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Fourrages et alimentation des bovins, les bons calculs

Quels fourrages choisir et dans quelles proportions pour bien nourrir ses bovins viande ? Calculs et applications concrètes dans le Limousin. Ou comment valoriser l’herbe.

A l’heure de l’après-quotas, le système herbager garantit aux éleveurs une autonomie fourragère essentielle. En Limousin, le programme « herbe et fourrages 2010-2014 » a vu des centaines d’éleveurs progresser dans leur nouveau métier d’ »herbiculteur ». La Chambre d’agriculture régionale organisait un colloque (source de cet article) en décembre pour lancer la troisième phase du programme.

Dans un élevage de bovins viande, les coûts alimentaires représentent 18 % des coûts de production globaux. Or, à 19,57 euros la tonne de matières sèches en 2014, l’herbe pâturée est le moins cher des fourrages (contre 80,91 euros pour l’enrubannage, 56,91 euros pour l’ensilage et 54,91 euros pour le foin). Dix jours de pâturage supplémentaires en début de saison représentent une économie de 1230 euros pour une exploitation de 1000 UGB. Si on ajoute à cela les économies de pesticides, d’aliments protéiques, d’engrais azotés, de temps de travail…. Le pâturage n’a jamais été aussi intéressant. En Limousin, l’herbe représente 89 % de la SAU, mais cette richesse est sous-valorisée.

Neuf ans de recherches appliquées

Suite aux sécheresses de 2003 et 2005,  le Conseil régional du Limousin a souhaité mettre en place une aide structurelle avec la Chambre d’agriculture régionale. Elle prend la forme d’un « programme herbe et fourrages » signé en septembre 2006 pour trois ans. L’idée était de sécuriser la conduite des systèmes herbagers et d’améliorer l’autonomie fourragère et alimentaire des élevages.

Dans sa première phase, le programme s’élevait à 900 000 euros (400 000 euros du Conseil régional, et financements Feader et Draaf). L’université de Limoges a d’abord mené une étude sociologique pour comprendre la réaction des agriculteurs face à la sécheresse. L’Inra est également un partenaire historique. Les chercheurs venaient d’établir une typologie des graminées et d’élaborer la notion de cumul des températures moyennes journalières, à l’origine des bulletins herbe diffusés dans 40 départements. Dans un second temps, quinze fermes pilotes limousines ont été associées. Elles ont permis de former les techniciens et de déterminer des modèles selon trois indicateurs : l’autonomie fourragère, la production brute par atelier et la viabilité de l’exploitation.

Grâce aux premiers résultats, les modèles ont été largement déployés et diffusés par les nombreux partenaires techniques, financiers et méthodologiques. En 2010, le programme a lancé de vastes actions de communication : groupes herbe, visites de ferme, 80 démonstrations, 2300 analyses, 780 éleveurs formés, 120 journées techniques, documents de communication, vidéos… Aujourd’hui, le programme entre dans sa troisième phase et le colloque a ouvert des axes de progression.

Des innovations concrètes

Pour accompagner les éleveurs, les techniciens disposent de trois outils majeurs : le Diafou (diagnostic sur l’autonomie fourragère), le diagnostic Pré +, et la calculette Prev’Her qui permet d’organiser les surfaces fourragères et de prévoir les pâturages avant la mise à l’herbe. Mais avant tout, il propose une nouvelle organisation du travail, fondée sur le cumul des températures : les travaux sont planifiés non plus en fonction d’une date calendaire fixe, mais en additionnant les températures de tous les jours écoulés de l’année. Trois températures sont à retenir : la mise à l’herbe des troupeaux débute à 300 degrés, lorsque l’herbe est d’excellente qualité nutritionnelle. Cela pour finir le premier cycle de pâturage avant l’épiaison des derniers paddocks à pâturer. A 500 degrés, le déprimage est arrêté sur les parcelles précoces pour éviter que les ovins consomment les épis. A 700 degrés, il est temps de faucher (la fauche de la seconde coupe doit se faire 60 jours après la première). Ces repères visent à anticiper les impacts du changement climatique.

Le programme invite à optimiser le pâturage (le pâturage tournant permet de libérer des surfaces fourragères mises en culture) et la production d’herbe à l’hectare (par rénovation des prairies, amendements calcaires et organique). Seule difficulté du pâturage tournant : il faut prévoir des points d’eau dans chaque paddock…

La bonne qualité de fourrage au bon moment

En 2013, 650 échantillons ont été prélevés en Limousin pour comparer les valeurs alimentaires (densité d’énergie et densité azotée) de différents fourrages. Pour chaque type, des préconisations précises ont été déduites. Plus on monte en température cumulée, plus les fourrages perdent de leur valeur alimentaire (la perte en protéine est plus accentuée que la perte d’énergie). A titre d’exemple, les ray grass perdent 12 % de leur valeur énergétique et 28 % de leur valeur en protéines entre 700 et 1000 degrés.

