Dogmatisme urbain et médiatique : les paysans en souriraient presque s’il ne se transformait pas en réglementations contraignantes ! Avec la réforme territoriale en toile de fond…

L’agriculture et l’agroalimentaire sont des secteurs stratégiques pour la France : aucun doute n’est permis, et c’est un devoir absolu de les maintenir au rang qu’ils méritent. Alors que d’autres Etats l’ont bien compris, la France regarde le train passer. La France s’égare dans un flot de débats quasi ésotériques sur l’existence d’un soi-disant « modèle agricole », plaçant ainsi au second plan les actions nécessaires à notre secteur : simplification administrative, compétitivité, rééquilibrage des négociations commerciales. Nos politiques devisent tandis qu’il faudrait agir, ou plutôt laisser les entrepreneurs agir. Sur tous les territoires français, l’énergie de paysans, et de bien d’autres, est là, créative, innovante, pourvoyeuse d’emplois. Mais plutôt que de libérer les énergies dans nos territoires ruraux, la politique agricole est gangrenée par une forme de dogmatisme urbain adepte du « small is beautiful ». Les paysans traînent à leur pied le boulet de la bien-pensance urbaine, qui oppose « petites » aux « grosses » exploitations, l’agriculture « biologique » à l’agriculture « intensive », les circuits courts à l’export… Brièvement résumé, il y aurait d’un côté les « bons » agriculteurs, et de l’autre les « mauvais ». Face à ce manichéisme, il est plus qu’urgent d’apporter de la nuance ! Arrêtons de parler de « modèle agricole », car il existe une multitude de types d’agriculture ou de façons de produire, sous un même climat et sur un même territoire.
« Les ruraux peuvent légitimement craindre
que les métropoles ne deviennent
des Paris en province«
Les métropoles, de nouveaux Paris en province ?
L’apologie, en agriculture, du « small is beautiful » n’est l’apanage ni de la gauche ni de la droite. Le manque de bon sens paysan dans les réglementations, et d’une volonté farouche de défendre l’agriculture et l’agroalimentaire français, sont aussi le fait d’un manque de représentation de la ruralité dans nos institutions. Et cela ne va pas s’arranger avec le projet de loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), qui fera émerger encore plus les « élus des villes » avec la création des métropoles. Ces fameuses métropoles seront bien évidemment des centres de décision, par ailleurs dotés de moyens financiers non moins importants. Les ruraux peuvent légitimement craindre que les métropoles ne deviennent des Paris en province, à l’instar de ce que sont déjà les préfectures de région, mais aussi les nombreuses autorités administratives qui sont devenues un Etat dans l’Etat. Le rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative* estimait que, plus proches du terrain, les Préfets de département et les Directions Départementales du Territoire et de la Mer (DDTM), étaient jugés plus à même de mettre en œuvre une interprétation facilitatrice des normes. A l’inverse, les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) étaient identifiées par les auteurs du rapport comme des « foyers d’interprétation rigide des normes » ! Quelle vision ! Je n’ose imaginer ce que ceux-ci pourraient écrire à propos des projets de SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) qui ne font qu’enfler zonages et contraintes, toujours sous l’influence d’une vision dogmatique d’un soi-disant « modèle agricole »…
On joue sur la peur du consommateur et le sensationnel !
Il est urgent de sortir d’une vision de l’agriculture et de l’agroalimentaire cantonnée au seul prisme des signes de qualité et d’origine. Encore une conception qui accrédite l’idée du « small is beautiful » ! Dans la réalité, cela fait belle lurette que l’agroalimentaire s’est affranchi des territoires. Prenons l’exemple de Lactalis, leader mondial des fromages, qui est aussi le riche propriétaire de plusieurs AOC françaises : voilà comment des entreprises internationales, souvent éloignées des territoires se forgent une image artisanale.
De plus, la vision bucolique de la campagne, avec des paysans en chemise à carreaux et coiffés d’un béret, est largement entretenue par les médias. L’agriculture dite « conventionnelle » est régulièrement mise au pilori dans des talk-shows très parisiens, où se côtoient chanteurs, acteurs, écrivains. Ces derniers, bien souvent encouragés par les présentateurs télé, délivrent leur vision « boboïsée » de l’agriculture sous prétexte de « débattre » sur des sujets d’actualité comme la ferme des 1000 vaches, la défense des droits des animaux (ah, Zahia et la ruralité !), les champs d’OGM, les pesticides, les antibiotiques, et que sais-je encore… On joue sur la peur du consommateur et le sensationnel ! Les paysans français en souriraient presque si ce dogmatisme urbain et médiatique ne se transformait en lois et réglementations contraignantes. Ces boulets supplémentaires qui ne s’appliquent qu’aux paysans français ne font qu’accroître notre manque de compétitivité par rapport à nos concurrents européens voire mondiaux.
« Conventionnel, bio, export, circuits courts sont complémentaires,
et sont la force de nos territoires :
que l’on cesse d’opposer la diversité
de l’agriculture française !«
Arrêtons les clichés : conventionnel, bio, export, circuits courts sont complémentaires !
Pire, le changement de « modèle agricole » s’écrit à présent dans les régions, avec une réorientation juridique, technique et financière vers des « modèles dits vertueux », comme l’agriculture biologique, les signes d’origine et de qualité, ou les circuits courts. La plupart des régions françaises, avec une utilisation plus qu’orientée du 2e pilier de la PAC, vont à l’encontre d’une dynamique globale de production. Le rêve d’un ré-enchantement de l’agriculture par de « petites exploitations » aux pratiques « artisanales » pourrait rapidement se transformer en cauchemar pour les paysans. Trop de stratégie politique régionale réductrice conduira au déclin des territoires. Conventionnel, bio, export, circuits courts sont complémentaires, et sont la force de nos territoires : que l’on cesse d’opposer la diversité de l’agriculture française !
Il faut remettre les choses à l’endroit, en mettant en place des stratégies globales pour que le plus grand nombre de paysans responsables, dans leur diversité, puissent vivre de leur passion grâce à des prix rémunérateurs, participant ainsi à des territoires dynamiques et attractifs.
Note (*) : Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative http://missionnormes.fr/remise-du-rapport-sur-la-mission-de-lutte-contre-linflation-normative-au-premier-ministre/
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/la-france-nest-plus-gouvernee-elle-est-administree/967 (précédent article de WikiAgri où Thierry Merret était interviewé).
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