L’association Solidarité paysans a publié au mois de mars un rapport sur les souffrances des agriculteurs. Il démontre que les difficultés auxquelles les agriculteurs sont confrontées ne sont pas seulement financières, mais également de nature relationnelle (conflits, isolement, etc.).
L’association Solidarité paysans a publié en mars dernier un rapport intitulé Des agriculteurs sous pression : une profession en souffrance. Celui-ci est présenté comme un Rapport d’étude sur les mécanismes psychosociaux en jeu chez les agriculteurs en difficulté. Il a été notamment soutenu par le ministère de l’Agriculture.
Solidarité paysans est une association qui se définit comme un « réseau d’associations départementales de défense et d’accompagnement des paysans en difficulté », présente dans 64 départements. Elle a été créée dans les années 1980 par des agriculteurs en difficulté ou bien solidaires, membres de la Confédération paysanne et des Chrétiens en monde rural (CMR). Elle s’est fait principalement connaître pour son aide apportée aux agriculteurs endettés.
Proche de la Confédération paysanne – Solidarité paysans et la Confédération ont leur siège respectif à la même adresse à Bagnolet –, elle s’oppose au modèle d’agriculture impulsé par la Politique agricole commune (PAC) et les lois d’orientation agricole de 1960-1962. Au-delà de l’orientation générale de Solidarité paysans, le rapport publié paraît être assez symptomatique du mal-être actuellement vécu par bon nombre d’agriculteurs.
Il s’agit, en effet, d’une étude qui a été réalisée en 2015 dans trois régions : Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d’Azur. Elle se présente comme « la phase exploratoire d’un projet pluriannuel relatif à l’accompagnement psychosocial des agriculteurs rencontrant des difficultés sur leur exploitation ». Ce projet doit couvrir la période 2015-2019. Il s’appuie pour cela sur une série de 22 entretiens assez longs – entre 35 minutes et 2 heures – menés auprès de 27 exploitants agricoles ou proches d’exploitants qui, d’après l’étude, vivent ou ont vécu « une période délicate » et montrent « des signes de souffrance psychique ». Les types d’exploitation des agriculteurs concernés se répartissent de la façon suivante : 11 exploitations en bovins lait, 2 en polyculture bovins viande, 1 en ovins, 1 en caprins, 1 en polyculture élevage et 1 en viticulture. Cette série d’entretiens avec des agriculteurs en difficulté a été complétée par des entretiens avec des professionnels engagés auprès d’exploitants agricoles : avocats, responsables MSA, psychologue, psychiatres, personnel de chambre d’agriculture ou d’agence régionale de santé, etc.
Le rapport de Solidarité paysans vise à « prévenir l’aggravation des troubles de santé mentale des agriculteurs en difficulté ». Ses auteurs indiquent, en effet, que la santé mentale des agriculteurs interrogés est « fragilisée » en se basant sur la définition de la santé mentale effectuée dans le Livre vert de la Commission européenne (Améliorer la santé mentale de la population. Vers une stratégie sur la santé mentale pour l’Union européenne, 2005) : « état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté ». Cette fragilisation de la santé mentale des agriculteurs en difficulté s’explique par le fait qu’ils doivent faire face à différentes formes de pressions, les principales étant les fortes pressions familiales, financières et du travail par lui-même.
Les agriculteurs interrogés, qui ont très majoritairement repris l’exploitation familiale (18 sur 27), évoquent très souvent une pression familiale qui « s’exerce à travers l’idée de garder le patrimoine ou de continuer l’exploitation malgré les dettes ». Cette notion de pression est d’autant plus présente que la situation a été subie par l’agriculteur : « l’exploitant est agriculteur comme son père, son oncle ou son grand-père, avec un patrimoine à conserver et un savoir-faire familial dont il faut se montrer à la hauteur » et n’a pas toujours pu choisir cette situation. Cette pression se traduit également par la motivation de transmettre à son tour ses terres à ses enfants. Il est à noter que les agriculteurs qui refusent que leurs enfants reprennent l’exploitation, compte tenu des difficultés du métier, sont au final peu nombreux.
Une autre forme de difficulté rencontrée par les agriculteurs interrogés réside souvent dans les faibles marges de manœuvre dans les décisions par rapport à leur père pour ceux qui reprennent l’exploitation. Le rapport indique que cela peut constituer un facteur de risque pour la santé physique et mentale.
