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Didier Guillaume, le Docteur Jekyll et Mister Hyde de la lutte contre l’agribashing

Aux yeux de nombreux agriculteurs, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, qui a fait de la lutte contre l’agribashing son principal cheval de bataille, peut apparaître à la fois comme le Docteur Jekyll, se présentant comme le bouclier face à l’agribashing, et Mister Hyde, prônant un retour à l’agriculture de nos grands-parents.

Le 26 avril 2019, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a annoncé chez lui dans la Drôme la création d’un « Observatoire de lutte contre l’agribashing » ou plus précisément il a exprimé sa volonté de généraliser à d’autres départements l’expérience d’« Observatoire » qui venait d’être créée dans la Drôme. De quoi parle-t-on au juste ?

Du bouclier à l’Observatoire de lutte contre l’agribashing

Deux jours avant cette déclaration ministérielle était, en effet, créé un Comité de prévention des actes de malveillance contre le monde agricole, nom officiel de cet Observatoire de l’agribashing. Ce comité a été mis en place par le préfet de la Drôme. Il est composé des forces de l’ordre, de la chambre d’agriculture de la Drôme, de la fédération départementale des chasseurs, de la direction départementale des territoires et de la direction départementale de la protection des populations. D’après la préfecture de la Drôme, celui-ci a trois axes de travail : (1) rassurer les consommateurs, les filières et les exploitants, (2) aider les agriculteurs sur le plan juridique et judiciaire, (3) dissuader et prévenir les actes malveillants..

Cela se traduit notamment par la diffusion d’une documentation par les services de la gendarmerie nationale pour aider les agriculteurs à renforcer la sécurité de leurs exploitations, mais aussi par une action de « communication positive » : « développement de la communication soulignant les évolutions des modes de production, de culture, d’élevage garantissant le respect de l’environnement, du bien-être animal et de qualité des produits ».

Cette initiative vise à l’évidence à répondre à une préoccupation croissante dans le monde agricole suite à la multiplication d’incidents dont les agriculteurs ont été victimes ces derniers mois : insultes, menaces, intrusion dans les exploitations, dégradations et destructions de biens et même agression physique. Juin 2018, un viticulteur des Bouches-du-Rhône est menacé par un voisin armé d’un fusil chargé pour avoir traité ses vignes de nuit. Fin octobre 2018, un couple d’agriculteurs de la Loire-Atlantique est menacé de mort par un voisin par téléphone s’il sortait leur pulvérisateur. Mars 2019, un agriculteur de l’Ain est agressé physiquement pour avoir pulvérisé un herbicide. Avril 2019, alors qu’il traitait ses oliviers, un producteur d’olives bio dans les Bouches-du-Rhône est arrêté par un individu se présentant comme « le justicier des abeilles ». L’ambition de ce comité est donc avant tout de prévenir de tels actes délictueux.

Il s’agit par conséquent d’une initiative de l’État qui vise à rassurer le monde agricole sur les conséquences les plus spectaculaires, et les plus graves, de l’agribashing, d’autant que le ministre, depuis son entrée en fonction en octobre 2018, a fait de la lutte contre ce phénomène l’un de ses principaux chevaux de bataille.

Le 8 novembre 2018, soit trois semaines après sa nomination, il déclarait ainsi dans un entretien accordé à Sud-Ouest : « Je veux également être le ministre de la ruralité et faire en sorte que ruraux et urbains ne soient plus opposés et qu’agriculture et société, agriculteurs et citoyens, se rapprochent et travaillent ensemble. Je me battrai contre l’agribashing ! » Le 29 novembre, lors d’une rencontre avec les élus des chambres d’agriculture, il est même allé jusqu’à se poser en « bouclier face à l’ »agribashing » ». On pourrait donc dire que, d’un certain point de vue, l’Observatoire annoncé le 26 avril est la concrétisation de ce bouclier.

Le 8 janvier 2019, Didier Guillaume indiquait par ailleurs dans un entretien pour Le Bien public que « le gouvernement tout entier est engagé dans une lutte contre l’agribashing : On ne peut pas continuer à avoir, tous les jours, des gens qui, pour des raisons diverses et variées, montrent du doigt l’agriculture en général, ou encore tel ou tel paysan ». Enfin, le 20 février, il a rappelé dans un entretien pour RMC que « [sa] priorité numéro une est de faire remonter le revenu des agriculteurs et de lutter contre l’agribashing. Le thème du stand du ministère de l’agriculture cette année (au Salon de l’agriculture) c’est « Ensemble, arrêtons l’agribashing » parce qu’il faut arrêter de montrer du doigt les agriculteurs qui seraient des pollueurs, des empoisonneurs, ce n’est pas ça ». On a pu ainsi voir inscrit à sa demande sur le stand du ministère de l’Agriculture lors du Sia : « Ensemble contre l’agri-bashing ».

