Lorsqu’il acheta sa première débardeuse tractée en 1995, Christian Mode figurait parmi les précurseurs en champagne crayeuse, face à une majo- rité d’arracheuses automotrices et de chantiers décomposés exigeants en main d’œuvre.
Depuis, le paysage économique et la technique ont quelque peu évolué. Les arracheuses automotrices ont déserté le marché et ont progressivement laissé le champ libre aux machines intégrales, comme dans la plupart des régions d’Europe. La logique agronomique, notamment en matière de tassement des sols veut que l’intégrale soit la seule machine à pénétrer dans la parcelle lors de la récolte. Sa trémie offre une autonomie suffisante, lui permettant d’assurer la récolte et la mise en tas avec un stockage homogène et régulier. Mais la logique économique est tout autre. Compte tenu du coût d’achat particulièrement élevé de ces machines, les temps de transport et de déchargement sont considérés comme des temps morts. On ne leur donne plus le loisir de s’arrêter vider au silo. Une ou plusieurs bennes classiques ou débardeuses sont alors requises pour évacuer la récolte, de quoi faire grimper un peu plus la facture finale et le coût d’arrachage.
Après avoir maintenu le pied sur l’accélérateur, les planteurs de betteraves sont aujourd’hui confrontés à l’ère post-quotas et doivent cette fois-ci freiner des deux pieds leurs investissements, réfléchir durable- ment à leur façon de produire et maitriser leurs charges opérationnelles, surtout au moment de la récolte. Face à ces préoccupations, quelques voies de réflexion sont explorées ou refont surface. Si les chantiers décomposés à l’ancienne, avec effeuillage, arrachage et chargement dans des bennes sont plus abordables et souvent plus simples, ils ne sont pas forcément moins gourmands en main d’oeuvre et en carburant. L’évacuation des betteraves peut toutefois se faire via une débardeuse automotrice, dont la problématique de rentabilité est sensiblement la même qu’une intégrale. Reste alors la version tractée.
Sur la DT45, quatre turbines (deux de 0,85 m de diamètre, puis 1,55 et 1,40 m) assurent 35% de surface de nettoyage supplémentaire par rapport à la DT40.
Pour Christian Mode et son épouse, leur approche éco- nomique, logistique et humaine n’a pas changé depuis leurs débuts. Installés à Saint Rémy Sur Bussy, dans le Nord Est de la Marne sur une exploitation de 187 hectares, ils produisent blé, orge, colza et betteraves en plus d’un atelier de volailles de chair de 3.000 mètres carrés. Autonomes en main d’oeuvre sur leur exploita- tion, ils ont décidé de proposer leurs services à travers une entreprise de travaux agricoles et se sont ainsi constitués une clientèle principalement locale. S’ils sont capables d’assurer une offre globale allant du semis à la récolte pour différentes cultures, céréalières notamment c’est au moment de l’arrachage de betteraves sucrières qu’il se distinguent.
Chaque année, en plus de leurs 60 hectares de bet- teraves, l’entreprise récolte le double de surface en prestation. Après avoir utilisé dans un premier temps un chantier décomposé Franquet (effeuilleuse et arracheuse aligneuse) modifié avec deux turbines supplémentaires, soit cinq au total puisque la première débardeuse ne nettoyait pas suffisamment, Christian s’est posé la question de partir sur une arracheuse intégrale au moment du renouvellement. « Pour une question de tarif, et de coût d’entretien exorbitant, ça a été très vite négatif. Il aurait fallu courir après les hectares pour mieux la rentabiliser, ce qui n’est pas notre objectif. » Plutôt que de partir dans cette direction, Christian Mode modifie une arracheuse automotrice Moreau Lectra et supprime l’élévateur habituellement destiné au chargement des bennes afin d’aligner au sol les six rangs de betteraves. Une seule personne suffit pour effectuer l’arrachage avec cet équipement, acquis d’occasion 25.000 euros HT.
Maniable, la DT45 profite d’un tandem à suspension pneumatique chaussé de pneumatiques basse pression de dimensions 750/60R30,5
« L’avantage de cette machine, c’est sa très bonne visibilité. Par contre, plusieurs points négatifs, comme le niveau sonore élevé, sa consommation d’environ 25 à 30 litres de carburant par hectare et l’entretien qui oscille annuellement entre 2000 et 5000 euros. La prochaine étape sera de remettre une effeuilleuse et une arracheuse sur un tracteur » avoue-t-il.
