Il est évident que, dans l’état de crise actuel d’un certain nombre de secteurs agricoles, le stress des agriculteurs doit être à son apogée. La gestion de ce stress est un véritable défi lorsque l’on sait que celui-ci peut, dans les cas les plus désespérés, conduire au suicide.
La crise actuelle que traversent certains secteurs agricoles, comme le lait, l’élevage porcin ou bovin constitue à coup sûr une importante source de stress pour les agriculteurs qui la subissent. Au-delà de cette crise, il est évident que le métier d’agriculteurs est un métier particulièrement stressant. Les conséquences de ce stress sont bien connues maintenant avec un taux élevé de personnes victimes d’accidents professionnels, de dépression ou de syndromes d’épuisement professionnel (burn out) et même, on le sait, de suicides. Le stress et le mal-être des agriculteurs doivent donc être pris très au sérieux.
Mais tout d’abord, commençons par définir ce qu’est le stress. Il s’agit d’une réaction de l’organisme face à un événement, que celui-ci soit positif (comme par exemple l’organisation d’un mariage) ou bien négatif. Le stress est dangereux pour la personne concernée lorsqu’il est chronique. Il peut être dû, par exemple, à des difficultés financières importantes, à des situations de harcèlement, à des relations de couple conflictuelles ou bien au fait de devoir s’occuper d’un parent malade ou très âgé.
Lorsqu’une situation stressante est prolongée, l’organisme entre, en effet, dans une phase d’épuisement. Cela a un impact sur la santé avec des symptômes physiques, émotionnels et intellectuels. Les symptômes physiques sont des douleurs, comme des maux de tête ou des douleurs musculaires et articulaires, ou encore des troubles du sommeil, de l’appétit et de la digestion. Les symptômes émotionnels sont une sensibilité et une nervosité accrues, des angoisses, une sensation de mal-être ou des crises de larmes. Enfin, les symptômes intellectuels sont une perturbation de la concentration ou une difficulté à prendre des décisions. Cela peut conduire à un repli sur soi, à une agressivité ou à une prise de produits calmants ou excitants (café, tabac, alcool, stupéfiants, médicaments). Si la situation de stress devait se prolonger, l’impact sur la santé pourrait être grave avec des maladies cardiovasculaires, des troubles musculosquelettiques ou encore une dépression. Dans certains cas extrêmes, le stress permanent peut conduire la personne à vouloir mettre fin à ses jours.
Ce stress peut bien entendu être lié au travail. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le stress lié au travail correspond à « l’ensemble des réactions que les employés peuvent avoir lorsqu’ils sont confrontés à des exigences et à des pressions professionnelles ne correspondant par à leurs connaissances et à leurs capacités et qui remettent en cause leur aptitude à y faire face ». La pression favorise le stress à partir du moment où elle apparaît excessive ou ingérable pour l’employé. Ce stress peut avoir des conséquences à la fois sur sa santé et sur l’activité de l’entreprise. En France, on estimait ainsi en 2007 que le stress coûtait entre 2 et 3 milliards d’euros sous la forme de dépenses de soins, de coûts lié à l’absentéisme, aux cessations d’activité ou bien aux décès prématurés. A l’échelle de l’Union européenne, le coût du stress professionnel était évalué au début des années 2000 à environ 20 milliards d’euros par an. De nombreux décès par suicide font d’ailleurs l’objet d’une demande de reconnaissance au titre des accidents du travail. Mais cette situation de stress au travail concerne tout autant les indépendants, comme les agriculteurs.
Le stress s’inscrit plus largement dans ce que l’on appelle les risques psychosociaux (RPS). Ce sont des risques qui « mettent en jeu l’intégrité physique et la santé mentale des salariés ». Outre le stress, entrent dans la catégorie des RPS les violences internes (harcèlement moral ou sexuel) et externes (violences exercées par des personnes extérieures à l’entreprise).
