Le drame qui se joue dans les pays les plus affectés par l’épidémie Ebola est aussi en grande partie de nature agricole, et bientôt de nature alimentaire. De grandes craintes pour l’avenir.
Alors que l’on parle de « la pire épidémie d’Ebola de l’histoire » ou encore de la pire épidémie depuis l’apparition du Sida et que les inquiétudes se font grandissantes en France et en Europe à propos de la propagation éventuelle sur le continent du virus Ebola, ils semble nécessaire de faire le point sur la maladie en tant que telle, son origine, son mode de transmission, ses symptômes et son traitement éventuel, mais aussi sur son impact dramatique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest les plus touchés : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Car Ebola, ce sont des drames humains pour ces pays, mais c’est aussi un drame agricole, avant d’être probablement dans très peu de temps un drame alimentaire.
Ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie de « maladie à virus Ebola » est une maladie grave et souvent mortelle. Cette maladie est, en effet, particulièrement grave puisque ce que l’OMS appelle le taux de létalité moyen de cette maladie, à savoir le nombre moyen de décès par rapport au nombre de personnes contaminées, est de l’ordre de 50 %. Lors de flambées précédentes de la maladie, la létalité a même pu s’élever jusqu’à un taux de 90 %. Dans le cadre de la flambée actuelle en Afrique de l’Ouest, ce taux a été établi à 70 %. En clair, lorsqu’une personne a été atteinte par le virus, elle a seulement 3 chances sur 10 de pouvoir survivre.
La maladie à virus Ebola est causée par un virus qui a été initialement transmis des animaux sauvages à l’homme et qui tend ensuite à se propager par transmission d’homme à homme. D’après l’OMS, « on ignore l’origine du virus Ebola ». Néanmoins, les scientifiques estiment que les chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae seraient les hôtes naturels du virus Ebola. Celui-ci aurait été transmis à l’homme suite à un contact avec du sang, des organes, des sécrétions ou des liquides biologiques (selles, urines, salive, sperme) d’animaux infectés retrouvés malades ou morts dans la forêt tropicale : chauves-souris frugivores, chimpanzé, gorilles, singes, antilopes des bois, porcs-épics, petits rongeurs, musaraignes. L’OMS estime ainsi que les flambées précédentes ont eu « probablement pour origine un contact entre êtres humains et animaux sauvages, lors de la chasse et de l’abattage d’animaux sauvages infectés et de la préparation de la viande de ces animaux, suivie d’une transmission interhumaine ».
Le virus Ebola se transmet facilement d’homme à homme par contacts directs avec du sang, des organes, des sécrétions, ou des liquides biologiques (vomissements, selles, urine, sang, lait maternel, sperme) de personnes infectées ou encore avec des matériaux contaminés comme des vêtements. C’est ce qui explique notamment la transmission fréquente du virus aux personnels de santé qui ont été en contact avec des patients infectés. Ceux-ci sont contagieux tant que le virus est présent dans leur sang et leurs liquides biologiques. La maladie peut même se transmettre lors de l’inhumation d’une personne infectée qui est décédée.
Le temps qui s’écoule entre l’infection par le virus et l’apparition des premiers symptômes est variable, de 2 à 21 jours. Les premiers symptômes sont une forte fièvre soudaine, une très grande fatigue, des douleurs musculaires, des maux de tête, une perte d’appétit et une irritation de la gorge. Le patient devient contagieux à partir de ces premiers symptômes. Ensuite, le virus se traduit pour le malade par des vomissements, des diarrhées, une éruption cutanée, des symptômes d’insuffisance rénale et hépatique (foie), voire des hémorragies internes et externes se caractérisant par exemple par un saignement des gencives ou du sang présent dans les selles.
Selon l’OMS, « aucun traitement disponible n’a pour l’instant fait ses preuves contre la maladie à virus Ebola » et « aucun vaccin homologué n’est encore disponible ». L’organisation note cependant que des traitements « potentiels » sont « en cours d’évaluation » et que sont actuellement testés « deux vaccins potentiels chez l’homme ».
