Jean-Marc Leroy sème chaque année entre 25 à 40 ha de colza érucique au sein d’une rotation qui intégrait en 2022, 20 ha de betterave sucrière, 18 ha de lin textile et 85 ha de blé et d’orge.
Via sa coopérative, Jean-Marc Leroy a adopté il y a plus de 15 ans, cette culture qui répond à une niche de marché pour l’industrie oléochimique. Il estime avoir un niveau de rendement proche de celui du colza double zéro, tout en bénéficiant d’une prime.
La culture de colza d’hiver s’est faite une place depuis une vingtaine d’années sur l’exploitation de grandes cultures de Jean-Marc Leroy, à Marbeuf dans l’Eure, sur le plateau du Neubourg. « Nous avions trouvé la possibilité de bien valoriser des épandages de lisiers, issu d’un élevage de porc que nous avons cédé depuis », retrace l’agriculteur qui partage aujourd’hui matériel et personnel avec l’exploitation voisine de son frère. En parallèle, la coopérative de l’agriculteur (aujourd’hui baptisée NatUp), développait depuis 1993 une filière baptisée Pollen, pour la production de colza riche en acide érucique à destination de différentes applications industrielles (voir encadré). C’est ainsi que Jean-Marc s’est jeté dans le bain de cette culture il y a une quinzaine d’années.
Par sécurité, il implante d’abord seulement la moitié de ses surfaces en colza en érucique. Puis, dès la troisième année, il passe l’intégralité de sa sole de colza dans la filière. Aujourd’hui, parmi les 160 ha que compte son exploitation, l’agriculteur sème entre 25 à 40 ha chaque année de colza au sein d’une rotation qui intégrait en 2022, 20 ha de betterave sucrière, 18 ha de lin textile et 85 ha de blé et d’orge.
« Idéalement, il faudrait attendre six ans avant le retour du colza dans la rotation. Cependant, j’ai un parcellaire assez morcelé. Certaines parcelles sont petites et ne sont pas adaptées à la production de betterave sucrière ou de lin textile. Dans ces parcelles, le colza revient un peu plus souvent et les rendements sont un peu moins bons, reconnaît l’agriculteur. Toutefois, j’y trouve toujours un intérêt. Car outre la captation des reliquats d’azote, la culture de colza assure un effet de désherbage. Sur l’exploitation, j’ai un problème récurrent de ray-grass résistants. Le colza est une culture qui m’aide à mieux les contrôler. C’est une culture qui reste en place presque onze mois de l’année ! »
Aujourd’hui encore, l’exploitation de Jean-Marc Leroy fait partie d’un plan d’épandage de lisiers et de digestats. La culture du colza d’hiver est pour lui très était intéressante dans ce cadre, car elle permet de capter l’azote et de bénéficier de ce fait d’une bonne implantation de la culture, sans investissement en engrais azotés. « Cet avantage du colza d’hiver en la matière est encore plus fort avec la hausse des cours des engrais », constate l’agriculteur, qui réalise chaque année des analyses de reliquats pour la plupart de ses parcelles.
Jean-Marc restitue toutes les pailles à ses sols, soit de façon directe, soit via un échange de paille contre digestat. Par ailleurs, il lui arrive même d’investir dans des engrais organiques lorsqu’il n’y a pas d’apport dans une parcelle. Aujourd’hui les analyses de terre de l’agriculteur titrent à 2,2% de matière organique en moyenne contre 1,5 à 1,8 en moyenne dans les limons profonds du plateau du Neubourg. « Ces apports organiques sont fortement récompensés pour une culture comme le colza avec une activité biologique très favorable à la production agricole, souligne l’agriculteur. La vigueur au démarrage est très forte. On met beaucoup moins d’insecticide, car les stades qui permettent d’esquiver les attaques d’altises ou de charançons sont plus rapidement atteints. De mon côté, je gère le risque avec une surveillance par piégeage via des cuvettes jaunes. Lorsque les seuils sont dépassés, j’interviens en début de nuit avec un volume de bouillie important d’environ 250 l/ha. La couverture du produit et l’efficacité sont meilleures ce qui me permet de réduire les doses ».
Avec une croissance rapide, Jean-Marc a tendance à retarder ses dates de semis au début du mois de septembre, afin d’éviter les risques d’élongation. « Même si j’essaye de limiter au maximum le labour dans la rotation, il m’arrive fréquemment de labourer avant l’implantation du colza, complète-t-il. Je trouve que la gestion des résidus de paille est bien meilleure ce qui réduit d’autant le risque lié aux altises ».
Grâce aux apports organiques, le colza se développe rapidement à l’automne ce qui permet d’esquiver une partie des problématiques de ravageurs.