De façon un peu paradoxale, le stress des agriculteurs apparaît peu visible dans les études qui sont menées sur le stress d’origine professionnelle. Le site de recherche d’emploi américain CareerCast établit ainsi chaque année une liste des métiers les plus stressants. Il s’appuie pour cela sur une méthodologie basée sur 11 facteurs de stress : le nombre de déplacements, le potentiel de croissance, les délais à respecter, le travail sous l’œil du public, la compétitivité, les exigences physiques, les conditions environnementales, les dangers rencontrés, les risques pour sa vie, les risques pour la vie des autres, et la rencontre du public. En 2015, selon CareerCast, les métiers les plus stressants étaient les suivants : (1) les pompiers, (2) les soldats, (3) les généraux (armée), (4) les pilotes d’avion de ligne, (5) les officiers de police, (6) les acteurs et les comédiens, (7) les métiers de l’audiovisuel (radio, TV), (8) les organisateurs d’événements (séminaires, mariage, etc.), (9) les photojournalistes, (10) les reporters de la presse écrite. On retrouve d’ailleurs souvent ces métiers parmi les pires métiers identifiés par le site : (200) les reporters de la presse écrite, (198) les soldats, (196) les métiers de l’audiovisuel, (195) les photojournalistes, (192) les pompiers. Cela paraît logique à partir du moment où le stress constitue l’un des trois critères choisis par le site pour classer les métiers du meilleur au pire.
Ainsi, selon les critères définis par Careercast, si les agriculteurs figurent parmi les pires métiers (en 2015, ils arrivent au 180e rang sur un total de 200), en revanche, ils sont loin de figurer parmi les métiers les plus stressants selon la méthodologie définie par le site. L’indice de stress des agriculteurs se situe à 26,530, contre un indice de 71,640 pour les pompiers, le métier le plus stressant. Selon cette évaluation, les agriculteurs sont aussi stressés que les assistantes maternelles (25,880), les chauffeurs de bus (25,900) ou bien les instituteurs (27,370).
En 2003, une étude française de la DARES (ministère du Travail) a tenté d’évaluer le « job strain » (pression professionnelle), à savoir des personnes soumises à une forte demande de travail, mais qui ont une faible latitude décisionnelle (en termes d’utilisation des compétences et d’autonomie décisionnelle). Or, cette étude indiquait que les professions du secteur agriculture, chasse, sylviculture y étaient relativement peu exposées avec un taux de 18,3, contre une moyenne de 23,2. Ce secteur arrivait même au 10e rang sur les 13 secteurs répertoriés. Les auteurs de l’article classaient même l’agriculture parmi les secteurs relativement protégés face au « job strain ».
Est-ce que pour autant le métier d’agriculteur n’est pas stressant ? C’est difficile à croire d’autant qu’en ce qui concerne les graves symptômes du stress chronique que sont le burn out et le suicide, les agriculteurs figurent parmi les professions les plus exposées. On peut donc sans doute supposer que les critères pris en compte pour mesurer le stress d’une profession ne concernent pas nécessairement le monde agricole : mettre sa vie en danger ou avoir un métier amenant être en contact avec un public pour Careercast, job strain pour l’étude française. Par ailleurs, les causes de stress chez les agriculteurs ne sont aussi sans doute pas très bien prises en compte dans ces évaluations, en particulier l’interaction entre la sphère personnelle et la sphère professionnelle.
