La concurrence de la Pologne sur le marché européen de la viande bovine a surpris la filière européenne. Les producteurs polonais élèvent et exportent des centaines de milliers de jeunes bovins issus de leurs troupeaux laitiers, plutôt que de les vendre à 8 jours. Compétitifs, ils créent plus de valeur ajoutée sur leurs exploitations. Décryptage en marge du scandale qui a éclaté le 1er février dernier.

« D’une manière générale, la sécurité sanitaire de l’alimentation en Europe, est assurée. En France, nous consommons 1 million 500 000 tonnes de viande bovine chaque année. Là, on parle de 795 kilogrammes. Certes, ce sont 795 kg de trop qui n’auraient jamais dû se retrouver dans le circuit licite », a affirmé Loïc Evain, directeur général adjoint de l’alimentation au ministère de l’Agriculture en commentant, il y a un peu plus de 10 jours, la fraude dont ont été victimes les professionnels de la viande en France.
Cet accident de la viande avariée montre d’abord que le système d’alerte français a bien fonctionné. Mais surtout il a mis au grand jour une filière de viande bovine inconnue des consommateurs français, alors qu’elle est redoutée par tous les éleveurs de bovins viande de l’Hexagone.
A l’échelle de la Pologne, l’accident de la viande frauduleuse ne porte aussi que sur quelques tonnes alors que 484 000 tonnes équivalent carcasse (téc) de viande étaient exportées l’an passé. La viande polonaise est en effet très appréciée en raison de son excellent rapport qualité prix.
La viande polonaise est expédiée dans toute l’Union européenne (Allemagne, Italie, et jusqu’à récemment en Turquie). Mais l’effondrement de la livre turque a rendu les importations de viande très onéreuses, de quelques pays que ce soit. Et depuis 2014, le marché russe est fermé aux importations de viande européennes.
La filière « viande bovine » doit son essor à la restructuration du troupeau laitier entrepris depuis la fin du régime communiste en 1989 et surtout, depuis l’intégration de la Pologne dans l’Union européenne. Mais au début des années 2000, les veaux et les broutards polonais étaient majoritairement exportées aux Pays-Bas pour l’engraissement. Seules 80 000 tonnes équivalent carcasses étaient expédiées.
Or la race polonaise de vaches laitières noires et blanches se prête très bien à l’engraissement des jeunes animaux; une caractéristique perdue par les troupeaux holsteinisés occidentaux. Les vaches de réforme sont en très bon état à la fin de leur lactation lorsqu’elles sont abattues.
Aussi, les éleveurs polonais ont entrepris l’engraissement des veaux mâles et femelles pour créer plus valeur ajoutée sur leur exploitation.
Les bêtes sont élevées dans des exploitations spécialisées ou en complément de la production laitière. Les coûts de production sont les plus compétitifs de l’Union européenne.
Dans le même temps, les consommateurs polonais ont changé leurs habitudes alimentaires. Ils ne consomment plus que 2,9 kg équivalent carcasse contre plus de 16 kg au début des années 1990. Seule la multiplication des chaines de fast-food et la vente d’hamburgers relancerait la consommation intérieure de viande bovine sous forme hachée.
Aussi, depuis plus de vingt ans, toute la viande polonaise consommée en moins et produite en plus est destinée à l’export. Sur les 569 000 téc de viande produite, 85 % sont dédiées à l’exportation, soit 484 000 téc.
L’essor de la filière repose aussi sur un vaste mouvement de décapitalisation du troupeau laitier. L’amélioration des conditions d’élevage ont permis d’accroître la production laitière de 2 000 litres par vaches en vingt ans. On ne compte plus que 2 millions d’animaux contre 3,5 millions en 1998. Une vache laitière polonaise produit dorénavant 6 000 litres de lait par an.
L’épisode de la viande frauduleuse vient nuancer les atouts concurrentiels de la Pologne, selon Caroline Monniot, responsable de projet à l’Idele. Des abattoirs certifiés aux normes européennes ont été construits pour bâtir cette filière bovine. Reste la question des contrôles, ce pour quoi la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne a lancé une mission d’inspection d’urgence.
Toutefois, l’essor de la filière donne des signes d’essoufflement. « La production abattue polonaise a progressé plus modestement que les années passées pour totaliser 569 000 téc (+2% /2017) », analyse Caroline Monniot.
Le nombre de jeunes bovins élevés plutôt qu’exportés à 8 jours est conditionné par les effectifs de vaches laitières. Or comme ces derniers diminuent chaque année, le nombre de naissance régresse aussi. De même, les futures réformes de vaches laitières portent sur un plus petit nombre d’animaux.
Mais contrairement à ce qui s’est passé en France, les vaches laitières en moins ne sont pas remplacées par de vaches allaitantes. On dénombre en Pologne moins de 200 000 vaches allaitantes. Leur effectif est en forte croissance mais les quelques dizaines de milliers de bêtes en plus ne remplacent pas les 1,5 million de vaches laitières en moins.
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