L’actualité des mondes agricole, agroalimentaire et rural de ce début d’année peut se décliner en quatre thèmes : horreur, bouseux, homosexualité, Tractor girl.
Ce début d’année est bien entendu marqué par l’attentat dont a été victime la rédaction de Charlie Hebdo qui a ému le monde agricole, tout comme le reste de la société française, mais aussi par la tribune publiée par une cinquantaine de députés de l’opposition qui ont lancé un appel en faveur de la ruralité, par la présence pour la première fois d’un homosexuel au sein de la célèbre émission de télé-réalité de M6 L’Amour est dans le pré et enfin par l’exploit réalisé par une néerlandaise qui a traversé l’Antarctique au volant d’un tracteur.
C’est le sentiment partagé par l’ensemble du monde agricole, et en particulier de la presse, après l’attentat perpétré le 7 janvier contre la rédaction de Charlie Hebdo. C’est aussi le titre du communiqué de presse de la FNSEA qui a condamné un « terrorisme aveugle et barbare » et a appelé au rassemblement et à l’unité pour défendre la République car « elle est notre bien commun, notre vivre-ensemble ». Dans le monde syndical agricole, la Coordination rurale souhaite, elle aussi, l’« union nationale » en soutenant la grande marche républicaine et en ayant appelé « les agriculteurs à se joindre à cette marche ». Ce syndicat a été d’autant plus sensible à cet attentat qu’il s’est produit au moment même où il présentait ses vœux à la presse. Pour lui rendre hommage, celui-ci a d’ailleurs mis sur son site un dessin de Georges Wolinski qui date de 1992 et qui mentionnait la Coordination rurale. La Confédération paysanne condamne également cet attentat, d’autant que le syndicat est proche idéologiquement de Charlie Hebdo. Elle indique, en effet, que « nombre de militants de la Confédération paysanne se souviennent de ces dessins qui ont accompagné nos combats, de ces rencontres qui ont nourri nos luttes ».
La MSA, par la voix de ses dirigeants, a également condamné l’action terroriste qui a visé la rédaction de Charlie Hebdo, tandis que le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, et les membres du ministère, comme le reste du gouvernement, se sont rassemblés le 8 janvier à midi pour observer une minute de silence. Philippe Mangin, président de Coop de France, a lui publié une déclaration où on peut lire entre autres : « Dans la situation dramatique que vit la France, Coop de France et les coopératives réunies s’associent à l’émotion générale, et participent à la défense des valeurs essentielles, liberté d’expression, fraternité et démocratie.«
Le 2 janvier, 51 députés, principalement de l’UMP, mais aussi de l’UDI, ont publié dans Le Figaro un appel intitulé « En 2015, ne nous traitez plus comme des bouseux ! L’appel des 51 députés de la ruralité ». Figurent notamment parmi eux des personnalités comme Dominique Bussereau, ancien ministre de l’Agriculture durant la présidence Chirac et secrétaire d’Etat aux Transports durant la présidence Sarkozy, Hervé Gaymard, également ancien ministre de l’Agriculture, puis de l’Economie durant la présidence Chirac et vice-président de l’UMP en 2013-2014, Patrick Ollier, ancien ministre des Relations avec le parlement durant la présidence Sarkozy, ancien président de l’Assemblée nationale et lui aussi vice-président de l’UMP en 2013-2014, ou encore Sébastien Huyghe, l’actuel porte-parole de l’UMP nommé par Nicolas Sarkozy en décembre dernier.
Cet appel à l’instigation du député UMP de la Lozère, Pierre Morel-à-l’Huissier, vise à s’adresser en premier lieu « aux élites de notre pays qui méprisent trop souvent la ruralité » car, du point de vue de ces députés, « les élites et les corps intermédiaires du pays se soucient comme d’une guigne de la ruralité ». Or, ces zones rurales traversent une grave crise dont les symptômes sont maintenant bien connus : suicides des exploitants agricoles, désertification, fermeture des écoles, des petits commerces et des services publics, paupérisation, faible connectivité. Cette « fracture territoriale » dont sont victimes les campagnes éloignées des zones qui attirent les « rurbains » concernerait ainsi un Français sur sept.
Pour ces députés, ce qu’ils appellent « la campagne des urbains », celle qui attirent les « rurbains », c’est un peu l’arbre qui cache la forêt en donnant une fausse perception de ce qu’est la situation réelle de la ruralité. Se défendant néanmoins de toute forme de « misérabilisme », ils veulent que les campagnes des ruraux soient écoutées et que leurs besoins spécifiques soient pris en compte en matière de transports, d’accès à la santé (médecins et services de santé), aux services publics et à internet. Ils réclament également un « droit au respect » en souhaitant que l’image de ces zones change et ainsi « que l’on cesse de traiter la campagne des ruraux comme des « bouseux » irrécupérables dans la marche du progrès économique et social ».
Cet appel s’inscrit aussi bien entendu dans le contexte de la réforme territoriale adoptée en novembre dernier par l’Assemblée nationale qui aboutit à la forte réduction du nombre de cantons et à la disparition des chefs lieux de canton.
Dans le sillage de cet appel, Pierre Morel-à-l’Huissier a annoncé que quelque 80 députés vont proposer au mois de mars une charte de 15 à 20 mesures en faveur de la ruralité. Celle-ci sera soumise aux candidats à la primaire de droite qui devrait avoir lieu en 2016 en perspective de l’élection présidentielle. Le député de la Lozère n’en est d’ailleurs pas à son premier coup d’essai puisqu’il avait proposé en 2011 durant la présidence de Nicolas Sarkozy un « plan Marshall » en faveur de la ruralité, un an après avoir été à l’origine du collectif « la Droite rurale » en vue de défendre et de promouvoir le monde rural.
