Pourquoi ce titre me direz-vous ? Ne faisons-nous pas partie de la même famille, nous les paysans et nos frères les techniciens ? Oui… et non ! Tout dépend de qui est l’aîné, tout dépend de qui a un peu plus d’autorité sur l’autre ; c’est là tout le dilemme.
Marseillais de naissance, installé depuis le 1er janvier 2012 dans le Morbihan, après un long et beau parcours d’études de Droit et de philosophie et l’enseignement de l’économie, j’ai déroulé le tapis rouge de ma ferme devant un nombre impressionnant de voitures de fonctions, aux armoiries de grands groupes agro-industriels. Et j’ai reçu ces messieurs (car ce sont bien souvent des hommes) avec une courtoisie toute chevaleresque, faisant honneur à l’éducation reçue de mes parents.
Paysan hors cadre familial, après une courte période de salariat, et avec un montant important d’annuités à rembourser chaque mois, je croyais alors au mirage de l’agriculture productiviste : j’achetais tout ce qu’il y avait de meilleur pour ma ferme, pour que mes pâtures donnent beaucoup d’herbe et mes vaches, beaucoup de lait. Mal m’en pris ! Les résultats ne vinrent pas, malgré l’omniprésence des techniciens : les pâtures étaient saturées, mon troupeau en triste état sanitaire et mes dettes importantes. Cumulés à d’autres soucis, j’ai voulu mettre fin à mes jours début 2015.
Voilà le décor planté, examinons maintenant les accessoires, puis les acteurs…
Ces messieurs m’ont concocté durant 4 ans un véritable panier garni : ammonitrate, chlorure de potassium, oxyde de souffre, urée, bicarbonate de soude, minéraux divers, soja OGM brésilien, poudre de lait de soja, poudre lait post-colostrale nettoyante, conservateurs de fourrages, bactéries à épandre, pierres à lécher antiparasitaire, produits pour renforcer l’immunité, poudre d’huitres rétentrices d’eau… que sais-je encore !
J’avais un technicien qui suivait mes cultures et qui décidait des semences/engrais/ traitements phytos à faire dans les champs ; j’avais un technicien lait qui s’occupait de la ration alimentaire du troupeau, veaux, vaches, génisses ainsi que de la production prévisionnelle de lait ; j’avais le GDS, le Contrôle laitier, le technicien de la coopérative laitière, le Centre comptable, des techniciens de la Chambre d’agriculture, un technicien bâtiment, un technicien en nutrition des veaux, un autre en produits pharmaceutiques type phytothérapie, un autre spécialisé dans le minéral, un autre encore dans les analyses de fourrages, un autre dans le planning d’accouplement de mes vaches…
Et au milieu de tous ces brillants cerveaux, un simple paysan-payeur ; celui qui aurait dû être l’acteur principal de ce théâtre de verdure, était relégué au rang de spectateur-payeur, observant du haut des gradins, les scènes dramatiques défiler les unes à la suite des autres ; Cela aurait dû se terminer comme l’acte final d’une grande tragédie : la mort. Mais dans le paysan, il y a parfois un instinct de survie, qui fait qu’au moment de passer la corde à la poutre, le protagoniste se sent des airs d’éternité, parce que ce qu’il fait, nourrir les Hommes, est éternel…
C’est là que j’écris l’Acte 2 de la vie de la ferme. Après ces 4 années sous anesthésie, je me suis posé la question du sens que je voulais donner à mon métier : continuer dans cette logique suicidaire ou réagir.
Tout d’abord, je suis revenu à cette réalité que : « conseiller, n’est point payer ». Il est toujours facile de vendre des produits miracles aux paysans, mais ces techniciens, travaillant 35 heures par semaine, avec 5 semaines de congés payés par an et une voiture de fonction, ne savent pas ce qu’est payer, surtout quand ce produit ne porte aucun résultat. Ils n’ont aucune idée de la prise de risque de notre métier, ou plutôt ils le savent, mais ne le vivent pas. Qu’il est confortable de remplir un bon de commande d’engrais ou d’aliment, en sachant que le paysan devant vous a déjà bien du mal à vivre : « mais c’est pour que ça aille mieux » disent-ils. Oui, l’endettement par l’endettement ! Et si le paysan a quelques difficultés pour régler la note, sa coopérative lui facture des frais exorbitants avec souvent l’envoi d’huissiers de Justice. Je suis passé par là, pour avoir cru en eux.
De plus, les paysans n’ont jamais été autant dépréciés de leur savoir. On m’a affirmé à plusieurs reprises : « l’agriculture est affaire de spécialistes » ou bien : « vous vous posez la question de l’agriculture bio : vous n’y pensez pas ! C’est difficile, il faut avoir une parfaite maîtrise technique ». Bref : eux ont la technique, nous, on ne sait pas faire… D’ailleurs le paysan fait toujours mal pour un technicien. Au nom de quoi, nous, « les petits, les obscurs, les sans-grades » [Edmond Rostang, L’Aiglon, tirade de Flambeau] ne saurions-nous pas cultiver nos champs, élever nos bêtes, aménager nos stabulations ? Quel orgueil tout de même que de se sentir à ce point supérieurs !
