« Le séchoir à grains nous apporte plus d’autonomie pour nos ventes ainsi que pour la gestion de l’alimentation de nos animaux », explique Laurent Etienne.
Au Gaec du Buisson dans le Perche, les associés ont mis en place un séchoir à plaquettes de bois déchiqueté. Ils estiment ainsi gagner entre 10 et 15 €/t sur le prix de vente. Par ailleurs, le séchage lent améliore la qualité de l’amidon. Décryptage.
Avoir de bons rendements en maïs grain c’est bien. Mais une fois la récolte venue, il est souvent d’usage d’envoyer toute sa production au séchoir du négociant ou de la coopérative. L’opération peut ensuite se traduire par une moins bonne maîtrise de ses ventes. En outre, la facture de séchage est souvent importante et le carburant utilisé est presque toujours d’origine fossile. Pour résoudre ces problématiques dans une logique de développement durable et d’économie circulaire, les associés du Gaec du Buisson, à Saint-Fulgent-des-Ormes dans le Perche ornais (61) ont investi en 2014 dans une cellule de séchage des grains couplée à un générateur d’air chaud fonctionnant aux plaquettes de bois déchiquetées. Ils sèchent ainsi chaque année environ 900 tonnes de maïs. Ponctuellement, les agriculteurs sèchent également du blé lorsque les conditions de récolte sont humides comme ce fut le cas en 2020. L’investissement dans l’outil avait d’ailleurs été pensé, dès le départ, pour pouvoir également sécuriser la qualité dans l’optique de pouvoir honorer les contrats de blé meunier.
116 q/ha en 2021
Au sein du Gaec, la culture du maïs prend une place particulière avec entre 60 et 80 hectares semés chaque année sur un assolement total de 360 ha. Le maïs – dont 30 ha sont réservés pour l’ensilage de maïs épi à destination entre autres du troupeau de 75 vaches laitières Prim’Holstein, est semé uniquement dans les meilleures terres afin de garantir un rendement optimal dans ce secteur où il n’y a pas d’irrigation. En 2021, les agriculteurs ont ainsi produit un rendement en grain normalisé de 116 quintaux par hectare. Ce rendement a ensuite chuté fortement en 2022 du fait de la sécheresse à un niveau de 66 quintaux par hectare.
Ces dernières années, les agriculteurs n’hésitent plus à semer le maïs à la suite d’une culture hivernale de méteil à ensiler composée principalement de vesce, de seigle et de trèfle incarnat. Cette année, ce sont soixante hectares de maïs qui seront ainsi semés derrière un méteil. Pour un bon démarrage, les agriculteurs apportent un engrais « starter » au semis composé de 18-46, complété avec des apports d’engrais liquide azoté enterré dès le semis. Des effluents d’élevage composés de lisier et de fumier sont également épandus avant les implantations. Comme beaucoup, les producteurs font face à une recrudescence des problématiques de ray-grass et de vulpins résistants qu’ils gèrent, le cas échéant, avec une application en prélevée et deux applications de post-levées complétées par le recours de la bineuse de la Cuma lorsque les infestations sont trop importantes.
Plus les semis sont précoces et plus le risque d’attaque de mouche du semis ou de taupins est pris au sérieux. Une protection est apportée au semis le cas échéant et selon la hauteur du risque évalué en fonction des conditions météorologiques. Le risque de pyrale est également géré par un système de biocontrôle avec des insectes auxiliaires. « Cela fonctionne très bien mais il nous faut de la main d’œuvre », souligne Laurent Etienne qui pilote la culture du maïs et le séchoir au sein de l’exploitation. Il faut en effet pouvoir déposer une dose tous les 400 m². Le risque pyrale nécessite parfois également une intervention aux stades avancés du maïs avec idéalement un automoteur pour pouvoir enjamber les rangs. Dans une rotation schématiquement composée de blé-maïs-blé-betterave, les producteurs adaptent le travail du sol et la technique de semis en ayant parfois recours au strip-till.
Ayant un usage mixte du maïs pour l’ensilage en épi ou pour la production de maïs grain, les producteurs s’orientent aujourd’hui à 100 % vers des variétés typées maïs grain avec un indice de précocité entre 280 (groupe 1) et 320 (groupe 2). « C’est plus compliqué de faire l’inverse ; de passer du maïs à ensiler en maïs grain, souligne Laurent. Par ailleurs nous avons de très bons résultats d’analyse des valeurs alimentaires de variétés de maïs grain en ensilage ».
L’installation a été construite en 2014 pour un coût de 110 000 € hors subventions.
Gain sur la vente
Les producteurs sèchent chaque année environ 900 t de maïs grain. Parmi ces 900 t, 45 t sont consacrées à la fabrication d’un aliment à la ferme servant entre autres pour l’alimentation au robot des vaches laitières. Une autre partie est séchée en prestation de service et le reste est stocké pour être ensuite revendu sur le marché. Les agriculteurs estiment gagner ainsi entre 10 et 15 € sur le prix de vente en comparaison aux ventes réalisées à l’issue d’un dépôt aux silos des organismes stockeurs.
