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Entrepreneuriat, enfin la possibilité d’une seconde chance

La fin du fichage par la Banque de France des entrepreneurs dont les entreprises ont fait l’objet d’une liquidation judiciaire est une bonne nouvelle, mais il faudra certainement encore beaucoup de temps avant que la France accepte plus facilement l’idée de l’échec et devienne un « Yes country ».

Depuis le 9 septembre, les entreprises qui ont fait l’objet d’une liquidation judiciaire suite à un dépôt de bilan n’apparaissent plus dans le fichier de la Banque de France dans la mesure où celle-ci n’est pas liée à une faillite frauduleuse. 144 000 chefs d’entreprise sont ainsi concernés par cette mesure. Elle fait suite à une promesse faite par François Hollande au mois d’avril dernier lors des Assises de l’entrepreneuriat. Cela devrait par conséquent faciliter l’accès au crédit bancaire d’un certain nombre de petits patrons et leur permettre de rebondir dans de meilleures conditions.

La Banque de France attribuait jusqu’alors, en effet, ce qu’elle appelait des « valeurs de l’indicateur dirigeant », au nombre de quatre, en fonction des décisions judiciaires prononcées par les tribunaux statuant en matière commerciale. L’indicateur 000 signifie que la Banque de France n’a aucune information concernant l’entreprise en provenance des tribunaux de commerce. Celle-ci ne pose donc aucun problème particulier. La situation devient problématique à partir de l’indicateur 040 qui stipule que la personne exerce ou a exercé une fonction de représentant légal ou d’entrepreneur individuel dans une entreprise ayant fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire depuis moins de trois ans quelle qu’en soit l’origine. C’est cet indicateur qui a été supprimé par décret le 9 septembre dernier. L’indicateur 050 signifie que la personne a été alors à la tête d’au moins deux entreprises ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire et l’indicateur 060, qu’elle a dirigé au moins trois entreprises dans ce cas. Ces indicateurs sont notamment diffusés aux établissements de crédit et aux administrations à vocation économique ou financière. En clair, la Banque de France donne une sorte de note à tous les chefs d’entreprise – jusqu’en 2005, elle parlait d’ailleurs de « cote des dirigeants » –, ce qui a une incidence certaine sur l’accès au crédit bancaire pour leur entreprise, et même sur la possibilité pour celle-ci d’ouvrir ne serait-ce qu’un compte bancaire.

La France était le seul pays européen à disposer d’un tel indicateur. Les banques françaises s’y référaient de façon systématique avant d’accorder un crédit à une entreprise. Or, un indicateur 040 signifiait automatiquement un refus de crédit. Cela pouvait même être le cas pour les dirigeants d’entreprise qui avaient eu à un moment donné un tel indicateur, mais qui avait récupéré un indicateur 000 après le délai des trois ans. Résultat, si l’on en croit Fleur Pellerin, la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, dans un entretien accordé au Parisien le 7 septembre dernier, cela prend neuf ans en France en moyenne pour rebondir après une faillite contre un délai de seulement un an en Norvège ou au Danemark.

Tout ceci paraît assez symptomatique de traits culturels malheureusement bien français, à savoir la stigmatisation de l’échec par ce refus de donner une seconde chance aux entrepreneurs, l’idée selon laquelle lorsque l’on sort du système, c’est de façon quasi définitive et une sorte de phobie collective par rapport à la prise de risque. Ce n’était pas normal que les entrepreneurs qui avaient connu un dépôt de bilan, quelles qu’en soient les circonstances, soient ainsi marqués au fer rouge. Plus largement, ce n’est pas normal non plus que de très nombreux entrepreneurs ne trouvent pas de financement auprès de banques ou d’autres structures en France et qu’ils soient obligés de s’expatrier sous d’autres cieux pour pouvoir être financés. Les exemples de ce type abondent.

On nous parle à longueur de journée de la nécessité d’innover et de prendre des risques, mais rien ne semble réellement fait pour aller dans ce sens. C’est la raison pour laquelle certains, comme le consultant Christophe Labarde, parlent de la France comme d’un « No country », d’un « pays du Non », c’est-à-dire d’un pays où non seulement l’initiative n’est pas louée et récompensée, mais où l’échec laisse une marque plus ou moins indélébile. Dans d’autres pays tels que les Etats-Unis ou le Canada, les « Yes countries », celui qui a échoué est vu de façon positive car d’une part, il a essayé, et d’autre part, on suppose qu’il va progresser et que la deuxième tentative sera la bonne car il va tirer tous les enseignements de son échec. Comme le dit Christophe Labarde à propos de ces « Yes countries » : « Là-bas, lorsqu’on soumet une idée à son interlocuteur, on se voit généralement répondre : « pourquoi pas ? », « formidable », « très intéressant » et souvent, dans la foulée, « que pouvons-nous faire ensemble ? » ». Ce constat est partagée par Fleur Pellerin elle-même dans l’interview accordée au Parisien lorsqu’elle affirme que « l’échec est très mal accepté en France. Notre pays n’a pas la culture de l’échec utile ».

La suppression de l’indicateur 040 et la volonté de la ministre de « décomplexer l’échec dans notre pays » sont par conséquent d’excellentes nouvelles. Malheureusement, un simple décret ne suffira pas pour changer une culture et une mentalité et transformer ainsi la France en un « Yes country ».

En savoir plus : www.leparisien.fr/economie/un-coup-de-pouce-aux-pme-07-09-2013-3115867.php (entretien de Fleur Pellerin accordé au Parisien le 7 septembre 2013) ; la citation de Christophe Labarde est extraite de Je dis (enfin) oui à mon projet de vie (Eyrolles, 2012), www.yesouican.com/page2/index.html (site internet de Christophe Labarde).

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