L’enjeu est de faire coïncider les valeurs des fourrages et les besoins des vaches : les vaches vêlant en fin d’hiver ayant de faibles besoins énergétique, les prairies permanentes récoltées entre 1100 et 1400 degrés répondent à leurs besoins, ainsi que les prairies temporaires récoltées entre 900 et 1300 degrés. Les vaches qui vêlent en début d’hiver ont des besoins intermédiaires (il faut leur réserver les récoltes précoces) et les primipares ont des besoins très élevés du fait de leur faible capacité d’ingestion (prairies permanentes récoltées entre 800 et 10000 degrés ou prairies temporaires récoltées entre 750 et 1000 degrés).

Concernant le choix des « bonnes » espèces prairiales, il semble que les critères soient très subjectifs et ne prennent pas assez en compte le stade d’évolution de l’herbe… Et le goût des animaux ! Une étude de 2011 a démontré que les moutons préféraient (dans l’ordre) la crételle, la flouve odorante, le dactyle et le ray-grass anglais. Selon une étude en Limousin, le méteil semble avoir une valeur alimentaire en matière azotée totale supérieure au ray grass italien et un rendement à l’hectare deux fois supérieur pour un coût de production moindre.

Des résultats confirmés en ferme

Un bilan a été réalisé auprès de 25 éleveurs corréziens engagés dans le programme.  92 % des éleveurs observaient un meilleur état des vaches toute l’année, une pousse d’herbe plus rapide et de meilleure qualité en pâturage tournant (grâce à la lumière, les légumineuses se développent dans un couvert végétal dense) ainsi qu’une meilleure autonomie fourragère. La moitié d’entre eux diminuent leur besoins en stock grâce à une mise au pâturage précoce. Ils n’observent pas d’incidence négative sur la croissance des veaux, mais une économie de 16,5 tonnes d’aliments en production de broutards.

Quelques fermes pilotes ont témoigné lors du colloque. Le Gaec du Boijoux (Creuse) de Pascal et Vincent Laforge est situé à 600 mètres d’altitude, sur des sols sableux superficiels qui reçoivent 1000 mm de pluie. Le Gaec voulait développer l’engraissement sans baisser le nombre de vêlages. Grâce aux coupes précoces (enrubannage et foins) et à la mise à l’herbe avancée, ils ont dégagé des surfaces pour lancer une production de céréales sur quelques hectares pour engraisser des taurillons et des génisses. Cet hiver, ils engraisseront aussi des génisses à l’herbe entre 10 et 30 mois, sans aucun concentré. « L’enrubannage vise aussi à économiser des concentrés d’azote. On valorise l’herbe très tôt grâce à la mesure des hauteurs d’herbe et la somme des températures. Je me suis formé à la Chambre d’agriculture sur le pâturage tournant. C’est une autre méthode de travail et il faut savoir calculer le temps et la surface de pâturage idéale. Pour nous, c’est sept jours par parcelle« , explique Pascal Laforge. Leur EBE (excédent brut d’exploitation) a presque augmenté de 10 000 euros en trois ans grâce aux économies en concentrés !

Autre expérience réussie : celle du Gaec de Panlat (Haute-Vienne) qui possède une cinquantaine de truies depuis 2002. « Quand je me suis installé, j’ai relancé une production de bovins viande. On partait d’assez bas, avec seulement 25 vaches et l’obligation d’acheter du foin et des aliments bio. Notre première urgence, c’était l’autonomie fourragère en remettant en état les prairies. Dans notre région, nous sommes de bons éleveurs mais pas des agronomes… Pourtant, l’herbe est de loin l’aliment le plus économique, et la vache est la meilleure machine de récolte ! Le programme nous a permis de rationnaliser l’organisation du travail. On anticipe beaucoup plus. L’été, nous avons cinq lots qui changent de paddocks tous les jours !« , explique l’éleveur Armel Rommeluère. Le Gaec de Panlat a divisé en trois ses parcelles : un tiers de cultures (une dizaine d’hectares de céréales avec un atelier de fabrication d’aliment), un tiers de prairies temporelles et un tiers de prairies permanentes valorisées par le pâturage tournant. Le seul investissement a concerné les clôtures. Le taux d’autonomie fourragère est passé de 108 à 143 % en trois ans, et le chargement a augmenté à 1,2 UGB par hectares.  Aujourd’hui, la moitié des mâles sont vendus en bœuf bio de trois ans (sans achat de concentré autre que des minéraux), alors qu’avant, le Gaec ne produisait que du broutard conventionnel.

La réussite est aussi flagrante au Gaec Tixier de Bouzogles (Creuse) : il a choisi d’implanter sur 10 hectares des cultures fourragères à base de luzerne, de dactyle et de trèfle violet. « Avant le programme, on achetait 50 tonnes de fourrages par an. Aujourd’hui, on en produit 50 tonnes en trop ! Nous avons du fourrage de qualité et la luzerne résiste bien aux aléas climatiques« , se réjouit Daniel Tixier.

 

En savoir plus : http://www.herbe-fourrages-limousin.fr (site internet du programme « herbe et fourrages en Lilmousin ») ; http://www.afpf-asso.org (site de l’asociation française de la production fourragère) ; http://www6.toulouse.inra.fr/agir/Les-productions/Outils (les outils suggéré par l’Inra).

Ci-dessous, limousines au pré (photo d’archives).

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