La puissance de chauffe au bois de la station de séchage est de 720 kWh. Les ventilateurs fonctionnent cependant nécessairement à l’électricité pour une consommation, de 1 000 € par an qui s’élèvera sans doute à 3 000 € en 2023 du fait de l’inflation sur les prix de l’énergie. « Pour limiter la facture électrique, la saison de séchage sera sans doute un peu plus précoce cette année. Nous visons un arrêt au 30 octobre pour pouvoir bénéficier de tarifs inférieurs », anticipe Laurent. La saison de séchage dure pour les éleveurs environ un mois et demi par an et se termine généralement en fin de première semaine de novembre. Sur cette période, Laurent consacre à peu près la moitié de son temps à cette activité. « Le temps de travail ne doit pas être négligé ! », insiste-t-il. En moyenne, le séchage permet de gagner de 2 à 2.5 points d’humidité par jour au sein de la cellule de 180 t. Chaque lot met ainsi entre 5 et 10 jours en moyenne pour passer de 30% d’humidité jusqu’à la norme de 15%. Les producteurs sèchent environ 5 lots dans l’année. Une fois séché, le maïs est transféré dans une cellule de stockage Westeel adossée à l’exploitation. La capacité totale de stockage du Gaec est de 1000 t de grains. L’unité de séchage peut elle-même servir de stockage à la fin de la saison de séchage.
Homogénéiser
Pendant le séchage, le brassage du grain est nécessaire pour une homogénéité suffisante. Il est réalisé par des systèmes de vis verticales sur toute la hauteur de la cellule. Celles-ci tournent autour de l’axe de la cellule et se déplacent du centre vers les côtés. Cependant, pour plus d’homogénéité, Laurent est toujours amené à sous-tirer pour chaque cycle une benne de grains du fond de la cellule pour la replacer au-dessus. Le remplissage de la cellule se fait par le haut grâce à une vis à grains. Un système de projection à ailettes lors du remplissage est sensé ne pas produire de cône et optimiser ainsi le volume de séchage effectivement utilisé. Cependant ce système est imparfait et il faut parfois attendre que le brassage se fasse par les vis verticales pour pouvoir intégrer les dernières bennes. En outre, le système de remplissage fait que les grains brisés se trouvent systématiquement au centre. Ce détail complique encore l’homogénéisation du séchage.
Les éleveurs ont ainsi investi dans un humidimètre qui leur permet de suivre finement la progression du séchage au cours des cycles. « Toute la difficulté est de trouver le bon moment pour stopper le générateur d’air chaud, explique Laurent Etienne. Il ne faut pas attendre que le maïs atteigne la norme pour stopper le séchage. Car une fois la chauffe arrêtée, le maïs continue de se déshumidifier par inertie ». Dans la cellule, le séchage se fait à relativement basse température, autour de 60°C. « Ainsi, l’amidon est préservé comparativement à d’autres pratiques de séchage à plus grande échelle et à plus forte température (130 °C) », complète l’agriculteur. Néanmoins les producteurs n’ont, pour l’heure, pas trouvé de marché qui valorise ce gain qualitatif.
25 000 l/an de fuel évités
La cellule de séchage Suku, d’une capacité de 180 t est de conception canadienne. L’air chaud est pulsé par-dessous et sur les côtés. « Nous avons prévu une grille fine sur le plancher afin de pouvoir sécher éventuellement du colza, mais cela n’a jamais été nécessaire depuis 2014 », mentionne Laurent. Le générateur d’air chaud de construction italienne est alimenté par une réserve tampon de 30 mètres cubes de plaquettes de bois déchiqueté. Cette réserve qui assure une autonomie de quelques jours est remplie par les agriculteurs au télescopique à partir des cellules de stockage de bois situées à proximité. Le besoin en plaquettes de bois est d’environ 250 mètres cubes pour une saison complète de séchage. « L’énergie bois nous permet d’éviter une consommation équivalente à 25 000 l de fuel, souligne Laurent. C’est l’équivalent d’une semi-remorque complète ! ».
D’expérience, les agriculteurs font sécher les plaquettes pendant un an et demi. « La combustion doit être parfaite et ne surtout pas faire de fumées », justifie Laurent. En théorie, six mois suffisent pour sécher les plaquettes car celles-ci chauffent dans le tas et sèchent d’elles-mêmes. Cependant des difficultés de combustion ont été résolues en faisant sécher plus longtemps. Cela nécessite donc de la place et d’ailleurs quatre travées de hangar y sont consacrées. « En outre il faut être vigilant au stockage pour absolument éviter de contaminer les plaquettes avec des pierres, de la terre ou d’autres corps étranger », alerte Laurent Etienne.
Pour se fournir en bois, les agriculteurs ont réalisé initialement un plan de gestion durable de leurs haies. Cependant, la plupart du temps, le bois provient de l’extérieur, de la part de personnes qui leur proposent du bois sur pied à venir enlever. Pour le chantier de récolte, les producteurs font appel à une entreprise de travaux agricoles. « Il est important que les plaquettes soient issues de bois assez gros. On ne peut pas se contenter du petit bois par exemple laissé après avoir retiré les gros troncs, détaille l’éleveur. Il faut à peu près une haie de 25 ans d’âge pour avoir de bonnes plaquettes ».
Après une petite dizaine d’années de recul, Laurent estime que le système de séchage autonome au bois est un choix qui reste gagnant malgré les contraintes d’assurer le fonctionnement de cet équipement. Le coût de fonctionnement est estimé à environ 15 – 16 K€ sur l’année dont 9 000 € d’amortissement (subventions de 30 % à la construction déduites).
Loïc Dufour