La popularité nouvelle du terme « agribashing »

Le terme agribashing est assurément à la mode et semble même être désormais sorti des seuls cénacles agricoles. Depuis quelques mois, la presse généraliste nationale y fait ainsi de plus en plus référence. Le 30 avril, le journaliste de France info Jean-Mathieu Pernin y consacrait ainsi sa chronique dans la rubrique « Vous en parlerez aujourd’hui » dans laquelle celui-ci est censé repérer « une info à partager, à la machine à café ou sur les réseaux sociaux ».

Si l’on se réfère à la base de données d’articles de presse Factiva, on peut voir que l’expression « agriculture bashing » a été utilisée pour la première fois dans un article de presse le 27 novembre 2015, dans la presse quotidienne régionale, Le Populaire du Centre. L’Opinion est le premier quotidien de la presse nationale à y faire référence le 3 mai 2017. Il a fallu attendre le mois de mars 2018 pour qu’un média non agricole, le site Atlantico, parle d’agribashing, même s’il s’agissait en l’occurrence d’une reprise de deux articles mis en ligne préalablement sur le site Wikiagri.fr. Le Figaro est le premier quotidien généraliste national à utiliser le terme le 5 décembre 2018. C’est, en effet, à partir de novembre-décembre 2018 qu’« agriculture bashing » et « agribashing » ont été de plus en plus employés dans la presse (graphiques 1 et 2), le second supplantant d’ailleurs largement le premier à partir de ce moment-là (graphique 2).

Graphique 1 : nombre d’articles de la presse française utilisant au moins une fois les termes « agribashing » ou « agriculture bashing » (Factiva)

Graphique 2 : nombre d’articles de la presse française utilisant au moins une fois les termes « agribashing » ou « agriculture bashing » (Factiva)

On observe la même tendance en ce qui concerne les requêtes du terme « agribashing » sur le moteur de recherche Google (graphique 3) puisque c’est en décembre 2018 que ces requêtes explosent.

Graphique 3 : requêtes sur le moteur de recherche Google du terme « agribashing » (Google Trends)

La crédibilité limitée de Didier Guillaume dans la lutte contre l’agribashing

Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume est-il pour autant le plus légitime pour lutter contre l’agribashing ? Beaucoup d’agriculteurs en doutent sérieusement.

Jusqu’à une période récente, les termes et expressions « agriculture bashing » et « agribashing » étaient, en effet, d’abord véhiculés par la FNSEA. On le voit, par exemple, en avril 2017 avec plusieurs portraits de Christiane Lambert publiés dans la presse régionale lors de sa désignation à la tête du syndicat majoritaire qui mentionnent l’expression « agriculture bashing ». Cela a été le cas également en décembre 2018 en pleine campagne pour l’élection des chambres d’agriculture de janvier 2019, alors que la dénonciation de l’agribashing par la FNSEA fut l’un des principaux axes de sa campagne, ainsi que le principal mot d’ordre des mobilisations d’agriculteurs adhérents du syndicat majoritaires au début (graphique 4). Enfin, en 2019, l’agribashing est le principal thème de très nombreuses Assemblées générales de FDSEA et de Jeunes agriculteurs (JA). Cela n’empêche pas la Coordination rurale de dénoncer aussi fréquemment l’agribashing.

Graphique 4 : nombre d’articles de la presse française utilisant au moins une fois le terme « agribashing » et…

Or, manifestement, les agriculteurs proches de la FNSEA et Didier Guillaume ne définissent pas l’agribashing de la même manière.

Pour de nombreux agriculteurs, l’agribashing est le sentiment selon lequel le mode de production conventionnel fait l’objet d’un dénigrement assez systématique dans l’espace public et en particulier dans les médias audiovisuels et la presse écrite. Ils tendent donc à assimiler celui-ci à une forte pression émanant de la société et de la société civile qui vise à réduire l’utilisation de produits phytosanitaires (et même à interdire certains d’entre eux comme le glyphosate) et à améliorer le bien-être animal (voire dans certains cas à abandonner le principe même de l’élevage) et, plus largement, à inciter les agriculteurs à s’orienter vers un modèle agroécologique. Le cas typique pour eux de l’agribashing dans la période récente a été l’émission Envoyé spécial du 17 janvier dernier présentée par Elise Lucet consacré au glyphosate (« Glyphosate : comment s’en sortir ? »).

