Les agriculteurs ont globalement une bonne image auprès du public, mais il apparaît nécessaire de reconnecter la réalité de l’agriculture d’aujourd’hui à une société française qui en est de plus en plus éloignée. Deux initiatives récentes sont des pistes intéressantes de ce point de vue : #agridemain et Life & Farms.
Les sondages prouvent enquête après enquête que les agriculteurs bénéficient d’une bonne image auprès du grand public. Fabienne Gomant, de l’institut de sondage IFOP, le rappelle dans Le Déméter 2017 en établissant une synthèse sur l’« image des agriculteurs auprès du grand public » sur la base des différents sondages réalisés pour Dimanche Ouest-France dans le cadre Baromètre d’image des agriculteurs produit chaque année depuis 1999.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette analyse. Le premier est l’existence, maintenant bien connue, d’un fort attachement des Français aux agriculteurs. Ainsi, en 2016, une large majorité des Français interrogés estiment que les consommateurs peuvent avoir confiance envers les agriculteurs (70 %). Cette bonne image est notamment liée au respect que les Français ont pour les agriculteurs, qu’ils perçoivent comme un « métier difficile et faiblement rémunéré » dans un secteur économiquement sinistré. Cela explique aussi un soutien largement majoritaire apporté par ceux-ci aux mouvements sociaux d’agriculteurs, en particulier par rapport à d’autres professions. Confiance, respect, empathie sont donc les termes-clefs pour comprendre la façon dont les Français voient les agriculteurs.
Ce jugement globalement positif n’empêche pas cependant une vision plus nuancée en ce qui concerne l’impact de l’agriculture sur la santé et l’environnement. Il existe, en effet, semble-t-il un décalage entre la perception des agriculteurs en tant qu’hommes et femmes et celle de l’agriculture. Les Français sont, en effet, moins nombreux à considérer que les agriculteurs sont respectueux de la santé des Français (59 %) et a fortiori de l’environnement (49 %).
On s’aperçoit également que, sur la durée, l’image des agriculteurs pâtit souvent de crises sanitaires ou de confiance en lien avec l’alimentation à partir du moment où, comme l’affirme Fabienne Gomant, les Français perçoivent l’agriculture et les agriculteurs avant tout en tant que consommateurs – « dans l’expression de leur jugement [vis-à-vis des agriculteurs], les Français se positionnent avant tout comme consommateurs » – et via les produits alimentaires – « c’est en fonction de l’impact qu’ils perçoivent sur le produit (viande, lait, fruits, légumes, …) qu’ils émettent un avis sur les pratiques agricoles ». Cela a été notamment le cas au début des années 2000 avec la seconde crise de la vache folle, suivie d’une épidémie de fièvre aphteuse du mouton, puis de la grippe aviaire au milieu de la décennie et enfin du Chevalgate en 2013. Fabienne Gomant parle à ce propos d’une « perméabilité de l’opinion à chaque crise que subit le monde agricole et ce, sans réelle différenciation, ni selon la nature de la crise (problèmes sanitaires, fraudes, pratiques peu vertueuses…), ni selon le maillon de la chaîne de production impacté ».
Les consommateurs peuvent avoir confiance envers les agriculteurs, 1999-2016, en pourcentages Source : IFOP.
Les agriculteurs sont respectueux de la santé des Français, 1999-2016, en pourcentages Source : IFOP.
Les agriculteurs sont respectueux de l’environnement, 1999-2016, en pourcentages Source : IFOP.
On s’aperçoit également que, depuis 2013, l’image des agriculteurs ne retrouve pas les niveaux élevés qu’elle avait dans les années 2000. Pour Fabienne Gomant, cela s’explique compte tenu de la crise du Chevalgate. Mais a priori, ce n’est pas la seule explication car, dans l’esprit des consommateurs français, cette crise apparaît maintenant assez éloignée. Cela semble être plutôt l’effet d’un « agri-bashing », d’ailleurs plus ou moins lié de près à un « food bashing », qui sont manifestes, notamment dans les médias. Fabienne Gomant explique d’ailleurs que « les craintes du grand public ne se situent plus vraiment, aujourd’hui, dans le registre des crises sanitaires, mais plutôt dans celui de la qualité des produits ». Elle parle aussi à ce propos d’une « perméabilité immédiate et directe de l’opinion aux événements mis en lumière par les médias » et d’un risque relatif à « la diffusion d’enquêtes d’investigation (gavage de canards, utilisation de pesticides…) car elles représentent autant de signaux faibles venant alimenter un discours ambiant qui peut, progressivement, devenir suffisamment sonore pour affecter l’opinion ».
Fabienne Gomant note enfin l’existence d’un décalage entre la perception de l’agriculture par les Français et la réalité, entre l’image d’Epinal et une agriculture moderne en soulignant la « méconnaissance du grand public […] en matière de pratiques agricoles ». Cela concerne notamment l’élevage où le consommateur plébiscite un modèle traditionnel – « un élevage à « taille humaine », où les animaux sont bien traités, vivent en plein air et où l’éleveur connaît chacun d’entre eux » –, tout en condamnant les « fermes-usines » du type « ferme des 1 000 vaches ». En octobre 2015, une étude IFOP indiquait ainsi que 70 % des personnes interrogées étaient opposées aux projets de « fermes-usines ».
