L’annonce récente par le groupe Danone de l’augmentation de sa participation dans le capital de l’un des principaux groupes laitiers chinois montre que les marchés émergents sont et restent la clef de la croissance du secteur agroalimentaire français.
Le nouveau succès populaire du Salon international de l’agriculture, qui vient de fermer ses portes à Paris avec une fréquentation avec plus de 700 000 visiteurs, démontre que l’agriculture reste un secteur important aux yeux des Français, mais aussi pour l’économie du pays. Selon un sondage BVA publié le jour de l’ouverture du SIA, 80 % des Français interrogés et des citadins, considèrent d’ailleurs l’agriculture comme une chance pour notre économie, tandis que, pour 72 % des Français comme des citadins, il faut continuer à la subventionner car il faut absolument maintenir une France rurale. Or, comme nous l’avions déjà vu dans la rubrique « réflexions » de WikiAgri, cette chance pour l’économie française passe désormais de plus en plus par les marchés émergents. Il paraît, en effet, de plus en plus évident que le secteur agroalimentaire français et les productions agricoles nationales ont tout intérêt à se tourner vers ces marchés. Plusieurs exemples récents l’ont encore confirmé.
Le premier marché émergent dans le secteur de l’agroalimentaire est à l’évidence le marché chinois. Le Bureau national de statistiques de Chine indique ainsi que la croissance annuelle moyenne des importations alimentaires du pays depuis cinq ans serait de l’ordre de 15 %. En 2013, la Chine serait devenue le premier importateur mondial de blé, devant l’Egypte, compte tenu des mauvaises récoltes dans le pays, alors que l’Empire du milieu représente déjà quelque 20 % de la production et de la consommation mondiale de blé. Le JDD dans son édition du 15 février dernier indiquait que la Chine aurait ainsi acheté pour 50 millions d’euros de blé et d’orge à la France, et ce, pour la première fois depuis dix ans.
Mais le pays n’est pas uniquement intéressé par le blé puisqu’il a signé un accord avec les Etats-Unis pour l’importation de 26 millions de tonnes de soja sur une période qui s’étale de septembre 2013 à août 2014. Il s’intéresse également beaucoup aux porcs français d’autant que sa consommation et ses importations de viande porcine ont énormément progressé ces dernières années. Le JDD mentionne ainsi la commande en France par des Chinois de 40 000 tonnes de pieds et d’oreilles de porcs pour une facture d’un montant de 80 millions d’euros. En septembre 2013, avait été aussi signé un partenariat entre l’Institut du porc (Ifip), la société ADN, société implantée dans le Finistère et spécialisée en génétique porcine, et Bright Food, le second groupe agroalimentaire chinois. Ce dernier entend produire un million de porcs par an. Le partenariat avec des structures françaises vise donc à fournir aux Chinois des reproducteurs (ADN), ainsi qu’une assistance technique (Ifip). Il est à noter également qu’en décembre 2013, le Royaume-Uni et la Chine ont signé un accord pour un montant de 73 millions de dollars au terme duquel devrait être livré aux producteurs chinois de la semence de porcs britanniques, congelée ou fraîche, ces derniers étant censés grandir plus rapidement que les porcs chinois.
Cependant, le débouché en Chine jusqu’à présent le plus connu pour l’agroalimentaire français concerne les produits laitiers. L’actualité récente vient encore de nous le rappeler. Le groupe Danone a, en effet, annoncé en février 2014 qu’il allait augmenter sa participation dans le capital de Mengniu, qui est l’un des premiers groupes laitiers chinois, pour porter celle-ci à 9,9 % de son capital. Au terme de cet investissement qui devrait se concrétiser dans les prochains mois, Danone deviendrait le second actionnaire du groupe chinois. Il est également prévu que le groupe français crée une coentreprise avec Mengniu pour produire et vendre des produits laitiers frais en Chine. L’objectif affiché de Danone, selon les propos de son PDG Franck Riboud, est en l’occurrence de « bénéficier du très important potentiel du marché chinois de produits laitiers frais ».
Au-delà de la Chine, on voit bien que certains groupes agroalimentaires français cherchent à s’implanter dans les zones où les gisements de croissance paraissent les plus élevés, c’est-à-dire dans les économies émergentes, et non plus dans les économies matures, en particulier les économies européennes.
Le groupe Danone ne mise ainsi pas uniquement sur le marché chinois puisque, outre les marchés américain et chinois, celui-ci a aussi décidé de se développer en priorité sur les marchés brésilien, indonésien, mexicain et russe, en attendant l’Inde et l’Afrique, qui sont mentionnées sur son site internet comme « les territoires de la prochaine décennie ». Il est d’ailleurs intéressant de noter, de ce point de vue, qu’une société de consulting comme Roland Berger dans un rapport publié récemment indiquait que les marchés que les entreprises devaient privilégier dans les décennies à venir étaient ceux des pays émergents dont la population était croissante (se caractérisant par un accroissement de leur population de 20 millions d’habitants dans les 20 prochaines années) et dont le niveau de vie augmentait rapidement (avec un PIB par habitant qui devrait dépasser 10 000 dollars de parité de pouvoir d’achat dans les années à venir). Il classait justement dans cette catégorie le Brésil, la Chine, l’Indonésie ou le Mexique.