Non messieurs les techniciens, vous devez venir dans nos fermes, non pour causer ou colporter des ragots, mais pour écouter, pour vous mettre à l’école de l’humilité. Vos gesticulations commerciales et techniques ne changeront ni le climat, ni la pousse de l’herbe. Car dans notre métier, rien n’échoit automatiquement, rien ne peut être calculé à l’avance et la terre se rit bien de vos prévisions. Nous vivons, nous les paysans, dans l’incertitude permanente, façonnés par des échecs et des réussites imprévisibles, loin, bien loin des équations binaires de vos ordinateurs. C’est ainsi et vous n’y pouvez rien.
Depuis que ces « spécialistes » ne viennent plus chez moi, je suis autonome en alimentation : mes vaches sont heureuses, mes champs sont couverts de mille fleurs, mes coûts de production sont au plus bas, ma dette se réduit peu à peu… Je me sens libre, j’ai enfin du temps pour travailler, bref, je suis heureux !
Car je les ai tous mis dehors, ces fantassins de l’agro-industrie, et quand j’ai besoin d’un renseignement, je m’adresse auprès d’aimables confrères qui exercent le même métier que moi : je reçois des réponses prudentes, emplies de bon sens et d’expérience. Ah ! Le bon sens… il est grand temps de le retrouver !
Ainsi, nous sommes peut-être de la même famille, mais le paysan restera à jamais le frère aîné ; c’est-à-dire cet homme pour qui la Nature est école de vérité, et dont la pensée, au contact de la terre, devient sagesse…
Louis Ganay,
éleveur
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/javais-deja-choisi-la-poutre-la-plus-solide/6248 (article de WikiAgri relevant le témoignage de Louis Ganay sur le suicide en agriculture) ; https://wikiagri.fr/articles/debats-interdits-que-revele-le-suicide-des-agriculteurs-/8415 (vidéo enregistrée pendant le dernier salon de l’agriculture avec plusieurs intervenants, dont Louis Ganay, toujours sur le sujet du suicide en agriculture).
Vous devez disposer des mêmes droits que tout autre entrepreneur. Pas plus, pas moins.
Le même droit d’inventer, d’écrire son projet d’entreprise selon ses propres intuitions et non sous la dictée d’un comité central syndical et toutes ses filiales. Pas plus, pas moins.
Le même droit d’orienter sa stratégie de développement ou de diversification, d’opter pour de la croissance interne ou externe selon les opportunités, dans le but de pérenniser son outil, créer de la richesse et donc de l’emploi en chef d’entreprise adulte et responsable conscient de la réalité économique du monde actuel et à venir. Pas plus, pas moins.
Le droit d’accéder aux mêmes outils de financement du capital notamment par l’ouverture aux investisseurs non agriculteurs. Pas plus, pas moins.
Le droit de valoriser son activité et sa capacité à générer du revenu en instaurant le fonds agricole. Pas plus, pas moins.
Le droit de céder librement son entreprise avec ses contrats de production et surtout de location foncière. Pas plus, pas moins.
Parce qu’il n’est pas tolérable, qu’au motif fallacieux de la défense du modèle agricole familial, tout le potentiel de notre filière agricole soit anéanti au profit de nos voisins européens qui ne se posent sans doute pas les mêmes questions.
Parce qu’il n’est pas tolérable qu’un dirigeant d’entreprise qui a investi tout le long de sa carrière dans son outil de travail soit dans l’incapacité de céder son bien en raison de l’incessibilité du bail rural à un tiers.
Pourtant les solutions juridiques existent. Il n’y a rien à inventer. Il suffit de décider de les utiliser.
Bonjour,
Totalement d’accord avec vous, bravo pour cette belle mise en forme d’une pensée qui désormais est mienne et, je le pense, de plus en plus répandue…
Ce serait moins un problème d’avoir un aéropage de conseillers et vendeurs si notre métier était reconnu comme d’une certaine utilité générale (entretien du paysage français et remplissage pléthorique des rayons alimentaires des supermarchés…), et nos produits rémunérés à leurs justes valeurs (quelques centimes, ou quelques dizaines de centimes par kilo ou litres suffiraient… !!! mais clairement, personne ne veut nous les attribuer).
Il faudrait en arriver à ce que ça débauche chez les distributeurs, dans les coop et autres organismes de services, pour dire que : et bien oui, la crise chez les agriculteurs, elle est grave, elle impacte tout un secteur de l’économie…
Mais pour l’instant, j’ai l’impression que ça fait le dos rond – en attendant mieux -. Et que l’on emploie de plus en plus le personnel sur de l’administratif, ça occupe !…
Bonjour,
Suite aux commentaires plus bas de Xavier Fauvarque via Facebook ( je n’ai pas encore de compte FB pour lui répondre).