Au final, les agriculteurs en tant que personnes ont une bonne image auprès des Français, mais ce n’est pas nécessairement le cas de l’agriculture, notamment en raison de son impact sur la santé et l’environnement. En même temps, les Français ont également une vision de l’agriculture qui est assez éloignée de la réalité en plébiscitant un « modèle agricole » plutôt ancestral.
Cela soulève donc deux questions fondamentales : (1) comment reconnecter société et agriculture/agriculteurs ?, (2) comment montrer au grand public l’agriculture telle qu’elle se pratique aujourd’hui alors que, comme l’indiquait Fabienne Gomant, les Français ont un « rapport de plus en plus éloigné […] à l’agriculture sur le plan spatial et générationnel » ?
Deux initiatives lancées cette année constituent des pistes intéressantes de ce point de vue pour pouvoir répondre de façon positive à ces deux questions.
La première est celle d’#agridemain, dont on a déjà eu l’occasion de parler à plusieurs reprises dans Wikiagri. Il s’agit d’une initiative d’agriculteurs, proches du mouvement FARRE (Forum des agriculteurs responsables respectueux de l’environnement), qui entendent montrer au grand public l’image réelle de l’agriculture d’aujourd’hui, loin de l’image d’Epinal de la ferme d’antan avec les poules qui picorent dans la cour. Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui sont les « ambassadeurs » de cette nouvelle vision d’une agriculture et d’exploitations « ouvertes », dont l’un des plus connus est le désormais célèbre « Thierry agriculteur ». Ils entendent montrer de façon concrète comment ils travaillent, notamment en ouvrant leurs exploitations au public. Un reportage diffusé dans Télématin le 17 novembre dernier en a été l’un des meilleurs exemples. Il montrait une exploitation d’éleveurs bovins du Berry que le public peut visiter à cheval, un peu comme des cow-boys, pour voir comment les agriculteurs travaillent en 2016.
La seconde initiative entend répondre à la question : comment reconnecter agriculteurs et société ? Il ne s’agit pas de mieux communiquer sur l’agriculture et les agriculteurs via des organisations professionnelles ou les agriculteurs eux-mêmes, mais par le biais d’un magazine grand public destiné en particulier aux citadins. Ce projet porté par le Groupe Réussir, le groupe leader de la presse agricole, ainsi que par le sociologue Ronan Chastellier, qui en est le rédacteur en chef, et soutenu par Bayer France, a été annoncé le 18 novembre dernier.
Le magazine en question s’appelle Life & Farms. Il devrait avoir 64 pages, paraître trois fois par an et être largement diffusé de façon gratuite (il est question de 300 000 exemplaires). Son modèle est semble-t-il celui du magazine féminin Stylist, qui présente la double spécificité d’être à la fois haut de gamme et gratuit. Life & Farms se présente d’ailleurs comme un « magazine agricole lifestyle » ou comme le « premier magazine 100 % lifestyle aux racines rurales » visant à créer un lien entre mondes agricole et citadin. Le premier numéro consacré aux agricultrices devrait être diffusé lors du Salon de l’agriculture en février prochain.
Ce projet est parti de plusieurs constats tout à fait justes selon lesquels (1) on ne parle pas suffisamment des agriculteurs dans la société française, (2) lorsqu’on le fait, on en donne une image soit négative, soit sinistre, (3) les agriculteurs sont des personnes comme les autres – une enquête Opinion Way pour Bayer France indiquait d’ailleurs en janvier 2016 que pour 71 % des Français interrogés, les agriculteurs sont « des français comme les autres » – et (4) on ne doit pas parler de l’agriculture et des agriculteurs uniquement sous un angle technique ou réactif. Le premier numéro du magazine devrait ainsi contenir des interviews du philosophe Michel Onfray et de l’écrivain Frédéric Beigbeder, celui-ci étant pourtant a priori aux antipodes des mondes agricoles et ruraux, ainsi qu’une chronique de l’humoriste Anne Roumanoff. Il devrait aussi contenir des rubriques mode, déco ou psycho comme un magazine standard, avec une présentation plutôt luxueuse (l’objectif de ses promoteurs est de faire de ce magazine un bel objet que l’on puisse exposer sur la table de son salon…), tout en mettant l’accent sur un ton décalé.
En clair, il s’agit de présenter l’agriculture et les agriculteurs sous un angle original via un magazine « tendance » d’abord destiné aux citadins. Un pari très audacieux, mais stimulant : comment les citadins d’un côté et les agriculteurs de l’autre vont-ils réagir ? Affaire à suivre donc.
En savoir plus : www.clubdemeter.com/ledemeter.php (informations sur Le Déméter 2017) ; http://agridemain.fr (site internet de #agridemain) ; www.france2.fr/emissions/telematin/videos/conso_-_entree_libre_chez_les_eleveurs__17-11-2016_1356657 (reportage diffusé le 17 novembre dans Télématin sur France 2) ; www.bayer.fr/sites/default/files/Bayer_CP_Vie_Meilleure_Agriculteurs_Franc%CC%A7ais_12022016.pdf (source d’information sur le sondage Opinion Way pour Bayer France dans un communiqué de presse de Bayer).
Notre illustration ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/41629982.