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La gelée royale stimule l’apiculture

Plus de 110 apiculteurs français produisent de la gelée royale. Depuis 20 ans, ils s’impliquent dans une charte qualité, une marque et un plan de sélection exemplaire. Si le miel se raréfie, le précieux nectar des reines redonne de l’énergie aux apiculteurs.  

Dans les années 1970 et 1980, l’importation massive de gelée royale chinoise a découragé les apiculteurs de valoriser ce sous-produit de la ruche. La gelée royale française s’éteignait doucement lorsqu’en 1995, les cinq derniers producteurs ont fondé le groupement des producteurs de gelée royale (GPGR). Il fête ses vingt ans cette année en ayant atteint son objectif : redévelopper une filière française de qualité. « C’était un pari complètement fou, compte-tenu du marché. Mais aujourd’hui, le groupement compte  110 producteurs et 25 nouveaux apiculteurs se sont installés en 2014 ! », se réjouit Audrey Petitjean, productrice de gelée royale en Savoie (à Saint-Georges-d’Hurtières).

Le contexte économique explique en partie ce succès : la production de miel est en chute libre et les apiculteurs cherchent de nouveaux débouchés. Demandant peu d’investissement (il suffit de ruches adaptées et d’un petit laboratoire), l’atelier « gelée royale » répond parfaitement à cet enjeu.

Une gelée royale de qualité

Pour aider les apiculteurs à se lancer, le GPGR assure un appui technique et propose des formations, notamment au CFPPA de Vesoul. Sa première urgence fut de garantir l’excellence de la gelée royale française pour ouvrir un marché de niche. Une charte qualité a été très vite rédigée, englobant la gestion de la colonie, la traçabilité, le mode de récolte, la conservation, l’emballage en liège français… En 2014, la marque « gelée royale française » a été officiellement déposée.

Un tiers des adhérents sont contrôlés chaque année par un organisme indépendant, en plus des contrôles inopinés. Sous le statut de membres associés, les nouveaux producteurs doivent attendre deux ans pour être contrôlés, puis admis par leurs pairs (le conseil d’administration et les adhérents du GPGR) et enfin autorisés à apposer la marque.

La génétique est également utilisée pour augmenter la qualité. Depuis 2009, un plan de sélection associe une vingtaine de testeurs volontaires. « Les apiculteurs voulaient élever des abeilles plus adaptées à la production de gelée royale. Mais ils ne voulaient pas suivre la voie des Asiatiques qui ont trop sélectionné leurs abeilles : au final, elles sont peu résistantes aux maladies et peu autonomes au niveau alimentaire. Pour nous, le critère de productivité n’est pas le plus important. Nous voulons surtout produire des abeilles douces, rustiques et capables de se nourrir seules », explique Charlotte le Bihan, technicienne sélection du GPGR.

Issues de souches italiennes croisées avec des abeilles noires, des buckfasts et des carnicas, 150 reines sont inséminées chaque année. Elles sont accueillies en hivernage par cinq exploitations nommées « mini-pôles » génétiques. Leur rôle consiste à pré-tester ces reines inséminées en saison. La commission sélection en choisit ensuite une dizaine (les meilleures) pour qu’elles soient multipliées et transmises au réseau de testage (16 testeurs) dès l’automne suivant. En tout, 320 filles seront testées, issues de dix souches sélectionnées. Les mères sont donc avérées par les résultats sur leurs filles, et les plus prometteuses sont envoyées vers un pôle multiplicateur. Cela fournira aux adhérents une génétique toujours améliorée, sachant que 2000 reines ont été ainsi notées depuis 2009. C’est tout simplement l’un plan de sélection les plus importants de France, si bien que les généticiens de l’ITSAP-institut de l’abeille analysent eux-mêmes les résultats. Si la productivité n’a pas franchement augmenté, l’agressivité des abeilles a déjà bien diminué, ainsi que leur autonomie alimentaire.

Mais pour augmenter encore la qualité, il faudrait surtout mieux connaitre la gelée royale : « Il n’y a pas eu de financement pour développer la filière. On consomme la gelée royale depuis seulement 60 ans et on ignore encore beaucoup de choses. Par exemple, on ne sait pas comment l’alimentation des abeilles détermine les profils des sucres. On ignore aussi pourquoi certaines gelées cristallisent, et d’autre pas. Enfin, il faudrait étudier l’impact de la congélation sur la conservation des vitamines et des oligoéléments », énumère Charlotte le Bihan.  

Un élevage exigeant

Les 110 membres du groupement ont produit plus de deux tonnes de gelée royale en 2014. Tous les adhérents sont professionnels et la plupart sont aussi producteurs de miel. Les apiculteurs biologiques représentent 40 % des adhérents et la moitié des volumes de la marque. Selon les stratégies et les objectifs de production, la taille des cheptels est très variable. Si la production moyenne des membres atteint 21 kilos (12 kilos pour la médiane), les chiffres sont très différents d’un élevage à l’autre. « Certaines produisent uniquement de la gelée, d’autres continuent à faire du miel et du pollen. Dans ce cas, ils doivent fixer un calendrier très précis et le cheptel miel passe au second plan. La production de gelée royale est très technique et demande deux à trois jours d’intervention par semaine au printemps », prévient Charlotte le Bihan.