Les causes de stress dans le monde agricole sont, en effet, multiples et elles peuvent être de nature professionnelle, comme de nature personnelle. Elles peuvent bien entendu se cumuler. Les causes de stress sur le plan professionnel sont les difficultés économiques, la baisse du revenu, la volatilité des prix de vente, le surendettement, la surcharge de travail et la fatigue physique qu’elle entraîne, la sur-réglementation, l’instabilité réglementaire tant française qu’européenne et les contrôles répétés, les contraintes administratives (« paperasses »), les conditions météorologiques, les pannes de matériel, les maladies du bétail et autres crises sanitaires, les incendies, les vols et autres dégradations, les accidents professionnels, les critiques en provenance de la société et des ONG (agriculture intensive, pesticides, OGM, pollution, changement climatique, chasse…) et l’image négative du métier que cela renvoie, la question de la transmission de l’exploitation et, plus largement, l’incapacité à se projeter dans l’avenir, l’absence de perspectives, voire la difficulté à donner un sens au métier d’agriculteur au XXIe siècle (pourquoi est-on agriculteur au XXIe siècle ?).
Mais les causes de stress peuvent être également personnelles. Dans la sphère personnelle, ces causes sont l’isolement, la solitude, le célibat, les problèmes de santé, les problèmes familiaux ou bien relationnels, voire les ruptures, une mauvaise entente avec le voisinage, la pression que les jeunes agriculteurs peuvent ressentir de la part de leurs parents lorsqu’ils reprennent l’exploitation familiale, l’absence de loisirs ou de vacances, le tout étant souvent aggravé par la difficulté que rencontrent certains agriculteurs à exprimer leurs difficultés.
La spécificité du monde agricole contribue aussi sans aucun doute à aggraver ces causes de stress à partir du moment où les agriculteurs vivent généralement sur leur exploitation. Ils ont donc plus de difficultés que les autres professions à « couper » avec les préoccupations professionnelles une fois la journée de travail terminée. Cette interdépendance entre le professionnel et le personnel constitue donc un risque supplémentaire de stress puisque une difficulté dans le couple de l’agriculteur peut avoir des incidences sur l’exploitation dans la mesure où, par exemple, le conjoint travaille sur cette exploitation, et à l’inverse une difficulté sur cette dernière peut avoir des conséquences sur le couple.
Comme on l’a vu, les conséquences de ce stress peuvent aller jusqu’à la dépression, un burn out, et même dans certains cas extrêmes jusqu’au suicide, en particulier lorsque les causes de stress tendent à s’accumuler. La MSA a d’ailleurs identifié les situations à risques chez les agriculteurs en la matière, ainsi que les signaux d’alerte.
Les situations à risque sont un décès dans l’entourage, des difficultés financières, une rupture ou une crise dans le couple, une période de solitude ou d’isolement, des violences ou bien une menace sur son activité professionnelle. Or, il faut être d’autant plus vigilant si l’agriculteur concerné évoque de façon plus ou moins directe des idées suicidaires avec des phrases du type « bientôt, je n’embêterai plus personne », « ce sera beaucoup mieux pour tout le monde si je n’étais plus là », « je sais ce qui me reste à faire », etc. Ces évocations apparaissent d’autant plus préoccupantes que, selon la MSA, 80 % des personnes qui passent à l’acte en ont parlé auparavant. Elle explique ainsi que « la plupart des tentatives sont annoncées de façon plus ou moins explicite ».
La MSA a pris différentes initiatives pour prévenir la dépression et le suicide. La MSA de l’Aisne a créé Stress Assistance en 2004. Elle a été suivie de la MSA de Picardie en 2008. Les agriculteurs en difficulté peuvent bénéficier ainsi d’une écoute de psychologues professionnels et d’un soutien psychologique par téléphone 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
A l’échelon national, la MSA a mis en place depuis le mois d’octobre 2014 un numéro de téléphone d’urgence, Agri’écoute, qui est accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : 09 69 39 29 19. La personne en difficulté ou un proche est alors mise en contact de façon anonyme avec un bénévole qui est spécialement formé pour gérer les situations de souffrance ou de détresse. Les bénévoles appartiennent à SOS Amitié et à SOS Suicide Phénix, deux fédérations d’associations bien connues pour leur action en faveur de la prévention du suicide. Le service compte une cinquantaine de postes.
