methanisation

L’agriculture, l’autre modèle allemand

La récente victoire d’Angela Merkel aux élections législatives est principalement due à la réussite économique actuelle de l’Allemagne. Cette réussite est avant tout celle de son industrie, mais on oublie sans doute un peu trop vite un autre succès économique allemand récent, celui de son agriculture.

Les récentes élections législatives en Allemagne, qui ont vu la chancelière Angela Merkel l’emporter pour la troisième fois consécutive, ont amené les médias et les hommes politiques à s’intéresser à nouveau au fameux modèle économique allemand et en particulier à la réussite de son industrie à l’exportation.

Qu’on le veuille ou non, on ne peut nier, en effet, la réussite indéniable de l’Allemagne sur le plan économique ces dernières années, contrastant avec les difficultés vécues par l’économie française. La croissance allemande est ainsi systématiquement supérieure à la croissance française depuis 2010 et les prévisions d’Eurostat et du FMI vont dans le même sens pour 2013 et 2014. Les divergences franco-allemandes sont encore plus spectaculaires en ce qui concerne la situation des finances publiques. Le déficit public allemand a été ainsi très largement réduit ces dernières années pour aboutir même à un léger excédent en 2012. Ce n’est bien entendu pas le cas en France où le déficit reste au-dessus de l’objectif des 3 % du PIB, alors que le pays n’a plus connu d’excédent budgétaire depuis 1974 malgré une très lourde ponction fiscale. En conséquence, la part de la dette publique allemande en % du PIB qui, était supérieure à la part de la dette française en 2007, se réduit depuis 2010, alors que la dette française continue de progresser pour atteindre 90,2 % du PIB en 2012 (données Eurostat). Par ailleurs, alors que l’Allemagne accumule les excédents commerciaux et de la balance des paiements, la France, elle, accumule les déficits. Dans la dernière édition du classement des économies les plus compétitives du monde publiée en septembre 2013 par le Forum économique mondial, l’Allemagne est ainsi classée en 4e position, tandis que la France se hisse péniblement au 23e rang. L’une des conséquences les plus nettes de ces différences franco-allemandes réside bien entendu dans les taux de chômage respectifs dans les deux Etats. En août 2013, selon Eurostat, ce taux s’établissait à 5,2 % en Allemagne et à 11,0 % en France, alors que ces taux étaient à peu près les mêmes en 2008 et que le taux de chômage en Allemagne était même supérieur au taux français de 2003 à 2007.

Ce succès du Made in Germany s’explique principalement par la force de l’industrie allemande et par les réformes mises en place par le chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000 et qui ont été poursuivies par Angela Merkel. En 2011, l’industrie allemande représentait ainsi 26,2 % de la valeur ajoutée totale, contre 12,5 % pour la France. Cette réussite industrielle s’explique par sa spécialisation dans les produits haut de gamme et les biens d’équipement (machines, automobile, chimie, équipements électriques) et par le grand nombre de PME exportatrices performantes, mais aussi par la compétitivité des entreprises allemandes, en raison d’une externalisation massive d’activités vers des pays à bas coût de main-d’œuvre, d’une modération de l’évolution des salaires et des charges sociales favorisée par les réformes Schröder et d’une fiscalités attractive. Ces réformes ont, en effet, permis de libéraliser le marché du travail et d’abaisser le coût du travail, et de réformer le système de protection sociale (en réduisant les prestations, par exemple avec un départ à la retraite qui doit être porté à 67 ans à partir de 2017, et en augmentant les cotisations). Ce « modèle » a néanmoins pour contrepartie un développement important de la pauvreté, de la précarité et des inégalités.

Réussite agricole

On a aussi souvent tendance à oublier une autre forme de réussite économique allemande récente, celle concernant son agriculture. L’idée qui date des années 1950 selon laquelle l’Allemagne est la grande puissance industrielle en Europe et la France, la grande puissance agricole semble avoir vécu car notre principal partenaire commercial est également devenu depuis quelques années une puissance agricole de premier plan grignotant des parts de marché françaises. Cette réussite s’est traduite notamment par un net accroissement des exportations agricoles et agroalimentaires allemandes ces dernières années, celles-ci parvenant même à dépasser les exportations françaises dans ces secteurs depuis 2007. Le pays reste néanmoins un importateur net sur le plan agricole, à la différence de la France, et le second pays agricole européen.

Ce succès agricole allemand s’explique en particulier par quatre types de facteurs. Il tient tout d’abord aux spécificités de l’économie allemande. Le pays, compte tenu de la taille de sa population et de la solvabilité de celle-ci, dispose d’un très important marché de consommation intérieure. Un autre atout pour l’agriculture allemande réside dans ses puissants groupes de distribution « discount » implantés à l’étranger (Aldi, Lidl) qui se fournissent d’abord en produits alimentaires allemands.