La présence inédite d’un agriculteur homosexuel dans la nouvelle saison, la 10e, de l’émission L’Amour est dans le pré, dont le premier épisode a été diffusé le 5 janvier, constitue un petit événement pour l’une des émissions phares de M6. Deux candidats homosexuels avaient été sélectionnés auparavant, mais le premier s’est rétracté au dernier moment (4e saison) et le second est décédé avant le tournage (7e saison). Guillaume, éleveur de brebis en Auvergne, est donc le premier agriculteur gay à participer à cette émission. Il est d’ailleurs notamment connu pour avoir concouru à l’élection de Mister Gay Europe en 2011.
Au-delà de cette émission, ceci soulève bien entendu la question délicate de la situation des agriculteurs homosexuels, qui semble être encore largement taboue aujourd’hui. Ainsi, selon le sociologue François Purseigle, qui répondait aux questions de 20 Minutes le 8 juin 2010 suite à une enquête menée sur le sujet entre 2006 et 2010, « il est très difficile pour les agriculteurs d’avouer leur homosexualité, beaucoup plus que dans les milieux urbains. Donc leur solitude est beaucoup plus grande que celle des homosexuels qui vivent en ville », d’autant qu’ils « ont encore moins de possibilités que les hétéros de faire des rencontres ». Dans une enquête du Cevipof de 2006-2007, 47 % des agriculteurs estimaient, en effet, que l’homosexualité était une pratique jugée « inacceptable », contre 21 % pour les autres catégories socioprofessionnelles. Le même François Purseigle explique ainsi à l’AFP en janvier 2015 que « les métiers de l’agriculture sont liés à une certaine idée de la masculinité et à une certaine conception de la famille, et l’homosexualité vient troubler ces représentations ».
Xavier Beulin, le président de la FNSEA, estime cependant à ce propos qu’« il n’est pas inutile qu’on casse quelques clichés » sur le sujet, d’autant que « les agricultrices et les agriculteurs sont de plus en plus à l’image de la société française ». Il existe ainsi une association pour les homosexuels en milieu rural appelée Pink Pastorale ou encore des fermes-auberges dites gay-friendly.
Enfin, une jolie histoire pour commencer cette année, celle d’une jeune femme néerlandaise qui s’appelle Manon Osservoort, mais qui est plus connue par son surnom de « Tractor Girl » ou la « fille au tracteur ». Elle n’est pas agricultrice, mais comédienne et metteur en scène de théâtre. Elle n’en a pas moins décidé de se rendre en tracteur des Pays-Bas jusqu’au… Pôle Sud après avoir monté une pièce qui raconte l’histoire d’une petite fille qui décide d’aller au bout du monde en tracteur.
Le périple de « tractor girl » a été très long puisqu’elle est partie d’Amsterdam en 2005. Elle a traversé l’Europe puis l’Afrique en quatre ans sans avoir pu aller jusqu’au bout de son projet puisqu’au Cap, elle rate le bateau qui était censé l’emmener jusqu’en Antarctique. Elle a enfin pu repartir en 2014 et se rendre jusqu’au pôle Sud, qu’elle a traversé en seize jours pour achever son périple au mois de décembre. Cela représente tout de même une traversée de 2 500 km. Le tracteur qu’elle consuisait était un Massey Ferguson MF 5610 aux pneus renforcés, qu’elle a surnommé Antartica 2 et qui est fabriqué en France, à Beauvais. Il devait rouler non stop afin de ne pas geler. Au total, Manon Osservoort a parcouru plus de 38 000 km à une vitesse moyenne de 20 km/h.
En savoir plus : https://wikiagri.fr/articles/jesuischarlie-le-dessin-des-agriculteurs/2271 (événements Charlie, le dessin des agriculteurs) ; www.fnsea.fr/media/1582456/communiquecharliehebdo.pdf (communiqué de presse de la FNSEA relatif à l’attentat contre Charlie Hebdo), www.coordinationrurale.fr/la-cr-appelle-a-lunion-nationale.html (communiqué de la Coordination rurale), www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=3199&PHPSESSID=he21f40uapkmtgnpk1tr7b7kd0 (communiqué de la Confédération paysanne), www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/01/02/31001-20150102ARTFIG00053-en-2015-ne-nous-traitez-plus-comme-des-bouseux-l-appel-des-51-deputes-de-la-ruralite.php (tribune publiée par 51 députés « bouseux » le 2 janvier dans Le Figaro), www.m6.fr/emission-l_amour_est_dans_le_pre/agriculteur-saison-10/ (site de L’Amour est dans le pré), www.20minutes.fr/medias/576501-20100608-amour-pre-il-tres-difficile-agriculteurs-avouer-homosexualite (interview de F. Purseigle publiée par 20 Minutes en juin 2010), www.msn.com/en-us/news/france/agriculteur-et-gay-un-tabou-qui-sestompe/ar-BBhxhyv (dépêche de l’AFP de janvier 2015 dans lequel se trouve la source des citations de F. Purseigle et de X. Beulin), www.tractortractor.org/fr/ (site officiel de Tractor Girl).
Notre photo d’illustration représente « Tractor Girl » et est issu de la vidéo qui suit.
Par Eddy Fougier
J'interviens régulièrement dans Wikiagri.fr dans la rubrique "Réflexions". Je suis un "chasseur" de tendances émergentes, d'initiatives originales et d'innovations en lien avec l'agriculture, l'alimentation et les relations, souvent compliquées, entre le monde agricole et le reste de la société. 