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Elections européennes du 26 mai 2019, les grandes inconnues du vote agricole

Quel sera le vote agricole lors du scrutin européen du 26 mai 2019 ? Il y a beaucoup d’inconnues en la matière car on ne connaît pas les intentions de vote des agriculteurs, faute d’étude précise sur le sujet.

Pour la plupart des électeurs, les Européennes sont vues comme des élections secondaires pour lesquelles ils ont du mal à se mobiliser et à l’occasion desquelles ils peuvent parfois « se lâcher » en votant, sans grand risque à leurs yeux, pour des listes « périphériques » par rapport aux principaux partis. Ils tendent généralement à se prononcer soit sur des enjeux proprement nationaux, en exprimant notamment leur soutien ou leur rejet de l’exécutif en place, soit sur la base de considérations plutôt abstraites, comme leur rapport à la construction européenne en général, à un « modèle économique » souvent perçu comme libéral ou encore à la mondialisation.

A l’évidence, les agriculteurs sont dans un tout autre cas de figure. Il s’agit pour eux sans aucun doute d’un rendez-vous politique majeur. De leur point de vue, ce sont des élections primordiales à partir du moment où elles contribuent à façonner la position de la France sur la politique agricole commune (Pac), qui est essentielle au bon fonctionnement de l’agriculture française, et à déterminer le poids politique que pourront avoir les députés français au sein du Parlement européen et donc le résultat de différents votes-clefs, par exemple, la désignation du prochain commissaire à l’agriculture. En votant pour les Européennes, les agriculteurs peuvent donc avoir le sentiment d’avoir en particulier un impact sur les subventions européennes qu’ils vont percevoir.

Des élections de second ordre pour les Français

Les élections européennes sont généralement qualifiées en science politique d’élections de « second ordre ». Cela signifie qu’aux yeux de la plupart des électeurs français, elles ne sont pas de première importance puisqu’elles ne sont pas perçues comme décisives. Elles ne permettent pas de modifier la politique suivie par le gouvernement national ou a fortiori de changer celles et ceux qui sont pouvoir.

Cela se traduit en premier lieu par un taux d’abstention élevé (58 % par exemple en 2014). On peut supposer que cela sera également le cas le 26 mai prochain. C’est également la raison pour laquelle ces élections présentent aussi souvent les traits d’un grand exutoire.

Ces scrutins peuvent ainsi favoriser l’opposition, d’autant que les débats et les enjeux électoraux sont d’abord franco-français, avant de porter sur des questions européennes à proprement parler. Ainsi, sur les huit élections qui se sont déroulées entre 1979 en 2014, la liste arrivée en tête a été une liste d’opposition à quatre reprises : en 1984, en 1989, en 2004 et en 2014. Ce sera bien évidemment l’un des principaux enjeux du scrutin de 2019 : qui de la liste La République en marche emmenée par Nathalie Loiseau ou de la liste Rassemblement national de Jordan Berdella arrivera en tête (sauf grande surprise par rapport aux intentions de vote révélées par les instituts de sondage) ?

On a pu également observer à de nombreuses reprises entre la fin des années 1970 et 2014 la percée de mouvements périphériques par rapport aux principales forces politiques de cette période qu’étaient les socialistes et la droite traditionnelle.

Ce fut notamment le cas pour le Front national puisque c’est lors des élections européennes de 1984 que la liste FN a effectué une première percée électorale à l’échelle nationale en recueillant 11 % des suffrages et c’est en 2014 qu’il est arrivé pour la première fois en tête d’une élection nationale en France. Si l’on excepte les élections de 1999 et de 2009, les listes FN ont ainsi obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés lors de chaque scrutin européen.

Les Européennes sont aussi un scrutin qui tend à être favorable aux listes écologistes. C’est en général lors de ces élections qu’elles ont enregistré leurs scores les plus élevés comme en 1989 (10,6 %), en 1999 (9,7 %), en 2009 (16,3 %) ou en 2014 (9 %). On a également assisté à des percées épisodiques de listes souverainistes – de Villiers en 1994 et Pasqua-de Villiers en 1999 –, et de la liste Bernard Tapie en 1994, celles-ci dépassant alors 10 % des suffrages, et, dans une moindre mesure, des listes Chasse-Pêche-Nature-Tradition (CPNT) entre 1989 et 1999 et des listes d’extrême-gauche entre 1999 et 2009.

