op ration opson

La grande criminalité s’empare de l’alimentaire

L’opération Opson IV menée entre décembre 2014 et janvier 2015 par Interpol et Europol rappelle à quel point les produits alimentaires font désormais l’objet d’un vaste trafic, alors que les produits frauduleux sont souvent très dangereux pour la santé des consommateurs, et que les mafias s’investissent de plus en plus dans l’agroalimentaire.

La multiplication des vols dans les campagnes est un phénomène malheureusement bien connu maintenant. Ces vols sont en particulier le fait de bandes organisées, souvent d’origine étrangère, qui peuvent même répondre à des commandes, comme l’a bien montré le fameux « gang des tracteurs » qui sévissait dans le Sud-Ouest, l’Est et le Centre de la France et qui a été démantelé en janvier 2014.

La production de nourriture fait l’objet également de nombreuses escroqueries, comme ce fut le cas en 2013 avec la mise à jour d’un important trafic de viande de cheval impropre à la consommation (qui n’a rien à voir avec le célèbre Horsegate).

Mais il existe également des formes de fraudes d’une toute autre gravité, assez peu connues du grand public, auxquelles des institutions internationales comme Interpol et Europol s’intéressent de près. Interpol, dont le siège se situe à Lyon, est l’organisation internationale de police la plus importante au monde puisqu’elle compte 190 Etats-membres. Europol est, quant à elle, l’Office européen de police. Il s’agit donc de l’agence de l’Union européenne chargée de faciliter la coopération policière entre Etats-membres et de lutter contre la criminalité au sein de l’Union.

Les opérations Opson contre les fraudes alimentaires

Ces deux institutions ont mis en place en 2011 une opération conjointe appelée Opson (en grec ancien, cela signifie nourriture) qui cible l’alimentation et les boissons de contrefaçons et de mauvaise qualité. Les opérations Opson ont débuté cette année-là. En décembre 2013, dans le cadre de l’opération Opson III, près de 8 700 inspections ont été ainsi effectuées aboutissant au retrait du marché de 5 661 tonnes de marchandises et de 681 000 litres de boissons.

L’opération Opson IV s’est déroulée, quant à elle, entre décembre 2014 et janvier 2015. Elle a permis de saisir dans 47 pays, dont la France et 20 autres pays membres de l’Union européenne, pas moins de 2 500 tonnes de produits frelatés, qui auraient dû être commercialisés, et de procéder à plusieurs arrestations. Les produits en question étaient des aliments, comme des fraises, des œufs, de l’huile, des fruits secs ou de la mozzarella, ainsi que des boissons, mais aussi des compléments alimentaires. Au total, 275 000 litres de boissons de contrefaçon ont été ainsi saisis. Les contrôles effectués par des fonctionnaires de police, des douanes ou encore des agents d’organismes nationaux de la sécurité alimentaire ont visé différents lieux : des magasins, des marchés, des ports maritimes, des aéroports ou des zones industrielles. Les produits saisis en France, par exemple, étaient notamment du caviar frauduleux ou des fraises importées illégalement.

Grâce à ces différentes opérations, on a pu ainsi prendre pleinement conscience du fait que les groupes criminels ne s’intéressent pas qu’aux trafics de drogue, d’êtres humains ou d’armes, mais aussi de plus en plus à l’agroalimentaire. Ainsi, pour Interpol, « les résultats de l’opération Opson montrent clairement l’ampleur de la menace que constitue la fraude aux denrées alimentaires, qui touche tous les types de produits et les régions du monde ».

Le développement sans précédent du trafic de marchandises illicites

Ces opérations s’inscrivent plus largement dans la lutte contre ce qu’Interpol appelle le « trafic de marchandises illicites » et qui, d’après l’agence, « a pris une ampleur sans précédent et représente désormais une immense menace pour la société et l’économie mondiale ».

Ce trafic de marchandises illicites peut prendre plusieurs formes. La première est la contrefaçon, un produit de contrefaçon de moindre qualité se substituant alors à des produits authentiques. Dans ce cas, certains ingrédients-clefs du produit en question sont remplacés par des substituts moins chers. Ainsi, l’opération Opson IV a révélé qu’au Rwanda, un magasin vendait une bière de contrefaçon que l’on pouvait se procurer dans des bouteilles authentiques alors qu’elle était brassée localement.

Ce trafic peut concerner aussi un produit qui est importé illégalement et/ou qui n’est pas conforme à la réglementation locale. Par exemple, a été saisie 85 tonnes de viande qui avait été importée illégalement en Thaïlande.