Quid ? – Dites-nous en plus sur vous…
Si vous faites de l’aide aux agris en difficultés, bravo !
Vos propos ne sont pas forcément tout clair…
Article présentant un amalgame flagrant…bouillie de pensée mélangeant l’ensemble de la filière agro alimentaire.
L’auteur mélange les commerciaux, les conseiller et les techniciens… C’est sur que si il ne fait pas la différence entre les logos des voitures qui rentre dans la cour, ca va faire mal sur les finances de la ferme. C’est bien de la faute des agriculteurs, si il laissent les commerciaux faire leur programme de fertilisation, de désherbage, équilibrer les rations….
Tant mieux si vous vous êtes réveillé, mais il ne sert rien de vomir votre rancune !
Enfin, cette petite chronique semble vous avoir soulager…tant mieux
Un titre comme celui-là pourrait aisément servir d’accroche publicitaire pour un labo pharmaceutique ou un vendeur de produits toxiques destinés à précipiter l’agriculture toujours plus rapidement dans le gouffre du non-sens. N’est-ce pas affligeant ? Même le langage a été perverti par ces criminels et des termes aussi puissants et nobles que “Vie”, “Innovation”, “Biodiversité”, “Fertilité”, “Partage”, “Solidarité”, etc., ont été vidés de toute leur substance. Nous devons donc nous réapproprier ces termes et surtout redonner une vraie valeur à leur signification intrinsèque et aux actes qu’ils inspirent ! L’immense capacité d’innovation de l’être humain doit être remise au service de la vie dans son ensemble.
Nous sommes, en effet, capables de créer des microprocesseurs si minuscules et si puissants que cela dépasse l’entendement, d’envoyer des milliers de satellites dans l’espace, de communiquer d’un bout à l’autre de la planète via les réseaux sociaux à la vitesse de la lumière, ou encore de créer des intelligences artificielles qui seront bientôt plus “intelligentes” que nous. Ne devrions- nous pas être, également, capables de préserver notre habitat ? De prendre soin de nos terres, de nos rivières ou de nos forêts et de tous leurs habitants ? Oui, nous en sommes, bien sûr, capables. Les nombreuses alternatives qui fleurissent un peu par tout sur la planète le prouvent. Mais nous sommes allés loin, très loin, dans le désastre et nous devons déployer tout notre génie et toute notre énergie pour arrêter la chute vertigineuse de l’humanité vers sa “déconnexion finale”.
Nous devons créer une nouvelle réalité, un nouveau paradigme fondé sur l’abondance, le partage, la solidarité et la co-évolution avec la Nature. Car la réalité actuelle que nous “vivons” – créée de toutes pièces par quelques psychopathes avides de pouvoir, d’argent et de sang – nous mène dans une impasse sociale et écologique. Les plus de 800 millions (chiffre F.A.O.) de personnes en situations de vulnérabilités alimentaire sont autant de vies que l’Occident assassine de par son “mode de vie/mode de mort” qui justifie les famines, les guerres, les massacres et les génocides à l’autre bout du monde. Nous pouvons et devons changer le cours de cette histoire.
Beaucoup de projets innovants et fertiles démontrent qu’un autre fonctionnement est possible, que de nombreuses méthodes de production alimentaire, respectueuses des écosystèmes et des populations, sont infiniment plus rentables et permettraient, sans aucun doute, de nourrir l’humanité sans pour autant détruire massivement la Biosphère planétaire. Ces méthodes – pas assez lucratives, voire totalement gratuites au même titre que de nombreuses médecines alternatives très efficaces – sont généralement stigmatisées, ridiculisées ou même tout simplement rendues illégales par les “autorités” qui mangent docilement dans la main des multinationales de l’agro-pharmaco-toxico-industrie – ces mêmes multinationales qui sont strictement sous le joug du système bancaire international.
Nous ne devons pas céder à ces interdictions, à cette marginalisation de l’agroécologie ou de toutes les alternatives à l’agriculture toxique prévalent sur l’entièreté de la planète. Au contraire, semons et cultivons des plantes illégales, partageons la connaissance des médecines traditionnelles, développons l’agriculture familiale, reproduisons nos propres semences au nez et à la barbe des lois liberticides et luttons contre ces vendeurs de mort et de désastre ! Résistance !…/…
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malheureusement trop de reconvertis ne pensent pas qu’ ils sont des chefs d entreprise et que ce sont eux qui commandent chez eux et non leur technicien qui eux ont bien compris qu il valait mieux être salarie de leur patron qu à la place de leur client.
preuve qu’ aujourd’hui on arrive au bout d une sorte d agriculture productiviste pour aller dans une agriculture rentable respectueuse de l environnement.
la pollution en Bretagne c’est bientôt fini 1/4 des porcheries vont arrêter par souci de rentabilité