Ces élections ont aussi été le théâtre d’effondrements assez spectaculaires de listes des grands partis à l’instar de la liste Rocard pour le PS en 1994 (14,5 %), de la liste Sarkozy en 1999 (12,8 %) ou encore de la liste Union de la gauche en 2014 (14 %). Enfin, on peut remarquer que c’est un scrutin qui tend plus généralement à favoriser la droite au sens large du terme (FN compris) puisque celle-ci est arrivée en tête à six reprises, la gauche n’étant en tête que durant la présidence Chirac, en 1999 et en 2004.

L’élection présidentielle de 2017 a évidemment largement rebattu les cartes en conduisant à éliminer sans doute durablement du jeu électoral le Parti socialiste et, dans une moindre mesure, la droite classique incarnée par Les Républicains. En 2019, on devrait néanmoins retrouver quelques traits caractéristiques des élections européennes précédentes avec un scrutin qui ne favorise pas la gauche et qui est favorable au Rassemblement national.

Les trois inconnues majeures du vote des agriculteurs

Qu’en sera-t-il du vote des agriculteurs à ces élections européennes ? Il est très difficile de le savoir à ce stade.

Ce que l’on peut dire cependant, c’est qu’il y a trois certitudes ou quasi-certitudes. (1) Les agriculteurs vont voter et certainement voter davantage que les autres catégories sociales, comme c’est le plus souvent le cas lors des élections. (2) Ils tendent généralement à voter de façon majoritaire en faveur de la droite. En l’occurrence, la question est de savoir pour quelle droite ils vont voter : la liste LR, RN ou éventuellement Debout La France ou l’UDI ? (3) Enfin, on l’a vu, si pour l’électeur moyen, l’Europe reste une entité largement abstraite dont il perçoit assez mal et les contours et l’impact concret, ce n’est bien évidemment pas le cas pour les agriculteurs. Ceux-ci sont sans aucun doute la catégorie la plus directement concernée par les enjeux européens, la plus informée en la matière et donc celle qui vote le plus sur la position des listes sur l’Europe et sur les questions agricoles européennes (en particulier sur l’évolution de la nature et du budget de la Pac).

Malgré tout, les inconnues relatives au vote des agriculteurs sont très nombreuses cette année. On peut en identifier trois majeures.

La première réside tout simplement dans le fait que l’on n’a aucune indication à ce stade sur les intentions de vote des agriculteurs dans les enquêtes. Depuis quelques années, les agriculteurs sont, en effet, trop peu nombreux pour constituer une catégorie qui soit prise en compte à part entière par les instituts de sondage. D’après l’INSEE, les agriculteurs exploitants représentaient seulement 1,6 % des personnes en emploi en 2017, 0,8 % de la population de 15 ans ou plus ou 1,3 % des ménages en 2015. Cela ne permet pas d’avoir une indication précise sur le nombre d’agriculteurs inscrits sur les listes électorales (ces chiffres ne prennent pas en compte les retraités par exemple), mais cela donne tout de même une idée de leur poids dans la société française. Leur opinion est donc agrégée par les sondeurs à celles des autres indépendants (commerçants, artisans, chefs d’entreprise).

En outre, personne dans les médias ou dans le monde politique, du moins si l’on s’en tient aux enquêtes publiées jusqu’ici, n’a envisagé de commander une enquête s’appuyant sur un échantillon uniquement composé d’agriculteurs d’autant que ce type d’enquête menée auprès d’une catégorie spécifique de Français a un coût élevé. Cela signifie aussi, il faut bien le reconnaître, que quasiment plus personne ne s’intéresse vraiment au point de vue des agriculteurs car, aux yeux des politiques, par exemple, le poids de cette catégorie sociale semble être également trop faible pour vraiment compter. Les agriculteurs sont donc en train de sortir de l’écran-radar de la politique en France et cela devrait être de plus en plus le cas à l’avenir. On ne saura donc pas vraiment ce qu’ils ont voté au même titre que l’on ne connaît pas la façon dont les médecins, les boulangers ou les policiers votent par exemple.

