Plusieurs études récentes tendent à montrer que la pollution et le changement climatique ont d’ores et déjà un impact sur l’agriculture, qui devrait s’accentuer à l’avenir.
L’enjeu de l’impact du changement climatique sur l’agriculture est loin d’être nouveau. L’Union européenne a ainsi publié dès décembre 2007 un rapport sur l’adaptation du secteur agricole au changement climatique. En France, le ministère de l’Agriculture a mis en place un Plan climat dans le sillage du paquet énergie-climat adopté par l’UE en 2009 et étudie depuis 2011, à travers son Centre d’études et de prospective, l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. C’est le projet AFClim.
Cependant, dans la période récente, plusieurs déclarations, études et rapports ont démontré que la menace pour la sécurité alimentaire mondiale de la pollution et du changement climatique, en particulier dans les pays en développement, était bel et bien un risque réel qu’il fallait prendre très au sérieux.
C’est en particulier le cas en Chine. Deux informations récentes indiquent ainsi que la question de la sécurité alimentaire, qui est devenue depuis quelques années un important sujet de préoccupation pour les autorités chinoises, pourrait pâtir de la pollution liée au développement industriel et à l’urbanisation rapides du pays ces dernières décennies.
Une dépêche de l’agence Reuters indiquait ainsi à la fin de l’année 2013 que, selon un officiel chinois, quelque 3,3 millions d’hectares de terres agricoles chinoises étaient trop polluées pour pouvoir être exploitées. Cette superficie polluée représente à peu près une surface équivalente à celle… de la Belgique. La pollution est liée en particulier à la proximité d’usines chimiques, de mines ou d’industries lourdes. En 2013, par exemple, des niveaux élevés de métaux toxiques, comme le cadmium, ont été trouvés dans le riz vendu dans le sud du pays alors que celui-ci avait poussé dans une région productrice de métaux lourds. Le cadmium est d’ailleurs considéré comme particulièrement nocif pour les sols, l’eau ou la santé. Selon certaines estimations, au moins 70 % des sols chinois pourraient être pollués par des métaux toxiques ou encore des pesticides interdits depuis les années 1980. Le gouvernement chinois a donc annoncé qu’il allait entreprendre un vaste travail de réhabilitation des terres contaminées et des nappes phréatiques polluées en se donnant pour objectif de consacrer 120 millions d’hectares à l’agriculture.
Début 2014, des scientifiques chinois ont également signalé que la pollution ne provenait pas uniquement du sol, mais aussi du ciel. En effet, ceux-ci ont montré que le « smog », c’est-à-dire le nuage de pollution que connaissent de nombreuses villes du pays, avait aussi un impact sur l’agriculture à partir du moment où celui-ci conduit à une forte chute de l’activité photosynthétique des plantes (étant donné que la photosynthèse est rendue possible par la lumière). Selon ces experts, le smog constituerait par conséquent aussi une menace importante pour la production agricole chinoise et, par extension, pour la sécurité alimentaire du pays.
Outre la pollution des terres et des productions agricoles, une autre source d’inquiétude de nature environnementale provient bien entendu des effets prévisibles du changement climatique sur les récoltes et les rendements agricoles. Or, selon un pré-rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), dont les conclusions ont été divulguées par le quotidien japonais Yomiuri Shimbun à la fin du mois de février, la production céréalière mondiale pourrait être réduite de 0,2 % à 2,0 % tous les dix ans si la température augmentait de 2,5°C d’ici 2100. Ceci serait lié au réchauffement du climat, à la multiplication des sécheresses, à de fortes précipitations, mais aussi à la submersion prévisible des terres, tout particulièrement en Asie, en raison de l’élévation du niveau des mers. On observe déjà dans certains pays comme le Pakistan un exode rural lié à ces effets.
D’autres conséquences possibles du changement climatique pour l’agriculture concernent le développement des ravageurs (insectes, champignons, virus, bactéries, etc.) sous l’effet du réchauffement de la planète. En septembre 2013, une étude de chercheurs de l’université d’Exeter au Royaume-Uni parue dans la revue Nature Climate Change avait ainsi montré l’existence d’un lien entre la hausse des températures depuis 50 ans et la dissémination des ravageurs. Selon cette étude, ces ravageurs – ils en ont étudié 612 au total – progresseraient de près de 3 kilomètres par an en direction des pôles en affectant des régions jusqu’alors épargnées. Ses auteurs en concluent que cette évolution menace aussi à terme la sécurité alimentaire mondiale à partir du moment où une partie de plus en plus importante des cultures pourrait être ainsi perdue. Il faut savoir qu’actuellement, entre 10 et 16 % des cultures mondiales sont perdues sous l’effet des parasites. L’AFClim expliquait, à ce propos en 2012, qu’en France, le réchauffement climatique avait, par exemple, contribué à étendre vers le Nord et en altitude la chenille processionnaire du pin.
Les pays, et donc leur agriculture, ne devraient cependant pas être tous affectés à une même échelle par les effets du changement climatique. C’est ce qu’indique en tout cas un rapport sur la sécurité alimentaire mondiale publié en octobre 2013 par l’OCDE. Selon ses auteurs, « il apparaît de plus en plus évident que le changement climatique a eu et aura des répercussions négatives sur l’agriculture, en particulier dans les pays en développement ». Il note malgré tout que l’ampleur et l’évolution des effets de la variabilité du climat et des événements météorologiques extrêmes, en lien avec le réchauffement climatique, sont « très incertaines » et que « les retombées indirectes de l’augmentation des émissions de GES (gaz à effet de serre) seront très variables selon les régions ». Or, ce sont les régions se situant près de l’équateur qui seraient potentiellement les plus affectées.
