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Faim dans le monde, un avenir plein d’incertitudes

L’augmentation importante de la population mondiale dans les décennies à venir, ainsi que la montée spectaculaire des classes moyennes dans les pays émergents soulèvent la question de la sécurité alimentaire mondiale à l’avenir dans un contexte de préoccupations croissantes relatives au changement climatique

Selon le rapport de la FAO sur l’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde publié en octobre 2013, 842 millions de personnes dans le monde souffraient de sous-alimentation durant la période 2010-2012, ce qui représente 12,5 % de la population mondiale. Même si ce chiffre est important en soi, contrairement à une idée reçue, la proportion de personnes sous-alimentées tend à diminuer depuis deux décennies : 14,9 % de la population des pays en développement (PED) souffre actuellement de malnutrition, contre 23,2 % en 1990-1992. Les idées reçues sur la sous-alimentation continuent malgré tout à avoir la vie dure puisque, selon un sondage publié en octobre dans le quotidien La Croix, les Français interrogés sont 50 % à estimer que la situation de la faim dans le monde n’évolue pas vraiment ces dernières années et même, pour 43 % d’entre eux, qu’elle se dégrade.

Cette amélioration de la situation de la faim dans le monde va-t-elle se poursuivre ? Il est bien difficile de le dire dans l’état actuel des choses. Ce que l’on sait d’ores et déjà, c’est que la population mondiale va continuer à croître de façon significative dans les décennies à venir, malgré un rythme de croissance plus lent qu’il y a quelques années. C’est en tout cas ce que montrent les données démographiques divulguées en septembre par l’Institut national d’études démographiques (INED) et le Population Reference Bureau (PRB). La population mondiale est estimée actuellement à 7,14 milliards d’habitants. Le cap des 7 milliards a été passé symboliquement le 31 octobre 2011 avec la naissance de la petite Danica Camacho aux Philippines et il a fallu seulement 13 années pour que la population gagne un milliard d’habitants.

Selon les projections de l’INED et du PRB, la population mondiale devrait s’élever à 8,10 milliards en 2025 et à 9,73 milliards en 2050. Elle devrait se stabiliser ensuite pour atteindre 10 à 11 milliards d’habitants à l’horizon 2100. Cela signifie par conséquent que la population mondiale devrait progresser encore d’un peu plus d’un tiers (36 %) d’ici 2050. 97 % de cette croissance devrait être le fait des PED et 51 % des seuls pays africains, qui ne représentent aujourd’hui que 15 % de la population mondiale. L’Afrique, qui a un peu d’un milliard d’habitants en 2013, devrait, en effet, avoir une population de 2,4 milliards en 2050. Les projections pour 2100 sont encore plus spectaculaires de ce point de vue, ce qui peut paraître inquiétant lorsque l’on sait que l’Afrique est actuellement le continent dans lequel la proportion de la population sous-alimentée est la plus importante avec 23 % de la population.

Il faudra par conséquent nourrir 2,6 milliards de bouches nouvelles entre 2013 et 2050. 2,6 milliards, c’est un chiffre qui est loin d’être négligeable puisque c’est à peu près la population actuelle cumulée des deux pays les plus peuplés du monde, la Chine et l’Inde, et c’était aussi la taille qu’avait la population mondiale au début des années 1950. Les experts estiment ainsi que, pour répondre aux besoins alimentaires de cette population supplémentaire, la production agricole devrait quasiment doubler d’ici 2050.