On peut déjà l’observer depuis quelques années. Ainsi, on ne dispose pas d’informations sur le vote des agriculteurs lors du dernier scrutin européen de 2014 et on n’a même pas d’indications très précises sur leur vote lors de la présidentielle de 2017. En ce qui concerne ce dernier scrutin, des chiffres ont bien été divulgués le 29 avril 2017 dans un article du figaro.fr, sur la base de données obtenues auprès de l’IFOP pour les seuls quatre premiers candidats, mais sans que l’institut ne publie par la suite des données « consolidées ». Par ailleurs, l’institut Opinion Way a mené une enquête dite « jour du vote » lors du premier tour de la présidentielle, mais sans publier ses résultats. Or, si l’on s’en tient à ces deux sources, on s’aperçoit que les résultats sont très différents (tableau 1). Ils vont du simple au double pour Marine Le Pen ou même du simple au triple pour Emmanuel Macron. C’est par conséquent la première élection présidentielle pour laquelle on ne sait pas comment les agriculteurs ont voté.

Tableau 1 : estimations du vote des agriculteurs (Ifop et Opinion Way) au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, en pourcentages

Première inconnue donc, on ne dispose d’aucun élément pouvant nous indiquer ce que les agriculteurs vont voter le 26 mai prochain.

Seconde inconnue, comme on l’a vu, les agriculteurs votent en général de façon majoritaire pour la droite traditionnelle. Il est évident qu’ils devraient être assez peu nombreux à voter pour l’une des trois principales listes de gauche (LFI, EELV, PS-Place publique) compte tenu de leurs programmes respectifs très critiques par rapport au mode de production agricole conventionnel.

Mais dans ce scrutin, pour la première fois depuis l’instauration des élections européennes au suffrage universel, la liste de droite ne figure pas parmi les deux principales listes, alors même qu’une liste de droite est arrivée en tête de ces élections à cinq reprises, en 1979, en 1984, en 1989, en 1994 et en 2009. Elle n’est sortie qu’une seule fois du duo de tête : en 1999, en arrivant en troisième position.

En outre, si l’on s’en tient aux intentions générales de vote pour le 26 mai, par exemple dans l’Enquête électorale française 2019 (Ipsos pour le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde) publiée le 20 mai, on s’aperçoit que l’électorat 2017 de François Fillon se porterait bien sûr en majorité sur la liste LR (à 49 %), mais aussi sur la liste LREM (à 26 %) et sur la liste RN (à 13 %). En clair, on voit bien que l’électorat de la droite traditionnelle hésite entre la « vieille maison », pour reprendre l’expression de Léon Blum à propos de la SFIO au moment de sa scission lors du Congrès de Tours de 1920, un rapprochement de LREM pour son aile centriste ou du RN pour son aile droitière ou souverainiste.

Or, justement, la troisième inconnue de ce scrutin européen est qu’il risque de se transformer en une sorte de référendum pour ou contre Macron dans un contexte marqué par le mouvement des « gilets jaunes » depuis le mois de novembre 2018 et l’investissement du président de la République dans la campagne, celui-ci apparaissant même dans certaines affiches électorales, mais aussi sa volonté de circonscrire le débat à un clivage entre progressistes et nationalistes. Cela pourrait donc favoriser un double vote utile : un vote utile pro-européen incarné par la liste LREM et un vote utile anti-Macron représenté par la liste RN. Dans les deux cas, la liste LR pourrait en pâtir.

Les Républicains tout de même en ballotage favorable

Il est tout de même vraisemblable que les voix des agriculteurs se porteront majoritairement sur la liste Les Républicains emmenée par François-Xavier Bellamy, même si certains, moins nombreux, devraient aussi choisir les listes LREM et RN, voire les listes Debout la France (Nicolas Dupont-Aignan) ou UDI (Jean-Christophe Lagarde), et ceci pour au moins trois raisons.

