Deux rapports récents de l’INSEE tendent à montrer que, derrière une stabilité apparente, les mondes agricoles et ruraux ont largement évolué ces trente dernières années
Le Salon de l’agriculture ouvrira ses portes à Paris porte de Versailles le 22 février prochain. Comme chaque année, il devrait certainement rencontrer un beau succès. En neuf jours, il accueille près de 700 000 visiteurs. Année après année, ce succès ne se dément pas. Il le doit notamment au fait que les Français, et en particulier les citadins, y retrouvent pour nombre d’entre eux leurs racines, une sorte de parfum de « mon village au clocher aux maisons sages », pour reprendre les paroles de la célèbre chanson de Charles Trenet, ou l’image bucolique de la France d’avant que l’affiche électorale de François Mitterrand en 1981 avait magnifiée. Mais ils peuvent aussi mieux appréhender un monde qui est aussi celui d’aujourd’hui et qu’ils connaissent finalement assez peu.
Deux études récentes publiées par l’INSEE, sur trente années de vie économique et sociale en France et sur trente ans de démographie des territoires, permettent, en effet, de comprendre les évolutions que les mondes agricoles et ruraux ont connues ces dernières décennies derrière une apparente stabilité car ceux-ci n’ont plus rien à voir avec ce qui pouvait exister dans l’après-guerre ou même au début des années 1980. A la lecture de ces deux rapports, qui sont loin d’être uniquement consacrés à ces mondes, six tendances peuvent être ainsi identifiées.
La première, bien connue, est que le poids de l’agriculture dans l’économie et l’emploi est en déclin, au même titre que celui de l’industrie d’ailleurs. La part de l’agriculture dans la valeur ajoutée (valeur de la production moins les consommations intermédiaires) a ainsi énormément baissé depuis la période de l’après-guerre. Celui-ci était encore de 18 % en 1949. Il est passé en dessous de 10 % à partir du début des années 1960 pour se situer aujourd’hui entre 1,5 % et 2,0 %. Il en est de même pour les industries agricoles et alimentaires qui représentaient 3,1 % de la valeur ajoutée en 1980 et seulement 1,9 % en 2012.
On observe une évolution similaire en ce qui concerne la part de l’agriculture dans les emplois. Celle-ci est passée de 9 % en 1975 à 2 % en 2012. La part de l’agriculture dans l’emploi total a donc été divisée par trois durant cette période. Ainsi, si en 1989, l’agriculture représentait encore plus de 10 % de l’emploi dans cinq régions (Limousin, Poitou-Charentes, Bretagne, Midi-Pyrénées et Basse-Normandie), en 2011, dans aucune région française, elle n’atteint 6 %. C’est en Aquitaine, dans les Pays de la Loire et en Bretagne que les effectifs agricoles sont actuellement les plus nombreux avec environ 9 % de l’emploi agricole total pour chacune de ces régions. La baisse de la part des industries agricoles et alimentaires a, quant à elle, été plus modérée : 2,6 % de l’emploi total en 1980, 2,3 % en 2012.
Cette baisse de la part relative de l’agriculture dans l’économie ne signifie pas pour autant que la production de ce secteur ait décliné durant cette période. Au contraire, la production agricole a cru de façon régulière jusqu’à la fin de la décennie 1990 pour globalement stagner depuis. En moyenne, cette production a ainsi augmenté de 0,7 % par an entre 1980 et 2011. La production agricole française est d’ailleurs largement la première en Europe avec, en 2012, 19 % de la production européenne, pour 16 % de la superficie agricole européenne utilisée, soit la superficie la plus vaste de l’UE, et 8 % de l’emploi agricole européen en 2011. La France se situe ainsi devant l’Allemagne (14 % de la production), l’Italie (12 %) et l’Espagne (11 %).
La seconde tendance, guère surprenante également, est la forte réduction du nombre d’exploitations. De 1979 à 2010, elles sont passées d’environ 1,2 million à 490 000, soit une baisse de près de 60 %, alors qu’elles avaient déjà été réduites de moitié entre 1955 et 1979. Mais, ce que l’on a surtout observé depuis 30 ans, c’est la profonde mutation de ces exploitations avec, en premier lieu, leur concentration. En 1979, la très large majorité des exploitations étaient ainsi de petite taille : 88 % d’entre elles utilisaient une superficie agricole inférieure à 50 hectares, tandis que les grandes exploitations, de 100 ha ou plus, étaient extrêmement minoritaires (3 %). En 2010, on compte environ 60 % de petites exploitations, contre 19 % pour les grandes. La superficie agricole utilisée (SAU) moyenne des exploitations a donc fortement augmenté : 19 ha en 1970, 23 ha en 1979, 28 ha en 1988 et 56 ha en 2010. En conséquence, ces exploitations sont plus productives. Les exploitations moyennes d’un point de vue économique (production brute standard de 25 000 à moins de 100 000 euros) et grandes (production de 100 000 euros ou plus) représentaient 93 % de la production brute standard en 1988, 96 % en 2000 et un peu plus de 97 % en 2010. Enfin, selon l’INSEE, les exploitations tendent à être de plus en plus spécialisées, dans le sens où elles consacrent au moins deux tiers de leur potentiel productif à une production particulière.