Quant au débardage, après une première expérience concluante et avoir suffisamment de recul, l’entreprise a renouvelé sa débardeuse tractée pour la saison 2017 auprès de la société Sopema, située à une trentaine de kilomètres. « Un tracteur suffisamment lourd et d’une puissance d’un minimum de 250 chevaux doivent permettre de maintenir une bonne cadence et suivre l’arracheuse à un rythme régulier. C’est important, surtout en conditions humides ». C’est pourquoi il a fait le choix d’occuper son John Deere 8310R de 310 chevaux au moment des récoltes. Un tracteur de grande série, chaussé de pneumatiques basse pression dont la consommation atteint 20 litres par hectare. Plus polyvalent qu’une débardeuse automotrice produite artisanalement, il peut être employé le restant de l’année pour d’autres activités. Et sa bonne valeur de revente rassurera ses propriétaires face aux machines à betteraves motorisées lors de sa revente.
Au déchargement, la caisse s’élève hydrauliquement afin de confectionner un silo plus haut et moins large. 30 secondes suffisent pour évacuer les 45 mètres cubes de betteraves
Sopema propose trois machines, la DT40 deux essieux, 40 mètres cubes et deux turbines ou d’une DT50 de 50 mètres cuves et trois essieux. L’entre- prise a fait le choix du compromis avec la DT45, un modèle deux essieux de 45 mètres cubes tarifé autour de 170.000 euros HT et qui sera amorti sur 10 ans, en rapport avec la durée de vie du matériel supérieure à une intégrale. Celle-ci se distingue du modèle inférieur par la présence de quatre turbines (les deux à l’avant ramassent et les deux suivantes ont un rôle de nettoyage), permettant d’accroître la surface de nettoyage de 35% par rapport au modèle inférieur qui n’en a que deux. « Cela nous offre la possibilité de laisser les betteraves par terre en cas de beau temps afin d’intervenir plus tard, réduire la tare terre et aussi de pouvoir récolter seul le cas échéant. » Le changement de génération a aussi eu pour impact d’augmenter le débit de chantier. En améliorant l’asservissement hydraulique, notamment par l’utilisation de pompes à pistons membranes et avec l’élargissement de la largeur du tapis de char- gement de 0,8 à 1 mètre, il est possible de travailler en bonnes conditions à près de 15 km/h, de quoi récolter entre 1 et 2 hectares par heure. « Une condition, le silo doit être le plus proche possible » Sinon, de longues distances à parcourir entre la parcelle et le dépôt induira un surcoût.
Afin de doubler la vitesse de débardage, nombre d’évolutions ont été apportées. Le tapis de chargement notamment atteint 1 mètre de largeur contre 80 cm auparavant. Les réservoirs hydrauliques sont intégrés de part et d’autre de la machine.
En optant pour une débardeuse tractée dès le milieu des années 90, Christian Mode et son épouse ont fait un choix non seulement économique mais aussi de raison. Ils ont privilégié le confort de travail et leur autonomie. A deux chauffeurs expérimentés, ils assurent l’arrachage sereinement tout au long de la saison.
Grâce à une surface totale de nettoyage de sept turbines, la tare terre est particulièrement réduite. Il est ainsi possible de laisser les betteraves par terre lorsque le temps le permet.
Implantée à Saint Pierre près de Châlons en Champagne dans la Marne, Sopema commercialise en plus d’équipements spécifiques pour la manutention et le transport d’engrais des rampes de traitement localisé. C’est surtout pour ses matériels de travail du sol et de plombage que l’entreprise s’est fait connaître dans la région. Au-delà de la champagne crayeuse, elle met l’accent sur ses solutions de récolte des betteraves et propose ses débar- deuses de 40, 45 et 50 mètres cubes dotés de un ou deux essieux, avec ou sans turbines de nettoyage. Présentant une autonomie similaire, ces dernières permettent d’ac- compagner des arracheuses intégrales lors de la récolte.
L’ensemble des fonctions de la débardeuse est regroupé en cabine sur une console couplée à un écran. Il permet de superviser les opérations grâce à quatre caméras.
Christian Mode apprécie la facilité d’enrayage de son chantier. Aucune perte de temps !
Texte et photos: Mathieu Bonaventure