Ceci est corroboré par deux indices sur la « vulnérabilité » des Etats face au climat et à son évolution. Le premier est l’indice de risque climatique global qui est calculé par l’ONG Germanwatch et dont la dernière édition a été publiée en novembre 2013. Le second est l’indice de vulnérabilité au changement climatique qui est évalué par le cabinet d’étude britannique Maplecroft, dont la dernière version a été divulguée en octobre 2013. Dans ces deux indices, les principaux pays développés apparaissent relativement épargnés par les effets du changement climatique, tandis que les pays du Sud et en particulier les pays les plus pauvres, eux, en sont et devraient en être les principales victimes. Pour Maplecroft, les pays les plus exposés sont ainsi le Bangladesh, la Guinée-Bissau, la Sierra Leone, Haïti, le Soudan, le Nigeria, le Congo (RDC), le Cambodge, les Philippines et l’Ethiopie. Pour GermanWatch, de 1993 à 2012, les pays les plus affectés par les phénomènes climatiques extrêmes étaient les pays suivants : Honduras, Birmanie, Haïti, Nicaragua, Bangladesh, Vietnam, Philippines, République dominicaine, Mongolie, Thaïlande et Guatemala.
La situation en Haïti est, de ce point de vue, particulièrement emblématique alors que le pays figure parmi les pays les plus exposés dans les deux indices. Le Fonds international de développement agricole (FIDA), qui est une institution spécialisée de l’ONU, estimait d’ailleurs, dans un rapport publié en 2012, que l’agriculture haïtienne serait le secteur le plus vulnérable au changement climatique en raison de l’évolution prévisible des températures, du régime des pluies, de la disponibilité en eau et des événements météorologiques extrêmes.
Il apparaît donc évident que le secteur agricole, particulièrement dépendant des éléments naturels (chaleur, eau, lumière), devrait être parmi les plus affectés par la pollution et le changement climatique. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, même un pays comme les Etats-Unis, pourtant assez sensible à certains arguments climatosceptiques, vient de mettre en place en février 2014 un plan climat pour l’agriculture visant à aider les agriculteurs à s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique.
Cela semblait d’autant plus nécessaire que, depuis quelques années, le pays a subi de très nombreux phénomènes climatiques extrêmes. Le coût de la sécheresse outre-Atlantique a été ainsi évalué à 50 milliards de dollars entre 2011 et 2013.
En savoir plus : http://ec.europa.eu/agriculture/analysis/external/climate/final_en.pdf (rapport de 2007 en anglais de l’UE sur l’adaptation au changement climatique du secteur agricole), http://agriculture.gouv.fr/AFClim-Agriculture-foret-climat (site de l’AFClim), www.reuters.com/article/2013/12/30/china-environment-farmland-idUSL3N0K90OY20131230 (dépêche de l’agence Reuters sur la pollution des terres en Chine), www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0203339488673-l-agriculture-mise-en-danger-par-le-smog-chinois-653041.php (informations sur le « smog » chinois et son impact sur l’agriculture dans un article des Echos du 26 février 2014), www.lefigaro.fr/sciences/2014/02/28/01008-20140228ARTFIG00346-cout-extreme-du-rechauffement-climatique.php (informations sur le pré-rapport du GIEC dans un article du Figaro du 1er mars 2014), www.ouest-france.fr/la-securite-alimentaire-menacee-par-les-ravageurs-1390699 (informations sur l’étude relative aux ravageurs dans un article de Ouest-France du 2 septembre 2013), http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse_CEP_46_Prospective_Agriculture_Foret_Climat__cle0eb9e1-2.pdf (rapport de 2012 « Prospective AFClim. Agriculture, forêt, climat : vers des stratégies d’adaptation »), www.oecd-ilibrary.org/fr/agriculture-and-food/securite-alimentaire-mondiale_9789264201354-fr (rapport de 2013 de l’OCDE sur la sécurité alimentaire mondiale), http://germanwatch.org/en/download/8551.pdf (indice de risque climatique global de 2014 de l’ONG Germanwatch), https://maplecroft.com/about/news/ccvi_2013.html (indice de vulnérabilité au changement climatique de 2013 de Maplecroft), http://operations.ifad.org/documents/654016/0/Haiti+-+Environment+and+climate+change+assessment/24f0c1b5-9117-4fcd-960e-e32c1b6ecf7b (rapport de 2012 du FIDA sur « Haïti. Evaluation environnementale et des changements climatiques »), www.lemonde.fr/planete/article/2014/02/07/les-etats-unis-lancent-un-plan-climat-pour-l-agriculture_4361993_3244.html (informations sur le plan climat pour l’agriculture aux Etats-Unis dans un article du Monde du 7 février 2014). Lire aussi l’article de Raphaël Lecocq, « L’agriculture face aux défis climatiques », dans le numéro 10 de WikiAgri Magazine (janvier 2014), que l’on retrouve ici : https://wikiagri.fr/archive/10 (pages 26 à 29).
Notre illustration ci-dessous : Shanghai prise dans un nuage de pollution. En Chine, la pollution des villes est telle qu’elle déteint sur les terres agricoles.
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Article très intéressant et pédagogique, merci!