Jonathan Safran Foer, dont le livre Faut-il manger les animaux ? (éditions de l’Olivier) paru en France en 2012 a été un best-seller.
Cette évolution semble être également confortée par de nombreux travaux scientifiques qui tendent à démontrer la sensibilité des animaux, notamment à la douleur. Ainsi, une étude visant à identifier et à étudier les douleurs animales, en l’occurrence des animaux d’élevage, a été publiée par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) en 2009. Même si le rapport explique qu’il « se situe dans une position d’acceptation du bien-fondé de l’élevage et de ses finalités », il n’en conclut pas moins que « des pratiques d’élevage peuvent être sources de douleurs », et notamment que « certains systèmes augmentent les risques d’apparition de douleurs du fait, en particulier, de la limitation de l’espace, d’un environnement pauvre, du risque de déséquilibre nutritionnel ou physiologique induit par certains pratiques, qui visent à exploiter au maximum le potentiel de l’animal et d’un milieu social instable ».
La troisième idée qui ressort de la conférence de Saf Agr’iDées est que le monde agricole ne doit pas se voiler la face et pratiquer la « politique de l’autruche » en la matière, selon l’expression de Carole Zakine, responsable territoires et développement durable de Saf agri-iDées, en refusant de voir l’évidence.
Il existe, en effet, de vrais risques potentiels liés au statut juridique de l’animal, notamment pour les éleveurs et les chasseurs. Le premier est l’instrumentalisation de ces nouvelles dispositions par les associations de protection des animaux, voire par les associations végétariennes, avec dans un premier temps une pression en faveur de la suppression de la corrida et de certaines pratiques de chasse, puis potentiellement dans un second temps en faveur de la suppression de la chasse en général et de l’élevage intensif ou même du cirque et des zoos sur la base d’une interprétation extensive des notions de « bien-être animal » et de « respect des impératifs biologiques de l’espèce », les plus radicaux revendiquant quant à eux un droit à la vie de l’animal ou même l’abolition de toute forme d’élevage, comme le font les végans.
A minima, le risque pour les éleveurs réside dans la multiplication des normes relatives au « bien-être » de l’animal susceptibles de constituer un important facteur de coût. Le cabinet Alinea a ainsi évalué le coût de la mise aux normes « bien-être » des truies gestantes de 200 à 1 200 euros par truie selon la méthode choisie.
Le second risque est de refuser de s’adapter à cette nouvelle donne ou de ne pas bien la saisir comme le contre-exemple des poules pondeuses a pu le montrer. Ainsi que l’affirme Gilles Martin, « en disant « ne lâchons rien », on risque de tout lâcher ! » car, pour reprendre l’expression d’un vétérinaire présent dans le débat, la « ligne Maginot » n’est pas la bonne approche. Les avocats du cabinet Alinea expliquaient, en effet, que dans d’autres pays, les filières de production d’œufs avaient misé sur le bien-être animal, ce qui ne fut pas le cas en France. Résultat, on a une surproduction d’œufs de poules pondeuses en France, alors que les consommateurs plébiscitent les œufs de poules élevées en plein air.
Les différents intervenants se sont donc accordés sur l’idée selon laquelle le monde agricole devait peser sur un débat sur lequel il est jusqu’à présent largement absent, alors que la prise de parole est principalement le fait d’associations de protection des animaux dont le point de vue est très souvent relayé par les médias en raison de la charge émotionnelle que ces questions suscitent (il est intéressant de noter à ce propos que pour illustrer les articles sur le sujet, la presse ou les associations publient de façon quasi systématique la photo de chatons ou de jolis petits chiens…). Il doit le faire en particulier à propos de la question de la compatibilité entre l’élevage et les notions pas toujours très claires d’« impératifs biologiques de l’espèce », ou de « souffrance utile » ou « raisonnable ».
Au bout du compte, on peut avoir l’impression, en effet, que les mondes agricole et rural sont comme tétanisés face à une société qu’ils ne comprennent plus et qui ne les comprend plus non plus, alors que, comme l’on dit plusieurs intervenants, ce débat doit être aussi l’occasion de redéfinir l’utilité sociale de l’élevage ou le rôle de régulation de la chasse.
En savoir plus : www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1808/AN/59.asp (amendement Glavany), www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1903.asp (proposition de loi Gaillard), www.laurence-abeille.fr/statut-juridique-de-lanimal-un-premier-pas-est-franchi-mais-un-premier-pas-seulement/ (site de la députée EELV Laurence Abeille), www.agriculteursdefrance.com/ (site de Saf Agr’iDées), www.30millionsdamis.fr/jagis/signer-la-petition/je-signe/22-pour-un-nouveau-statut-juridique-de-lanimal/ (pétition de la Fondation 30 millions d’amis), www.30millionsdamis.fr/fileadmin/user_upload/actu/10-2013/Manifeste.pdf (manifeste des 24 intellectuels), http://agriculture.gouv.fr/Animaux-de-compagnie (données du ministère de l’Agriculture sur le nombre d’animaux de compagnie en France), www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF05468 (chiffres de l’Insee sur les dépenses pour les animaux de compagnie), www.ifop.com/media/poll/2380-1-study_file.pdf (sondage Ifop pour 30 millions d’amis sur le droit de l’animal), www.csa.eu/multimedia/data/sondages/data2014/opi20140221-Les-Francais-et-la-tracabilite-des-produits-alimentaires.pdf (sondage CSA pour France Nature environnement sur la traçabilité des produits issus d’animaux élevés en batterie), http://www6.paris.inra.fr/depe/Projets/Douleurs-animales (étude de l’INRA de 2009 sur les douleurs animales).
Notre photo ci-dessous est issue de la page Facebook Agriculture du Québec, https://www.facebook.com/pages/Agriculture-du-Quebec/198077120302513.
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La reconnaissance d’un statut juridique sur la sensibilité animale, son bien-être en tant qu’être sensible concerne les comportements qu’exerce l’homme sur l’animal.
Qu’en est-il de cette sensibilité, de ce bien-être et de ces souffrances quand ils sont exercés par d’autres animaux ? Ceux-là même ultras protégés par ces mêmes associations de défense des animaux ?
Comment se fait-il que ces associations, ces penseurs, essayistes, élus oublient à ce point ce que subissent depuis 20 ans les animaux d’élevage confrontés à la présence du loup ?
Ce qui était la quintessence même du bien-être animal, sa liberté, sa sérénité, sa plénitude est devenue avec l’aide de ces mêmes personnes un véritable calvaire pour les bêtes ; obligées d’êtres parquées chaque nuit ‘avec la recrudescence de pathologies liée à cette pratique concentrationnaire) alors qu’elles profitaient auparavant des heures crépusculaires et matinales pour paître alors qu’aux heures chaudes elles se réfugient à l’ombre, être constamment en état de stress après une attaque, devenues méfiantes avec les chiens de travail comme ceux de protection ou êtres mutilées durant plusieurs heures avant d’être enfin achevées fait désormais partie du quotidien, ce qui n’est plus une exclusivité des estives mais dans tous les départements où ce prédateur est désormais présent !