Les premières flambées de maladie à virus Ebola se sont produites en 1976 dans des zones isolées de ce qui était alors le Zaïre (Yambuku) et le Soudan (Nzara). Le nom de la maladie provient ainsi du nom de la rivière Ebola qui se situait à proximité du village de Yambuku. C’est d’ailleurs au sein de l’hôpital de ce village que le virus Ebola a été identifié pour la première fois.
La flambée actuelle, dont les premiers cas ont été enregistrés en mars 2014, se produit en Afrique de l’Ouest, principalement dans des villes et des zones rurales de Guinée, de la Sierra Leone et du Libéria (pays le plus touché par le virus), mais aussi au Nigeria et au Sénégal.
Elle est considérée par l’OMS comme la flambée « la plus importante et la plus complexe depuis la découverte du virus en 1976 ». Elle est d’ailleurs à l’origine de « plus de cas et de décès que toutes les précédentes flambées réunies ». L’ONG Médecins sans frontière a également parlé au mois de septembre de « la pire épidémie d’Ebola de l’histoire ». Tom Frieden, le directeur de la principale agence de santé américaine, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, a quant à lui affirmé que la propagation actuelle du virus Ebola en Afrique de l’Ouest était la pire épidémie jamais constatée depuis l’apparition du Sida.
Les pays touchés par le virus sont d’autant plus fragiles qu’ils ont connu récemment de graves conflits civils, qui ont fait 25 000 morts en Sierra Leone de 1991 à 2001 et 40 000 morts au Liberia de 1990 à 1997. Ils figurent aussi parmi les pays les plus pauvres du monde. Ils font tous les trois partie de la liste des Pays les moins avancés (PMA) identifiés par l’ONU. Selon les données du FMI, le Liberia fait même partie des quatre pays les plus pauvres du monde. La Sierra Leone est également le pays dans le monde dans lequel la mortalité infantile est la plus élevée (avec 128 décès pour 1 000 naissances) et l’espérance de vie la plus faible (45 ans). Or, on le sait, la mortalité infantile et l’espérance de vie sont les principaux symptômes de la situation sanitaire et de l’état du système de santé d’un pays.
Compte tenu des risques de transmission du virus des animaux sauvages vers l’homme, il est évident que le sang et la viande de ces animaux (la viande de brousse) doivent être cuits avant toute consommation (le virus est alors rendu inactif par la cuisson) et que la viande ne doit en aucun cas être consommée crue. Dans sa réponse au défi posé par le virus Ebola en Afrique de l’Ouest, la FAO a ainsi développé une partie appelée « éducation nutritionnelle » qui vise en particulier à informer les communautés sur « la nécessité d’adopter un régime alimentaire équilibré et diversifié, particulièrement dans les zones affectées par l’épidémie et les zones où la viande de brousse et les produits forestiers sont largement consommés ».
La FAO a émis début septembre une « alerte spéciale » à propos de la situation agricole de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone. L’agence onusienne craint, en effet, que la transmission du virus Ebola et les mesures d’urgence prises par les gouvernements locaux (mise en place de zones de quarantaine, instauration de restrictions sur les déplacements de personnes) aient des conséquences néfastes sur les récoltes dans ces pays. Cela concerne en particulier le riz (récolte prévue de septembre à décembre dans la région) et le maïs (récolte en octobre-novembre).
Ceci est notamment lié à la pénurie prévisible de main-d’œuvre. Des centaines d’agriculteurs ont tout d’abord été infectés par le virus et sont morts. D’autres ont décidé d’abandonner leurs exploitations agricoles et leurs stocks alimentaires se trouvant dans des zones où la présence du virus est forte, tandis que les travailleurs agricoles ne peuvent plus travailler dans les champs en raison des restrictions de déplacement et de la peur de la contagion de la maladie. Ainsi, selon le ministre de l’Agriculture de la Sierra Leone, 40 % des agriculteurs auraient abandonné leur exploitation dans le pays.
En outre, même si les récoltes peuvent avoir lieu, la propagation de la maladie affecte également la commercialisation des produits agricoles à partir du moment où les déplacements des commerçants dans les zones rurales sont aussi limités. Selon les résultats d’enquêtes d’évaluation réalisées par la FAO auprès des agriculteurs, 47 % d’entre eux par exemple en Sierra Leone ont indiqué que le virus Ebola perturbait considérablement leurs activités agricoles. Facteur aggravant, les régions où la propagation du virus Ebola est forte au Liberia et en Sierra Leone figurent aussi parmi les zones agricoles les plus productives de ces pays.