Des spécificités
Les variétés de colza éruciques que cultive Jean-Marc, sont généralement plus précoces que celles de double zéro. Cela présente des avantages par le fait que les risques de coup de chaud au mois de juin peuvent être esquivés lors du remplissage des siliques, même si l’agriculteur bénéficie d’une bonne réserve hydrique de ses sols. Cette précocité rend toutefois la plante plus sensible aux gelées d’avril. Cependant, la culture a montré à plusieurs reprises, sa capacité à rattraper ces périodes de stress.
Un point critique dans la conduite de la culture consiste à récolter le colza à sa pleine maturité, sans quoi la teneur en acide érucique peut être réduite. Or la filière vise une collecte de graines avec une richesse de 50% d’acide érucique au minimum. « Grâce à la précocité de la culture, récolter à l’optimum se gère assez bien, explique Jean-Marc. Dans le secteur, nous pouvons récolter le colza érucique aux environs du 14 juillet, après l’orge et avant le blé (fin juillet). Comme la culture de colza sèche vite, elle offre l’avantage de pouvoir redémarrer plus tôt les récoltes après l’arrêt des pluies avant de récolter les blés lorsque des pluies se déclarent à la moisson. Nous pouvons ainsi gagner deux jours de récolte dans ces situations ». Pour repérer le bon stade de maturité du colza érucique, l’agriculteur procède par observation visuelle et l’expérience.
Parmi les autres points de vigilance liés à la production érucique, les agriculteurs doivent veiller à limiter les risques de contaminations croisées. Les lots de colza érucique doivent être bien séparés des double zéro tout le long de la récolte, du stockage et du transport. Le colza érucique ne doit aussi pas être semé au voisinage immédiat d’une parcelle de colza double zéro. Avec l’expérience acquise par la filière, il est avéré néanmoins que le décalage de précocité de floraison des deux types de colza, limite fortement les risques.
Recherche intégrée à la filière
La sélection variétale de colza érucique a été intégrée à la filière Pollen. Les progrès génétiques permettent aujourd’hui d’avoir des rendements à peu près équivalents à ceux du colza double zéro. Au fil des années, la recherche variétale a permis également d’obtenir des variétés moins sensibles aux maladies. Au démarrage de la filière, trois passages de fongicides – dont un à l’automne contre le phoma, étaient souvent nécessaires. « A l’époque, les variétés éruciques étaient moins performantes. Grâce au travail de la filière, j’estime aujourd’hui avoir un rendement à peu près similaire à celui du colza double zéro, détaille le producteur. En 2022, mon rendement s’est établi à 57q/ha. En parallèle, je bénéficie d’une prime d’environ 100 €/t pour un engagement de cinq ans ». « Nous avons une vision de long terme avec nos clients partenaires de l’oléochimie, complète Antoine Grasser, responsable commercial de Pollen. Cela nous permet de proposer des contrats d’engagement de trois à cinq ans ». La filière poursuit par ailleurs son engagement en matière de recherche variétale. Des progrès sont encore attendus en termes de rendements, mais aussi de richesse en acide érucique qui atteint aujourd’hui déjà 52% en moyenne.
« Je suis très reconnaissant du travail que réalise la coopérative à tous les niveaux, pour faire vivre et créer des filières comme celles du colza érucique, insiste Jean-Marc Leroy. Aujourd’hui je vois que la coopérative se lance dans des projets d’élevage de saumon. Elle a investi dans une filature pour relocaliser le lin textile en France. C’est merveilleux. A mon niveau j’essaye aussi d’apporter de l’huile dans les rouages notamment par le partage de mes retours d’expérience sur la culture du colza érucique pour d’autres producteurs qui souhaitent se lancer ».
Jean-Marc envisage les couverts comme un investissement dans la fertilité des sols. Avant les cultures de printemps – comme le lin ou la betterave, il implante des mélanges de phacélie, de vesce, de trèfle et d’avoine.
La filière de colza érucique, « Pollen » a été créée par les agriculteurs adhérents de quatre coopératives en 1993, menée par le président de l’époque, Jean Clomesnil. « Pollen en est aujourd’hui le leader européen et un acteur de premier plan sur les marchés mondiaux », se félicite Antoine Grasser, responsable commercial de Pollen. La filière trouve des débouchés dans le secteur des lubrifiants, des peintures, des détergents, mais aussi des durcisseurs pour la plasturgie, l’industrie agroalimentaire et la cosmétique. Pollen* organise la transformation et la commercialisation des huiles à partir des colzas collectés par NatUp et Sévépi. La production s’étend sur environ 20 000 ha pour une production d’environ 40 000 t d’huile par an.
*Pollen est l’entité de commercialisation du colza érucique. La structure est détenue par NatUp, Sévépi et Saipol.
Pour limiter le risque d’élongation, l’agriculteur sème ses colzas à partir de début septembre.
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Pollen* organise la transformation et la commercialisation des huiles à partir des colzas collectés par NatUp et Sévépi. La production s’étend sur environ 20 000 ha pour une production d’environ 40 000 t d’huile par an.
« En 2022, mon rendement s’est établi à 57q/ha », constate Jean-Marc Leroy.
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