La troisième tendance est la poursuite de la diminution de la superficie agricole utilisée. D’après l’INSEE, celle-ci aurait diminué de quasiment 6 millions d’hectares depuis la période de l’après-guerre, dont une réduction de 2,8 millions d’ha de 1980 à 2010. On observe néanmoins un ralentissement du rythme de cette réduction ces dernières décennies. Par ailleurs, malgré la diminution de la surface des terres agricoles, la production a continué à augmenter, plus particulièrement jusqu’à la fin des années 1990. La production de blé tendre depuis 1980 a, par exemple, augmenté de 46 %. Ceci s’explique à la fois par une amélioration des rendements liée à une utilisation massive d’engrais (notamment d’azote), même si, depuis la fin de la décennie 1990, une diminution de l’utilisation d’intrants dans la production a pu être observée, et par une plus grande mécanisation, du moins une amélioration qualitative des machines : augmentation de leur puissance, fréquence de leur renouvellement, complexité des tâches qu’elles réalisent.
La quatrième tendance est une évolution différenciée des types de cultures et de la nature des cheptels. Si, entre 1980 et 2010, les effectifs bovins, de vaches laitières et ovins ont diminué, avec une baisse de plus de 5 millions de têtes pour les ovins, de plus de 4 millions pour les bovins et de 3,6 millions pour les vaches laitières, en revanche, le nombre de vaches nourrices, de porcs, en particulier en Bretagne, et de volailles ont augmenté dans les exploitations. Durant cette même période, la surface consacrée à la culture des oléagineux a énormément progressé (en ayant plus que quadruplé), tandis que la production de céréales et les cultures fourragères continuent de représenter les plus grandes surfaces cultivées.
La cinquième tendance réside dans la diminution de la population agricole, avec, entre 1980 et 2010, une baisse de 56 % du nombre d’unités de travail agricole (UTA : une unité correspond, selon l’INSEE, à l’équivalent d’une personne travaillant à temps plein toute l’année), et de la part des non-salariés (les salariés tendant à se substituer à la main-d’œuvre familiale). Au total, 966 000 personnes travaillaient de manière régulière dans des exploitations en 2010, dont trois quart dans les grandes ou moyennes exploitations d’un point de vue économique et une majorité en tant qu’exploitant ou coexploitant (59 %). On observe à ce propos une tendance au vieillissement des exploitants agricoles, mais aussi à leur féminisation (27 % des femmes chefs d’exploitation en 2010, contre 15 % en 1988) et à l’élévation de leur qualification (17 % ont un diplôme d’études supérieures, contre 4 % en 1988).
En définitive, même si la « révolution agricole » est moins spectaculaire que durant les années 1950-1960, un nouveau paysage agricole s’est tout de même imposé depuis 30 ans avec des exploitations moins nombreuses, mais de plus grande taille, plus modernes et plus spécialisées, des surfaces agricoles moins importantes, mais plus productives et enfin une population agricole réduite, mais plus qualifiée.
Enfin, la sixième et dernière tendance, que l’on peut trouver dans le rapport de l’INSEE sur la démographie des territoires, est que les espaces éloignés des agglomérations, se situant à plus de 50 km d’un pôle urbain dynamique, continuent de se vider. Ils correspondent à ce que l’INSEE appelle dans son jargon les « espaces hors d’influence des pôles urbains ». En 2011, ceux-ci totalisaient 3,03 millions de personnes en France, soit 5 % de la population, et ils étaient les seuls espaces territoriaux nationaux à avoir vu leur population diminuer entre 1982 et 2011. Mais au-delà de cette évolution somme toute assez peu surprenante, l’INSEE note tout de même que l’exode rural est maintenant une vieille histoire. Celui-ci est achevé depuis les années 1970. Cela signifie que les communes rurales ne perdent plus d’habitants depuis cette période et peuvent même voir leur population augmenter dans un contexte de croissance de la périurbanisation en devenant ainsi les périphéries lointaines d’une agglomération. C’est le cas le long d’axes routiers, entre Paris et Tours ou entre Toulouse et Montpellier, sur la vallée du Rhône ou encore le long des littoraux.
Cette « douce France, cher pays de mon enfance, bercée de tendre insouciance » n’est donc plus tout à fait la même…
En savoir plus : www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/Histo14.pdf (rapport de l’INSEE sur trente années de vie économique et sociale), www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1483/ip1483.pdf (rapport de l’INSEE sur trente ans de démographie des territoires).