La FAO a ainsi lancé un programme d’aide d’urgence pour pouvoir venir en aide aux ménages agricoles les plus affectés par le virus dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest. Le ministère de l’Agriculture de Guinée a d’ailleurs demandé à la FAO et au Programme alimentaire mondial (PAM) d’évaluer l’impact de la maladie à virus Ebola sur le secteur agricole du pays et sa sécurité alimentaire. Ses premiers résultats devraient être divulgués au mois de novembre.
Les évaluations faites par la Banque mondiale tendent à confirmer les préoccupations de la FAO. Ainsi, selon un rapport publié par la Banque en septembre dernier, l’activité économique qui a le plus pâti de la propagation du virus Ebola en Guinée est le secteur agricole. Ceci s’explique par le fait que les travailleurs agricoles ont notamment été dans l’obligation de quitter les campagnes. Cela s’est traduit par une forte réduction des exportations agricoles du pays, comme celles de cacao et d’huile de palme. La Banque mondiale indique également que les activités agricoles ont été perturbées en Sierra Leone et au Liberia.
Cela paraît d’autant plus crucial pour l’activité économique de ces pays que l’agriculture en représente une part conséquente. Ainsi, selon la Banque mondiale, au Liberia, 50 % de la population active masculine travaille dans le secteur agricole (c’est aussi le cas pour 48 % de la population active féminine). Elle ne fournit pas de données pour la Guinée et la Sierra Leone, mais on peut supposer que la part de l’agriculture dans la population active de ces pays est aussi importante. La FAO indique d’ailleurs qu’en Guinée, près de 80 % de la population vit dans des zones rurales et de l’agriculture. En 2012, l’agriculture représentait également 21 % du PIB de la Guinée, 39 % de celui du Liberia (contre 76 % en 2000) et 57 % de celui de la Sierra Leone.
Plus globalement, la Banque mondiale estime dans un autre rapport publié en octobre que les effets économiques de l’épidémie d’Ebola pourraient être dévastateurs pour l’économie de l’Afrique de l’Ouest : d’une perte de 3,8 milliards de dollars en 2014-2015 selon le scénario modéré à une perte de 32,6 milliards selon le scénario pessimiste.
Les prix de certaines denrées alimentaires ont littéralement explosé dans les pays d’Afrique de l’Ouest particulièrement touchés par le virus Ebola. Le prix de la racine de manioc, aliment de base dans la région, a ainsi plus que doublé à Monrovia, la capitale du Liberia. Plus largement, selon le PAM, les prix des denrées alimentaires auraient progressé de 24 % en moyenne en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Certaines familles se limiteraient ainsi à un seul repas par jour.
Cette flambée des prix s’explique tout d’abord par les perturbations de l’activité agricole provoquées par la propagation de la maladie. Elle a également pour origine les mesures d’urgence prises par les gouvernements des pays les plus touchés par le virus Ebola et par les Etats étrangers. La fermeture des frontières terrestres, la suspension des vols en direction de ces pays, la limitation des importations de denrées alimentaires en provenance de ces pays ont contribué à réduire fortement le commerce transfrontalier, alors même que la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone sont des importateurs nets de céréales (le Liberia est le plus dépendant des importations), et à perturber la circulation interne des denrées alimentaires. Parmi les mesures gouvernementales ayant un impact sur le prix des denrées alimentaires, on peut aussi mentionner l’interdiction de la consommation de « viande de brousse ». Enfin, le troisième facteur de hausse des prix alimentaires a été l’effet des réactions de panique des consommateurs qui se sont procuré en masse des denrées alimentaires, provoquant ainsi des pénuries.