Dans ce rapport, les principaux problèmes auxquels les agriculteurs sont confrontés sont les difficultés financières, avec en premier lieu l’endettement (avec des difficultés, si ce n’est l’impossibilité, d’honorer les échéances de remboursement), ensuite la pression exercée par les créanciers (banques ou fournisseurs) et enfin le manque de revenu pour la famille. Ceci est lié bien entendu au fait que les questions d’endettement ont été celles qui ont amené la plupart des agriculteurs interrogés à faire appel à Solidarité paysans. Ces agriculteurs sont endettés car ils ont engagé un investissement trop important, ils manquaient de trésorerie pour réaliser des travaux de mise aux normes ou tout simplement parce que les prix de vente sont insuffisants par rapport aux charges.
Les difficultés financière rencontrées par ces agriculteurs sont bien tangibles étant donné que, parmi les agriculteurs interrogés, 8 familles vivent du RSA (soit à peu près un tiers des exploitants interrogés), 3 ont arrêté l’exploitation, 2 vivent avec la retraite d’un parent, et 2 ont un conjoint qui travaille en dehors de l’exploitation. Il en ressort très souvent chez eux l’idée selon laquelle ils « travaillent pour rien ».
Les agriculteurs interrogés mentionnent ensuite les conflits comme origines de leurs problèmes. D’ailleurs, plus globalement, on s’aperçoit que les difficultés de nature relationnelle jouent un rôle très important dans leur mal-être. Or, la première source de conflit est de nature familiale, en premier lieu avec le père qui continue à conserver une forte emprise sur l’exploitation. Les autres types de conflits se produisent avec l’ex-conjoint (à propos des enfants), l’associé (le rapport indique à ce propos que les conflits sont la première cause de ruptures de GAEC) ou un voisin.
Un autre constat qui ressort de cette étude est celui de la précarité de la situation des agriculteurs. Celle-ci peut, en effet, vite basculer suite à un accident, un divorce, un décès, une maladie ou encore un problème sanitaire sur l’exploitation. Le rapport rappelle à ce propos que le secteur agriculture-sylviculture-pêche est celui dans lequel le taux de mortalité par accident du travail est le plus élevé, avec un taux qui est le double de celui des transports et de la construction. En 2013, 79 chefs d’exploitations sont ainsi décédés suite à un accident du travail.
Ainsi que l’affirme le rapport, dans ce cas-là « le système s’enraye et les problèmes s’enchaînent, avec un effet « boule de neige » : un problème en entraînant un autre parce qu’on ne peut plus investir ou réagir sereinement, à cause d’une pression déjà trop présente ». L’exemple suivant donné par un agriculteur est très symptomatique de ce type de situation : « On avait 4 900 euros d’assurance par an chez X, ils n’ont pas fait de geste commercial suite à une erreur de leur part, j’ai résilié l’assurance le 31 décembre. Et j’ai eu le feu à la ferme le 11 février, je n’étais plus assuré ».
Les agriculteurs considèrent que les problèmes administratifs, judiciaires et sanitaires constituent également une source de leurs difficultés. Mais, au-delà, leur mal-être provient de la spécificité de leur métier et de leur milieu avec une surcharge de travail (les exploitants agricoles travaillent en moyenne 54 heures par semaine, contre par exemple 42 heures pour les cadres, une étude mentionnée dans le rapport indique d’ailleurs que 35 % des exploitants sont concernés par un travail excessif), des conditions de travail difficiles, la pression liée au travail, principalement dans l’élevage (traite matin et soir, 365 jours par an), mais aussi la « loi du silence qui règne en milieu rural » : « le regard social pèse sur la situation d’endettement « ça ne se dit pas c’est honteux » ». Par rapport à leur endettement, la plupart des agriculteurs expriment ainsi de la honte et une peur du jugement des autres.
L’isolement des agriculteurs apparaît comme l’une des principales conséquences de leurs problèmes, par exemple suite à la mise en redressement judiciaire de leur exploitation. Cela peut conduire également à des séparations de couples, à une perte de liens sociaux ou à une « vie de privation, sans vacances, ni sortie ».
Tout ceci aboutit à la grande question qui est de savoir s’ils doivent continuer ou pas. Ceux qui décident de continuer sont souvent les plus âgés qui préfèrent poursuivre leur exploitation à quelques années de la retraite. D’autres préfèrent opter en faveur du redressement ou de la liquidation judiciaire.
Au total, les agriculteurs interrogés expriment tous un sentiment de mal-être avec en premier lieu des troubles de l’humeur (prenant la forme d’une dépression et d’un burn-out), puis des troubles anxieux (liés à la peur de ne pas y arriver et à l’emprise du père sur l’exploitation), de l’irritabilité (quelquefois même proche de la violence que celle-ci soit dirigée contre un voisin, un créancier ou bien un ex-conjoint – un agriculteur explique ainsi « je pars parce que sinon je ne sais pas ce qui aurait pu arriver »), un discours sur le suicide, un sentiment de solitude, un désespoir ou encore une déprime.