Il est aussi lié à l’application au secteur de l’agriculture des « recettes » qui ont marché sur le plan industriel, à savoir une spécialisation adaptée à l’évolution des marchés et un faible coût du travail. L’agriculture allemande est plutôt spécialisée dans l’élevage avec ses trois points forts que sont les productions de volailles, de porcs et de lait. La production de porcs a ainsi augmenté de 30 % depuis dix ans –  le pays des Wurst est le premier producteur européen de porcs avec une production près de trois fois supérieure à celle de la France – et celle de volailles de 70 %. L’Allemagne est ainsi devenue un exportateur net de viande. Elle est aussi le premier producteur européen de lait. La faiblesse du coût du travail outre-Rhin dans le secteur agricole s’explique par le recours massif à une main-d’œuvre peu onéreuse en provenance d’Europe de l’Est et l’absence de salaire minimum. C’est particulièrement visible dans le secteur des abattoirs, dont le nombre a doublé depuis l’an 2000. Cela a d’ailleurs suscité de nombreuses controverses étant donné, par exemple, que le salaire horaire versé y est extrêmement faible, de l’ordre de 3 à 5 euros, et que certains abattoirs ont même fait l’objet d’une enquête de la part de la justice pour fraude fiscale et sociale. La Belgique, par exemple, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour dénoncer le dumping social des abattoirs allemands. Un documentaire réalisé récemment sur les conditions de travail dans ce secteur en Allemagne s’intitulait ainsi : « L’industrie de la viande : l’esclavage moderne ».

La réussite agricole outre-Rhin s’explique tout autant par les spécificités du secteur agricole allemand, à savoir une importante concentration des exploitations dotées d’équipements modernes, notamment dans l’ex-RDA, et un modèle agricole extrêmement productiviste sous la pression du Hard discount, notamment dans l’élevage avicole ou porcin où les exploitations sont largement plus grandes qu’en France. Ainsi, par exemple, un abattoir de la ville de Wietze en Basse-Saxe permet d’abattre jusqu’à 200 000 poules chaque jour et il pourrait bientôt porter ce chiffre à 430 000, faisant de celui-ci le plus grand abattoir d’Europe.

Enfin, celle-ci a aussi en partie pour origine le développement des bioénergies. Les agriculteurs allemands bénéficient, en effet, d’aides européennes et de subventions nationales pour la production de biogaz à partir de céréales afin de produire de l’électricité depuis la loi sur les énergies renouvelables de 2000 avec un prix du biogaz garanti. Plus de 7 500 exploitations en Allemagne recourent ainsi à la méthanisation.

Alors, l’Allemagne est-elle un « modèle » à suivre pour l’agriculture française à l’heure où l’agro-écologie ou un projet comme la « ferme des 1 000 vaches » soulèvent de nombreuses interrogations sur le « modèle » que celle-ci doit suivre ? Comme tout « modèle », celui-ci est difficilement transposable et il a sa face noire, avec notamment l’exploitation d’une main-d’œuvre étrangère peu coûteuse dans des conditions quelquefois discutables et la multiplication de crises sanitaires liée à son ultraproductivisme. Néanmoins, pour certains aspects, comme les bioénergies, l’agriculture allemande développe des « bonnes pratiques » qui peuvent être des sources d’inspiration de ce côté-ci du Rhin.

En savoir plus : www.senat.fr/rap/r11-628/r11-6283.html (partie d’un rapport d’information du Sénat consacrée à l’agriculture allemande), http://geopolis.francetvinfo.fr/lallemagne-un-geant-agricole-22823 (dossier du site Geopolis de France Télévision sur l’agriculture allemande), www.lejdd.fr/Economie/Actualite/Agriculture-allemande-les-quatre-raisons-d-une-reussite-608069 (article du jdd.fr sur les raisons de la réussite agricole allemande), www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/02/08/20002-20130208ARTFIG00639-exportations-agricoles-l-allemagne-distance-la-france.php (article du figaro.fr sur la réussite agricole allemande à l’exportation), www.atlantico.fr/decryptage/allemagne-agriculture-lecons-france-francois-hollande-vincent-chatellier-294380.html#z16CdZhJPv3XRuCs.99 (entretien accordé par Vincent Chatellier sur l’agriculture allemande sur le site Atlantico), www.euractiv.fr/agriculture/agricultures-francaise-allemande-point-chiffres-7499.html (article comparant les données sur les agricultures française et allemande sur le site Euractiv.fr), www3.weforum.org/docs/WEF_GlobalCompetitivenessReport_2013-14.pdf (Rapport 2013 du Forum économique mondial sur la compétitivité globale).

La photo ci-dessous montre une unité de méthanisation en Allemagne.

1 Commentaire(s)

  1. La force de l’Allemagne réside aussi dans d’autres facteurs: les capacités à s’entendre entre patronat et syndicat, l’état d’esprit les salariés vis à vis de leurs entreprises, la flexibilité du temps de travail, le soutien social très « light », un nombre de poste d’improductifs (élus, fonctionnaires) beaucoup moins important, des lois étudiées par des gens de terrain et non pas des utopistes plus instruit qu’intelligent, et bien d’autres encore… font que ce pays construit un avenir avec de bonnes fondations alors qu’en France, la valeur ajouté n’est plus un indicateur qui motive les gens qui nous gouvernent…

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