Cette situation pourrait être aggravée compte tenu des prévisions pessimistes sur les récoltes de cultures vivrières dans les trois pays. Cela signifie également que les populations locales dépendant en grande partie des revenus agricoles devraient voir leurs revenus baisser de façon notable et avoir donc moins de moyens pour se procurer de la nourriture. Il en est de même pour les familles qui ont perdu l’un des leurs en raison de la maladie alors que celui-ci était en âge de travailler (la majorité des victimes ont entre 15 et 45 ans). Enfin, la baisse des monnaies locales contribue à l’accroissement du prix des denrées alimentaires importées. Tout ceci suscite par conséquent de vives inquiétudes concernant la sécurité alimentaire de ces pays d’autant que les ménages consacrent une grande part de leurs revenus à l’achat de denrées alimentaires (jusqu’à près de 80 % de ces revenus en certains endroits).
Au total, quelque 1,3 million de personnes pourrait être concernées par une situation d’insécurité alimentaire dans la région. La FAO appelle par conséquent à une aide alimentaire d’urgence pour ces pays. Le PAM a d’ailleurs lancé une intervention d’urgence visant à distribuer 65 000 tonnes de nourriture aux populations les plus fragiles, à savoir les personnes infectées ou « suspectes », les personnes qui ont été en contact avec des personnes infectées et placées en quarantaine et les populations vivant dans des zones dans lesquelles le virus est très présent et où l’accès à la nourriture est devenu difficile.
En savoir plus : www.who.int/mediacentre/factsheets/fs103/fr/ – www.who.int/csr/disease/ebola/faq-ebola/fr/ (informations de base sur le virus Ebola sur le site de l’Organisation mondiale de la santé), www.who.int/csr/disease/ebola/note-ebola-food-safety/fr/ (informations de l’OMS sur Ebola et la sécurité sanitaire des aliments), www.msf.fr/presse/communiques/ebola-moyens-internationaux-reponse-aux-catastrophes-biologiques-doivent-etre-mob (communiqué de MSF sur Ebola publié en septembre 2014), www.lepoint.fr/sante/ebola-une-epidemie-sans-precedent-depuis-le-sida-09-10-2014-1870900_40.php (source de la citation de Tom Frieden), www.un.org/en/development/desa/policy/cdp/ldc/ldc_list.pdf (liste des pays les moins avancés en 2014), www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2014/02/weodata/index.aspx (données du FMI sur le niveau de vie des pays d’Afrique de l’Ouest), http://www.prb.org/pdf14/2014-world-population-data-sheet_eng.pdf (données sur la mortalité infantile et l’espérance de vie de la Sierra Leone) www.fao.org/fileadmin/user_upload/emergencies/docs/FAO%20Programme%20de%20r%C3%A9ponse%20Ebola%20Afrique%20de%20lOuest%20%5BOct%202014-Sep%202015%5D.pdf (rapport de la FAO de 2014 où il est question d’« éducation nutritionnelle »), www.fao.org/3/a-i4003f.pdf (alerte spéciale de la FAO sur la situation en Afrique de l’Ouest), www.fao.org/emergencies/crisis/ebola/fr/ (partie du site de la FAO consacrée à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest), www.fao.org/emergencies/la-fao-en-action/histoires/histoire-detail/fr/c/253936/ (annonce par la FAO en octobre 2014 d’une nouvelle initiative pour faire face à la menace sur la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest), www.banquemondiale.org/fr/region/afr/publication/ebola-economic-analysis-ebola-long-term-economic-impact-could-be-devastating (rapport de la Banque mondiale publié en septembre sur l’impact économique d’Ebola pour l’Afrique de l’Ouest), www.fao.org/emergencies/la-fao-en-action/histoires/histoire-detail/fr/c/260944/ (données de la FAO sur la population rurale et agricole en Guinée), http://wdi.worldbank.org/table (données de la Banque mondiale sur la part de l’agriculture dans le PIB des pays d’Afrique de l’Ouest), www.banquemondiale.org/fr/region/afr/publication/the-economic-impact-of-the-2014-ebola-epidemic-short-and-medium-term-estimates-for-west-africa (informations sur le rapport de la Banque mondiale publié en octobre sur l’impact économique d’Ebola en Afrique de l’Ouest), www.unmultimedia.org/radio/french/2014/10/afrique-de-louest-les-prix-de-la-nourriture-augmentent-a-cause-debola-constate-le-pam/#.VEZdkRaFkRY (données du PAM sur l’évolution des prix des denrées alimentaires en Afrique de l’Ouest).
La photo d’illustration vient du Bénin et plus précisément de ce média : http://levenementprecis.com