Parallèlement à cette croissance de la population mondiale, nous devrions assister à une montée spectaculaire des classes moyennes principalement dans les économies émergentes. C’est d’ailleurs l’une des principales tendances identifiée dans deux rapports prospectifs récents. Le premier a été publié en août 2013 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, l’ancien Commissariat général du Plan, dans le cadre du projet gouvernemental « France 2025 ». Les auteurs de ce rapport prévoient ainsi que la classe moyenne mondiale représente plus de quatre milliards de personnes en 2023, dont plus de la moitié vivrait en Asie. Le second a été publié en octobre par la Commission Oxford Martin pour les générations futures, commission réunissant des personnalités internationales de haut niveau, telles que l’ancienne présidente chilienne Michelle Bachelet, les anciens dirigeants français de l’OMC et de la Banque centrale européenne, Pascal Lamy et Jean-Claude Trichet, ou encore le prix Nobel d’économie Amartya Sen. Le rapport estime lui aussi que le nombre de personnes appartenant à la classe moyenne mondiale devrait exploser dans les décennies à venir, passant ainsi de 1,85 milliards d’individus en 2009 à 4,88 milliards en 2030, et que deux-tiers de cette classe moyenne se situerait dans la zone Asie-Pacifique.

Les classes moyennes sont des catégories sociales dont le quotidien n’est plus la quête de la survie et de la satisfaction de besoins de base (se nourrir, se loger, se vêtir). Elles disposent, en effet, de suffisamment de revenus pour pouvoir accéder à la société de consommation, à la santé, à l’éducation et aux loisirs. Or, l’accession aux classes moyennes se caractérise aussi souvent par l’adoption d’un nouveau régime alimentaire davantage axé sur les produits issus de l’élevage avec une plus forte consommation de viandes et de produits laitiers. Dans un rapport publié en 2009 par la FAO, L’ombre portée de l’élevage, celle-ci indiquait que la production de viande devrait ainsi passer à l’échelle mondiale de 229 millions de tonnes en 1999-2001 à 465 millions de tonnes en 2050 et celle de lait de 580 millions de tonnes à 1,43 milliards de tonnes. Or, selon la FAO, la production de viande, en particulier de bovins, constitue un important facteur d’émissions de gaz à effet de serre, avec près de 20 % du total de ces émissions, soit davantage que le secteur des transports, ainsi que de déforestation, notamment en Amérique latine. L’élevage occupe également 70 % des terres agricoles dans le monde, et même 30 % de la surface de la planète, et il est à l’origine de la consommation de 8 % de l’eau utilisée dans le monde. En outre, l’élevage intensif est aussi reconnu comme un facteur de pollution des sols et de l’eau.

Cet accroissement de la population mondiale et cette montée des classes moyennes avides de produits issus de l’élevage impliquent par conséquent un net accroissement de la production agricole mondiale, notamment de la production de viande, dans un contexte de préoccupation croissante vis-à-vis de la protection de l’environnement et du changement climatique. La nécessité d’assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale croissante, notamment dans les pays du Sud et plus précisément en Afrique, et celle de prendre en compte les contraintes environnementales liées en particulier au changement climatique seront-elles bien compatibles ? A suivre…

En savoir plus : www.fao.org/docrep/017/i3027f/i3027f00.htm (rapport de la FAO sur l’Etat de l’insécurité alimentaire dans le monde de 2013), www.la-croix.com/Actualite/Monde/Faim-dans-le-monde-les-Francais-privilegient-l-agriculture-familiale-2013-10-15-1042963 (sondage sur les Français et la faim dans le monde publié dans La Croix en octobre 2013), www.prb.org/pdf13/2013-population-data-sheet_eng.pdf (rapport du Population Reference Bureau sur la population mondiale, 2013 World Population Data Sheet), www.ined.fr/fichier/t_telechargement/62774/telechargement_fichier_fr_publi_pdf1_population_societes_2013_503_population_monde.1.pdf (rapport de l’INED sur la population mondiale, « Tous les pays du monde (2013) », Population & Sociétés, Numéro 503), www.strategie.gouv.fr/blog/wp-content/uploads/2013/08/Quelle-France-dans-dix-ans_CGSP_20130819_final_WEB_31.pdf (rapport de 2013 du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, « Quelle France dans dix ans ? »), www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/commission/Oxford_Martin_Now_for_the_Long_Term.pdf (rapport de 2013 de la Commission Oxford Martin pour les générations futures, « Now for the Long Term »), ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/012/a0701f/a0701f00.pdf (rapport de 2009 de la FAO sur l’élevage, L’ombre portée de l’élevage).

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