Cela ne semble pas être la définition du ministre de l’Agriculture à partir du moment où il dit vouloir porter à la fois la lutte contre l’agribashing et la transition agroécologique, celui-ci appliquant en l’occurrence quelque peu la doctrine macronienne du « en même temps »…

Ainsi, dans le même entretien accordé à Sud-Ouest où il affirme vouloir se battre contre l’agribashing, Didier Guillaume explique également : « Je suis au nom du gouvernement le ministre de la transition vers l’agroécologie. Une transition irréversible ! » Celle-ci se traduit en particulier par la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, ce qu’il a rappelé dans un entretien du 26 avril relayé par le Dauphiné Libéré, qui a suscité beaucoup de réactions : « La France va être le premier pays au monde à sortir du glyphosate au 1er janvier 2021.  […] Il n’est pas question de laisser des filières et des agriculteurs sans solution au 1er janvier 2021. […] Il faut avancer dans la bonne agriculture et la bonne pratique. […] Il n’y a pas que le glyphosate. Il y a tous les produits phytopharmaceutiques, les pesticides. Moi mon objectif c’est d’arrêter la dépendance à tous les pesticides, au glyphosate comme aux autres. […] Il faut arrêter le glyphosate, mais il faut arrêter tous les autres produits. C’est la raison pour laquelle la France a décidé qu’en 2025 nous aurons diminué par deux notre dépendance aux produits phytopharmaceutiques. »

Et il rajoute que pour « avoir du rendement sans produits phytopharmaceutiques, il faut revenir simplement à l’agronomie, à la rotation des cultures, la couverture, l’assolement, les semis, ce que faisaient nos grands-parents et que nous on a un peu oublié de faire peut-être aujourd’hui. Nous allons arriver dans cette direction ». En outre, il dit soutenir pleinement l’initiative de l’Elysée, le site officiel « Sortir du glyphosate », www.glyphosate.gouv.fr – « Je n’en pense que du bien » (29 novembre). Il affirme que « c’est par le bio et l’exemplarité du bio que l’agriculture se transformera » et permettra de réconcilier citoyens et agriculteurs, même s’il ne souhaite pas opposer les modèles (Assises de la Bio le 27 novembre 2018). Et il déclare en réaction à la campagne menée par Greenpeace : « Moi, je suis pour une agriculture de petites exploitations, une agriculture familiale, je ne suis pas pour les fermes-usines ».

La montée en gamme d’une « bonne agriculture », c’est-à-dire à ses yeux d’une agriculture familiale de petites exploitations qui doit à terme arrêter tous les produits phytosanitaires et en revenir quelque peu à « ce que faisaient nos grands-parents », c’est assurément loin d’être le modèle agricole qui fait saliver une grande partie du monde agricole.

Cela tend à démontrer a contrario que, pour Didier Guillaume, l’agribashing correspond de facto avant tout aux « mises en cause systématiques » des éleveurs français (communiqué du ministère de l’Agriculture le 10 janvier 2019) et aux actes de malveillance, d’où la mise en place de comités en la matière, mais pas nécessairement à la critique du recours aux produits phytosanitaires et, plus largement, du mode de production conventionnel. Or, en l’occurrence, on s’aperçoit que les actes de malveillance les plus graves qui ont été perpétrés récemment sont d’abord liés à l’utilisation de pesticides.

En définitive, pour une partie du monde agricole, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume peut avoir un côté Docteur Jekyll et Mister Hyde. Un jour, il se présente, en effet, comme un bouclier contre l’agribashing en affirmant que les agriculteurs ne sont pas des empoisonneurs. Un autre jour, il confirme que le glyphosate sera bel et bien interdit à compter de janvier 2021 et qu’à terme, il faudra de toute façon se passer de tous les produits. Il annonce la création d’un « Observatoire de lutte contre l’agribashing » pour lutter contre les actes de malveillance d’individus qui semblent vouloir appliquer de facto une interdiction des phytos et « en même temps » il tend à mettre en exergue le supposé « modèle » de l’agriculture de nos grands-parents sans produits phytosanitaires… Ces messages dissonants aux yeux de nombre d’agriculteurs et aussi certainement de beaucoup de consommateurs ne sont sans doute pas le meilleur moyen de rapprocher agriculteurs et société, ainsi que le souhaite le ministre.
 

En savoir plus : www.drome.gouv.fr/installation-du-comite-departemental-de-prevention-a6774.html (page du site de la préfecture de la Drôme présentant le Comité de prévention des actes de malveillance contre le monde agricole) ; www.drome.gouv.fr/IMG/pdf/cp_-_installation_du_comite_departemental_de_prevention_des_actes_de_malveillance_contre_le_monde_agricole.pdf (communiqué de presse de la préfecture de la Drôme annonçant la création du comité) ; https://www.agri-mutuel.com/actualites/didier-guillaume-se-pose-en-bouclier-contre-lagribashing (informations sur la rencontre du ministre de l’Agriculture avec les élus des chambres d’agriculture le 29 novembre 2018) ; https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/vous-le-partagerez-aujourd-hui/vous-en-parlerez-aujourd-hui-un-observatoire-de-l-agri-bashing-pour-lutter-contre-les-violences-envers-le-monde-agricole_3400037.html (chronique de France info sur le terme « agribashing ») ; https://www.terre-net.fr/actualite-agricole/politique-syndicalisme/article/didier-guillaume-se-pose-en-bouclier-contre-l-agri-bashing-205-143402.html (source des déclarations de Didier Guillaume sur les « fermes-usines »).


La photo ci-dessous est issue de Adobe.

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