La question du suicide est très présente dans les entretiens effectués : 4 agriculteurs interrogés ont parlé du décès d’un proche par suicide et 9 d’entre eux ont mentionné le suicide comme « seule issue si la situation ne s’arrange pas », même s’ils n’évoquent pas directement de tentative de suicide. Ceux qui disent pouvoir y recourir sont ceux qui rencontrent de graves difficultés financières avec un fort endettement. Le rapport rappelle que le risque de décéder par suicide est trois fois plus élevés chez les agriculteurs que chez les hommes cadres et deux fois plus élevé chez les agricultrices que les femmes cadres, alors que les cadres sont a priori eux aussi exposés au stress et aux responsabilités.
Les difficultés économiques des agriculteurs de ces dernières années, notamment financières, liées à un fort endettement, alors même que le métier s’exerce déjà dans des conditions de travail très difficiles, constituent un facteur de souffrance physique et psychique qui, on le sait, peuvent se traduire par des dépressions, des symptômes d’épuisement professionnel (burn-out), voire des tentatives de suicide. Cela tend très souvent aussi à rejaillir sur les relations que les agriculteurs ont avec leur entourage et avec les autres et a provoqué des conflits et au final, un isolement, voire une exclusion.
Alors, comment lutter contre ces fléaux ? Pour Solidarité paysans, ce qui est important en premier lieu, c’est de lutter contre l’épuisement physique et psychique tout simplement en se reposant : « les agriculteurs témoignent d’un soulagement quand ils peuvent dormir ». Ensuite, il est nécessaire de faire baisser la pression en s’exprimant pour « décharger » pour reprendre le terme même du rapport. Celui-ci préconise ainsi « une posture d’écoute « sans jugement » […] pour établir une relation de confiance quelque fois longue à mettre en place dans un milieu qui est peu enclin à se confier ».
Enfin, il est primordial de prendre une décision, de réorientation, de redressement ou d’arrêt de l’activité, pour apaiser et « envisager une issue ». Cette décision doit être mûrie et être indépendante des choix familiaux. Ce processus est à la fois nécessaire et libérateur selon les auteurs du rapport : « ces agriculteurs ont parcouru un chemin long et difficile, avec des mois voire des années de dépression mais vivent à terme une transformation, loin des choix qui leur étaient souvent inconsciemment imposés. Qu’ils restent ou non sur l’exploitation, ce choix est désormais le leur ». Ils en éprouvent d’ailleurs de la fierté.
En définitive, d’après Solidarité paysans, ceux qui ont réussi à s’en sortir ont tenu pour deux raisons principales : (1) pour leur enfants et (2) parce qu’ils ont esquissé leur « propre solution ». Or, le rapport souligne également à quel point les « acteurs de première ligne », à savoir les familles, les associations d’aide, comme Solidarité paysans, les services sociaux ou des professionnels travaillant avec les agriculteurs (vétérinaires, mécaniciens, etc.) ont un rôle très important à jouer pour prévenir l’aggravation des risques pour la santé mentale des exploitants.
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WikiAgri est l’unique média agricole à proposer une rubrique pour venir en aide (gratuitement) aux agriculteurs en détresse. Notre coach, Julie-Bertille, recueille ainsi des témoignages sur son mail dédié, [email protected]. Elle respecte l’anonymat pour son traitement si vous le demandez. Précision sur l’intervention de notre coach : nous ne sommes pas du tout dans l’économique, mais sur l’aspect moral, psychologique, un mal être. Par exemple, si vous êtes endetté jusqu’au cou, elle ne pourra pas vous aider à vous désendetter avec des conseils économiques, ce n’est pas son domaine, mais elle vous aidera à devenir fort face à la situation, pour parvenir par vous-même à vous en défaire. Donc, si vous ressentez un mal être, quel qu’il soit (solitude, après une séparation, souffrance vis-à-vis de l’incompréhension d’autrui…), n’hésitez pas à la contacter en envoyant un mail à [email protected]. Pour retrouver les précédentes parutions de la rubrique : Lire
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En savoir plus : www.solidaritepaysans.org/download.php?file=actualites_nat/etudesolidaritepaysans_rapportcomplet_mars2016.pdf (rapport complet Des agriculteurs sous pression : une profession en souffrance publié en mars 2016 par Solidarité paysans) ; www.solidaritepaysans.org/download.php?file=actualites_nat/etudesolidaritepaysans2016_web.pdf (résultats synthétiques de l’étude de Solidarité paysans).
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