D’autres formes de fraude consistent à vendre un produit ordinaire comme un produit bio, à mentionner des labels alors que le produit n’a pas été labellisé, à donner une appellation à un animal qui ne correspond pas à la réalité, etc. Ainsi, en Espagne, une société commercialisait un café 100 % arabica alors qu’il n’était qu’un mélange de divers cafés de mauvaise qualité. En Estonie, 8,5 tonnes d’œufs ont été saisies alors qu’ils avaient un certificat de qualité qui avait été falsifié.

Plus grave, ces produits frauduleux peuvent contenir des substances, visant notamment à améliorer leur présentation et même à masquer leur manque de fraîcheur, et qui sont susceptibles de nuire à la santé et à la sécurité des consommateurs.

Parmi les saisies les plus spectaculaires, et les plus inquiétantes pour les consommateurs, lors de l’opération Opson IV, on peut signaler la saisie de plus de 30 tonnes de fruits de mer en Toscane (Italie) et de 1,6 tonne de produits chimiques. Ces fruits de mer étaient vendus comme des produits frais, alors qu’ils avaient été aspergés d’acide citrique, de phosphate et de peroxyde d’hydrogène après avoir été congelés de sorte à masquer leur décomposition. Dans le Sud de l’Italie, la découverte d’acide citrique et d’hypochlorite de sodium a également fait penser aux enquêteurs que les produits laitiers de la fausse fabrique de fromage – lait caillé et autres produits laitiers dont la date d’expiration était dépassée – étaient utilisés pour donner l’apparence de la mozzarella fraîche. Celle-ci était ensuite fumée à l’arrière d’une camionnette, grâce à la chaleur notamment provoquée par la combustion d’ordures.

Il y a eu aussi un cas d’utilisation présumée d’antigel pour fabriquer de la vodka de contrefaçon au Royaume-Uni. Plus de 20 000 bouteilles vides et des centaines de bidons de cinq litres d’antigel vides ont ainsi été découverts, mais aussi, selon Interpol et Europol, un « système de traitement par osmose inverse », qui permet de faire disparaître l’odeur et la couleur de l’antigel.

Agromafia : les mafias s’intéressent de près à l’agroalimentaire

Le trafic illicite de nourriture et de boissons tend à se développer car il apparaît à la fois lucratif et à faible risque. En cas d’arrestation, le criminel risque une peine de prison bien moins lourde que s’il détenait de la drogue ou bien des armes.

Selon Interpol et Europol, les produits les plus concernés par les trafics sont les boissons alcoolisées en ce qui concerne les boissons et les viandes et les produits de la mer pour la nourriture. Selon un rapport publié en 2013 par le Parlement européen, c’est l’huile d’olive qui présente le plus grand risque de fraude alimentaire, devant le poisson, les produits bio, le lait, le miel, le café et le thé, les épices, le vin et certains jus de fruit.

Or, selon Interpol, « le lien entre le trafic de marchandises illicites et la criminalité organisée transnationale est clairement établi », d’autant que ce trafic génère d’importants profits. C’est semble-t-il en particulier le cas des groupes mafieux italiens qui paraissent s’intéresser de plus en plus à l’agriculture, à un point tel que l’on parle désormais d’agromafia.

Un rapport mentionné en janvier 2015 dans Forbes Magazine, qui a été rédigé par l’Association nationale agricole d’Italie (Coldiretti) et un think tank (Eurispes), indique que les groupes mafieux ont désormais la mainmise sur des entreprises agroalimentaires, des hôtels, des restaurants ou d’autres entreprises commerciales en lien avec l’alimentation. Ainsi, pas moins de 5 000 restaurants en Italie seraient gérés par ce type de groupes. Ils sont également présents dans des circuits d’import-export illégaux de produits alimentaires ou encore dans des abattoirs et des boulangeries clandestins, tandis que d’autres ont dérobé de vastes superficies agricoles. Au total, selon l’agence de presse Prensa Latina, les mafias italiennes auraient généré un chiffre d’affaires de 15,4 milliards d’euros dans l’industrie agroalimentaire en 2014 (pour un ordre de grandeur, le groupe Danone a généré un CA de 21,1 milliards d’euros en 2014).

Le rapport sur l’agromafia parle également d’une nouvelle pratique consistant à « salir de l’argent propre » (soit l’inverse même du blanchiment d’argent sale) sous la forme d’un investissement d’argent provenant d’activités agricoles légales dans des activités illégales. Cet argent propre « noirci » s’élèverait à 1,5 milliard d’euros en 2014.