Si l’on s’en tient aux programmes et aux discours sur l’agriculture, il apparaît évident que la liste Bellamy se rapproche davantage des positions de beaucoup d’agriculteurs que les listes Loiseau (par exemple par rapport à la sortie du glyphosate ou à l’annonce de la division par deux des pesticides d’ici 2025) ou Bardella (notamment pour son positionnement eurosceptique).

Les résultats des élections aux chambres d’agriculture de janvier 2019, qui ont montré une grande stabilité des rapports de force entre les trois principaux syndicats (FNSEA, Coordination rurale, Confédération paysanne), malgré une hausse de l’abstention, tendraient également à montrer qu’il n’y a pas nécessairement de vague souverainiste ou « dégagiste » en ce moment dans le monde agricole.

Dans les années 1990, la percée électorale de la Coordination rurale lors des élections aux chambres d’agriculture en 1995 avait été concomitante de la montée des suffrages agricoles en faveur de listes souverainistes (de Villiers ou Pasqua-de Villiers, CPNT) lors des scrutins européens de 1994 et de 1999. Aux élections européennes de 1994, par exemple, si 38 % des agriculteurs ont voté en faveur de la liste UDF-RPR, ils étaient tout de même 37 % à avoir voté en faveur de la liste conduite par le souverainiste Philippe de Villiers. A priori, on n’est pas dans un tel cas de figure en 2019. L’expression d’un mécontentement par certains agriculteurs semble s’être davantage traduite par une abstention lors des élections aux chambres que par un vote massif en faveur de la Coordination rurale. Cela tendrait donc plutôt à militer en faveur d’un vote traditionnel des agriculteurs en faveur de la droite aux Européennes de 2019.

Enfin, les agriculteurs savent bien qu’à l’échelle européenne, il n’y a que deux formations politiques qui comptent, notamment pour la désignation du commissaire européen à l’agriculture, à savoir le Parti populaire européen (PPE), auquel appartient LR, et le Parti socialiste européen (PSE). D’après les projections, le PPE devrait avoir le contingent d’eurodéputés le plus important. Or, les députés européens LREM affiliés à l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) ou a fortiori les députés RN rassemblés dans une alliance de partis nationalistes europhobes pèseront moins de facto au sein du Parlement européen que les députés LR au sein du groupe PPE. En clair, pour peser sur la politique agricole européenne dans un contexte de craintes relatives à la baisse du budget de la Pac dans le cadre du budget pluri-annuel de l’UE (2021-2027), le « vote utile » aux yeux de nombreux agriculteurs pourrait être en conséquence le vote LR, plus que le vote LREM.
 

En savoir plus : https://www.france-politique.fr/elections-europeennes.htm (site France politique du journaliste politique Laurent de Boissieu : source des résultats des différentes élections européennes de 1979 à 2014) ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676623?sommaire=3696937#tableau-figure6 (source des données de l’INSEE sur la part des agriculteurs exploitants dans les personnes en emploi en 2017) ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=FRANCE-1 (source des données de l’INSEE sur la part des agriculteurs exploitants dans la population de 15 ans ou plus et des ménages en 2015) ; http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/04/29/20002-20170429ARTFIG00018-pour-qui-voteront-les-agriculteurs-le-7-mai.php (article du figaro.fr du 29 avril 2017 donnant les résultats du vote des agriculteurs au premier tour de la présidentielle de 2017 d’après des chiffres fournis par l’IFOP) ; https://www.ipsos.com/fr-fr/europeennes-2019 (Enquête électorale française 2019, enquête Ipsos publiée le 20 mai 2019) ; http://www.cevipof.net/fichier/p_publication/458/publication_pdf_cahierducevipof12.pdf (les données sur le vote des agriculteurs aux élections européennes de 1994 proviennent d’une enquête Sofres qui sont mentionnées dans ce Cahier du Cevipof publié en 1995) ; http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/elections-press-kit/4/prochain-parlement-projection-en-sieges (projection en sièges du futur Parlement européen d’après Kantar).


L’image ci-dessous est issue de Adobe.

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