Il existe aussi désormais des cellules de prévention du suicide dans toutes les MSA, qui réunissent des élus MSA, des médecins du travail, des travailleurs sociaux et des conseillers en prévention. La MSA d’Ardèche-Loire a été ainsi l’une des premières à instituer une telle cellule de prévention du suicide en 2009. Elle réunit chaque mois un médecin du travail, des travailleurs sociaux de la MSA et un psychologue. Différents types de personnel qui sont en contact avec les agriculteurs (agents de la MSA, de la chambre d’agriculture, etc.) ont également été formés pour repérer les personnes à risque. Enfin, la MSA organise des réunions d’information sur le suicide sur l’ensemble du territoire. Il est à noter qu’il existe désormais une Association des familles d’agriculteurs victimes du suicide.
Le défi du stress et du mal-être des agriculteurs n’est pas qu’un problème français puisque des actions de gestion du stress et de prévention du suicide ont été également effectuées dans d’autres pays, depuis assez longtemps dans certains cas. Ainsi, il existe au Canada depuis 1992 une Farm Stress Line, c’est-à-dire un numéro de téléphone que les agriculteurs peuvent appeler pour gérer les situations de stress. En Belgique, une cellule d’accompagnement et de soutien aux agriculteurs en situation difficile, appelée Agricall, comprend une permanence téléphonique gratuite, des services gratuits d’accompagnement individuel, comme par exemple des consultations psychologiques.
En savoir plus : www.inrs.fr/risques/stress/effets-sante.html (page du site de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles-INRS consacrée aux effets du stress au travail sur la santé), www.who.int/occupational_health/publications/en/pwh3f.pdf?ua=1 (rapport de l’Organisation mondiale de la santé définissant le stress lié au travail), www.inrs.fr/risques/stress/consequences-entreprise.html (page du site de l’INRS consacrée aux coûts du stress professionnel), www.travailler-mieux.gouv.fr/De-quoi-parle-t-on,202.html (page du site du Ministère du Travail consacrée aux risques psychosociaux), www.careercast.com/jobs-rated/jobs-rated-most-and-least-stressful-methodology (méthodologie du site CareerCast pour identifier les métiers les plus stressants), http://www.careercast.com/jobs-rated/most-stressful-jobs-2015 (classement des métiers les plus stressants sur le site CareerCast), http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2005.05-22.1_v3.pdf (étude française de la DARES du ministère du Travail sur le « job strain »), www.msa.fr/lfr/solidarite/prevention-suicide?p_p_id=56_INSTANCE_8Zho&p_p_lifecycle=0&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_p_col_id=column-1&p_p_col_count=1&_56_INSTANCE_8Zho_read_more=2 (page du site de la MSA consacrée à la détection des signes de détresse chez les agriculteurs), www.msa.fr/lfr/de/solidarite/prevention-suicide (page du site de la MSA consacrée à Agri’écoute), http://arsfp.blogspot.fr/ (site de l’Association des familles d’agriculteurs victimes du suicide), http://www.msa.fr/lfr/documents/98785/2535589/D%C3%A9pliant_Accompagnement+du+mal+%C3%AAtre+et+pr%C3%A9vention+du+suicide (brochure d’Accompagnement du mal être et prévention du suicide de la MSA Ain-Rhône), http://agriculture.wallonie.be/apps/spip_wolwin/article.php3?id_article=431 (informations sur Agricall en Belgique), www.youtube.com/watch?v=dlDF5Ow_Ft (émission de France 3 Champagne-Ardennes du 15 décembre 2014 consacrée au mal-être des agriculteurs) ; https://wikiagri.fr/articles/11-octobre-2015-journee-nationale-pour-les-familles-des-suicides-en-agriculture/4967 (article sur la journée nationale en faveur des familles de suicidés en agriculture, qui aura lieu le 11 octobre prochain) ; https://wikiagri.fr/hubs/communiques-de-presse/agriecoute-la-prevention-suicide-au-0969392919/1273 (communiqué de presse de Agriécoute).