Le danger des trop bonnes affaires

Ces trafics de nourritures et de boissons semblent être en forte hausse. The Economist indiquait en mars 2014 qu’en Grande-Bretagne, une agence officielle spécialisée dans l’alimentation appelée Food Standards Agency avait créé en 2007 une base de données sur les fraudes alimentaires. Cette année-là, 49 cas avaient été identifiés dans le pays. En 2013, ils s’élevaient à 1 538. Cette même agence avait estimé dans les années 2000 que la fraude alimentaire pouvait représenter jusqu’à 10 % des produits alimentaires achetés en Grande-Bretagne. L’un des cas les plus typiques de ce point de vue est le saumon présenté comme « sauvage », mais qui, selon les estimations, ne l’est pas dans un cas sur sept.

En définitive, ainsi que l’affirme Michael Ellis, le responsable à Interpol du trafic de marchandises illicites, « la plupart des personnes seraient surprises de voir à quel point les produits alimentaires et les boissons peuvent être contrefaits ». L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui classe bien entendu les produits alimentaires parmi les produits illicites, souligne d’ailleurs le fait que le grand public n’associe pas toujours contrefaçon et alimentation.

Il convient par conséquent de se montrer très prudent lorsque l’on se procure certains produits, d’autant plus si des offres particulièrement alléchantes sont faites sur internet. Dans une situation où à l’appât du gain du côté du malfaiteur correspond un appât des bonnes affaires du côté du consommateur, c’est toujours ce dernier qui finit par en pâtir. Le responsable du service de gendarmerie qui coordonne la partie française de l’opération Opson, le colonel Bruno Manin, explique ainsi à ce propos que « quand un produit haut de gamme est proposé trois ou quatre fois moins cher qu’en boutique, mieux vaut résister à l’appât de la bonne affaire »…

 

En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/le-monde-agricole-cible-de-la-criminalite-organisee/932 (article sur le site Wikiagri.fr consacré à différentes affaires récentes impliquant des groupes criminels dans les vols commis dans les campagnes ou les fraudes alimentaires), www.interpol.int/fr/Internet (site d’Interpol), www.europol.europa.eu/ (site d’Europol), www.europol.europa.eu/latest_news/fake-and-substandard-food-operation-opson-iv-launched-madrid (données officielles sur l’opération Opson III), www.interpol.int/fr/Centre-des-m%C3%A9dias/Nouvelles/2015/N2015-013 (source de la citation d’Interpol sur l’ampleur de la menace que constitue la fraude aux denrées alimentaires), www.interpol.int/fr/Criminalit%C3%A9/Trafic-de-marchandises-illicites/Le-trafic-de-marchandises-illicites (source de la citation d’Interpol sur le trafic de marchandises illicites qui a pris une ampleur sans précédent), www.interpol.int/fr/Media/Files/News-Media-releases/2015/2015-013-Op%C3%A9ration-INTERPOL-Europol-Opson-IV-Exemples-d%E2%80%99affaires (source des différents exemples de fraudes cités dans le cadre de l’opération Opson IV), www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-519.759+02+DOC+PDF+V0//EN&language=EN (rapport de 2013 de la Commission sur l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire du Parlement européen consacré aux fraudes alimentaires), www.forbes.com/sites/ceciliarodriguez/2015/01/27/italys-food-mafia-seeps-beyond-fake-olive-oil/ (article de Forbes Magazine de janvier 2015 sur le rapport italien consacré à l’agromafia), www.eurispes.eu/content/agromafie-rapporto-crimini-agroalimentari-eurispes (informations en italien sur le rapport consacré à l’agromafia), www.economist.com/news/britain/21599028-organised-gangs-have-growing-appetite-food-crime-la-cartel (source l’article de 2014 de The Economist), www.europol.europa.eu/content/thousands-tonnes-fake-food-and-drink-seized-interpol-europol-operation (source de la citation de Michael Ellis d’Interpol), www.leparisien.fr/faits-divers/caviar-vodka-rafle-geante-de-2500-tonnes-de-contrefacons-dans-47-pays-16-02-2015-4538813.php (source de la citation du colonel Bruno Manin).

 

Notre illustration est issue du site internet d’Europol, précisément à cet url : https://www.europol.europa.eu/content/press/tonnes-illicit-foods-seized-across-europe-interpol-europol-led-operation-1211 . On y voit des carabiniers italiens opérer des contrôles dans le cadre de l’opération Opson.

1 Commentaire(s)

  1. L’agro-mafia est la conséquence logique des marchés « mondialisés » la libre concurrence sans contraintes (et surtout sans contrôle) est le champ ouvert à l’émergence de la fraude : le comportement des entreprises agro-alimentaires (entente illicite sur les yaourts) ou des holdings à base coopérative (cheval dans les lasagnes) sont aussi graves, le consomm’acteur attend désormais une totale lisibilité de la part du product’acteur et du transform’acteur …. « la france à peur » de bouffer de la m…

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