Pour produire de la gelée il faut d’abord leurrer la colonie : l’apiculteur place les larves dans des cellules « couvains » (il peut y en avoir 90 !) et isole la reine avec une grille. Croyant que la colonie est orpheline, les ouvrières produisent de la gelée royale en grande quantité pour élever au plus vite les nouvelles reines. Et nous sommes loin du régime taille de guêpe : les larves grossissent 1800 fois en trois jours ! Après avoir délogé les jeunes abeilles, il « suffit » d’aspirer la gelée royale, de filtrer et de frigorifier.

La gelée royale française est vendue fraîche, dans un délai maximal de 18 mois après récolte. Les modes de commercialisation sont très divers : vente directe, en circuit courts, en vrac, en magasins bio et diététiques… Mais dans tous les cas, le sens du commerce est indispensable : « La demande de miel est forte, mais ce n’est pas le cas pour la gelée royale. On subit encore la concurrence de la gelée d’importation qui est vendue à prix dérisoire. Ce n’est pas simple d’écouler 15 kilos de produit quand on les vend en pot de 10 grammes… », met en garde Charlotte le Bihan.

D’autant plus que les prix tournent autour de 20 euros le pot. Mais comme le produit est considéré comme un complément alimentaire, ce n’est pas vraiment un frein à la consommation. La gelée royale est riche en vitamines, oligoéléments et acides aminés. Plusieurs études ont démontré son effet très bénéfique sur les personnes âgées, dépressives ou convalescentes.

Audrey Petitjean, happy apicultrice

Avec 100 ruches, Audrey Petitjean fait partie des plus importantes productrices de gelée royale en France. Fille d’apiculteurs, elle a débord travaillé comme dessinatrice industrielle en bureau d’étude avant de succomber à l’appel des abeilles. « J’ai déménagé en Savoie et j’ai acheté douze ruches pour le plaisir. Je me suis rapprochée de la Chambre d’agriculture et du syndicat apicole de Savoie pour savoir s’il était possible de vivre de l’apiculture. Mes interlocuteurs m’ont rassurée, alors j’ai passé mon BPREA à distance avec le CFPPA de Vésoul. Ce mode de formation est idéal pour les reconversions. Mon maître de stage était membre du GPGR et j’ai découvert cette production à ses côtés », raconte-t-elle.

Après sa formation, l’éleveuse reprend en 2005 l’exploitation d’un apiculteur savoyard.  Elle récupère ses 300 ruches orientées miel (conduites en transhumance), et ajoute dix ruches pour la production de gelée royale.

A 600 mètres d’altitudes, près de la miellerie, les abeilles butinent selon la saison de l’acacia, du châtaignier, du tilleul, des fleurs d’alpage et du lierre. En 2006, Frédéric Petitjean s’installe à son tour sur l’exploitation qui sera transformée en Gaec en 2013. Le couple augmente rapidement le cheptel « gelée royale ». Aujourd’hui, Audrey et Frédéric arrivent sans difficulté à sortir deux salaires. « La diversification a été une sécurité, car les trois dernières années de production de miel ont été catastrophiques. Quand les abeilles ne sortent pas de la ruche, aucun miel n’est produit. A l’inverse, la gelée royale est issue des glandes des abeilles, elles en produisent toujours un peu. Depuis peu, nous vendons aussi du pollen », explique Audrey Petitjean.

La part de la gelée royale dans le chiffre d’affaires est passée de 10 à 50 %. Cependant, comme la production a beaucoup augmenté, le couple a embauché quatre saisonniers cette année. « Il faut qu’on refasse les calculs… Peut-être qu’il sera plus intéressant de baisser nos volumes et d’assumer plus de tâches nous-mêmes », songe l’apicultrice.

En 2012, Audrey rentre au conseil d’administration du GPGR, coordonne  la commission sélection en 2013 et fonde le mini-pôle de Rhône-Alpes en 2014. « La génétique me passionne. Nous nous sommes organisés sur l’exploitation pour que je m’y consacre entièrement », sourit-elle.

Des recherches qui ouvrent sur de nouvelles questions

Des recherches de sélection génétique sont aussi menées par l’INRA . Elles concernent pour l’instant le varroa : « L’idée est de sélectionner des abeilles résistantes pour éventuellement les inclure dans le plan de sélection du GPGR. Nous avançons sur des projets qui peuvent être appliqués concrètement sur le terrain », se réjouit Audrey Petitjean.

De même, les chercheurs analysent la molécule 10HDA, qui détermine les propriétés anti-oxydantes de la gelée royale. « On fait des prélèvements et on cherche à comprendre les liens entre la génétique et le taux de 10HDA. Il se peut aussi que la productivité de la ruche ait un impact, de même que l’alimentation. Cela vaut aussi pour le pollen : on ignore comment les abeilles gèrent leur stock de pollen dans la ruche », s’interroge Charlotte le Bihan

 

En savoir plus : http://www.geleeroyale-gpgr.fr (site du groupement des producteurs de gelée royale).

Audrey Petitjean est l’une des plus importantes productrice de gelée royale en France.

Audrey Petitjean a racheté une petite parcelle à la mairie pour installer ses ruches près de sa miellerie.

La gelée royale française (dont la marque est propriété du GPGR) est conditionnée dans du liège français.

 
Pour produire de la gelée, il faut isoler la reine derrière une grille et placer manuellement les larves dans ces couvains. Un travail d’une minutie d’abeille !


Le groupement de producteurs de gelée royale française a sélectionné une abeille douce et autonome pour rendre le travail plus agréable.

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