Dans le communiqué de presse de Danone relatif aux résultats du groupe pour 2013, celui-ci précise que sa « croissance solide » a été notamment fondée sur « la croissance rentable et dynamique de notre plate-forme russe née de la fusion réussie Danone-Unimilk » ou encore « en Afrique, l’intégration de Centrale laitière, au Maroc, et la prise de participation dans Fan Milk, au Ghana et au Nigeria ». Au mois d’octobre 2013, Danone et le groupe Abraaj, un investisseur de Dubai, ont annoncé, en effet, avoir signé un partenariat pour l’acquisition de Fan Milk International, qui fabrique et distribue des produits laitiers et des jus en Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigeria, Togo, Burkina Faso, Bénin, Côte d’Ivoire).
En 2013, la région que Danone appelle ALMA, à savoir la région Asie-Pacifique / Amérique latine / Moyen-Orient / Afrique, a d’ailleurs représenté pour la première fois la part la plus importante du chiffre d’affaires du groupe (39,4 % du CA), passant ainsi devant l’Europe (38,5 %). Alors que le groupe réalisait 70 % de son CA en Europe occidentale en 1996, il réalisait 51 % de celui-ci dans les pays émergents en 2012. Parmi ces pays, la Russie est devenue en 2012 le premier marché de Danone suite au rachat de l’entreprise russe Unimilk deux ans plus tôt. Le groupe Danone est d’ailleurs devenu le leader du marché de la CEI, qui correspond aux pays de l’ex-URSS.
Pour un groupe comme Danone, la dynamique des marchés est donc clairement du côté des économies émergentes puisque son CA a augmenté de 10 % dans la zone ALMA en 2013 par rapport à l’année précédente, alors qu’il baissait de 2,4 % en Europe. Le communiqué de presse indique ainsi que, pour les produits laitiers frais, « la zone ALMA reste très dynamique, maintenant sa croissance à deux chiffres », alors que l’Europe est « toujours en décroissance ». Il en conclut que pour 2014, « le groupe s’appuiera […] sur ses fortes dynamiques hors d’Europe pour poursuivre son développement dans les pays émergents et en Amérique du Nord ».
On observe une même stratégie tournée vers les économies émergentes dans d’autres groupes agroalimentaires français. On l’a vu précédemment dans WikiAgri avec l’intérêt du groupe Lactalis pour le marché indien. C’est aussi le cas du groupe Pernod Ricard qui explique dans son Rapport annuel 2012-2013 qu’il s’est déployé « sur les marchés émergents où les équipes Pernod Ricard sont positionnées au mieux pour profiter de tous les relais de croissance » et qu’« en 2012, les nouvelles économies contribuent fortement à la croissance des spiritueux internationaux : elles représentent plus de la moitié de la croissance mondiale alors qu’elles ne pèsent qu’un quart du marché en volume ». Pour le groupe, ce qu’il appelle la région Asie et reste du monde est devenue la première région depuis 2010, en réalisant 40 % de son chiffre d’affaires. Le CA du groupe a ainsi augmenté de 7 % dans la région en 2012-2013 et même de 9 % en Chine, tandis que, selon les termes mêmes d’Alexandre Ricard, le directeur général délégué du groupe, « en Europe hors France l’heure est à la stabilité », le CA en Europe de l’Ouest étant même en baisse de 3 % (dont une baisse de 7 % du CA en France).
Ainsi que l’affirme le groupe Pernod Ricard, l’objectif semble être désormais d’« aller chercher la croissance là où elle se trouve », c’est-à-dire principalement dans les économies émergentes. C’est à l’évidence aujourd’hui la clef de la réussite pour le secteur agroalimentaire français.
En savoir plus : www.bva.fr/data/sondage/sondage_fiche/1455/fichier_bva_pour_i_tele-cqfd_-_les_francais_et_lagriculturedcc0c.pdf (sondage BVA de février 2014 pour I-télé), https://wikiagri.fr/articles/pays-emergents-la-soif-de-lait-fran%C3%A7ais/888 (texte de la rubrique « réflexions » sur les pays émergents et la soif de lait français), www.lejdd.fr/Economie/Ces-paysans-francais-qui-nourrissent-les-Chinois-653273 (article du JDD du 15 février 2014 intitulé « Ces paysans français qui nourrissent les Chinois »), www.ifip.asso.fr/fr (site de l’Ifip), www.adn-genetic.com/ (site de la société ADN), www.danone.com (site du groupe Danone), www.danone.com/uploads/tx_bidanonepublications/CP_Danone_Mengniu_FR.pdf et www.mengniuir.com/attachment/2014021208150417_en.pdf (communiqués de presse annonçant le rapprochement de Danone et du groupe chinois Mengniu), www.danone.com/uploads/tx_bidanonepublications/Danone_FY_2013_Results_FR.pdf (résultats 2013 du groupe Danone), www.rolandberger.com/gallery/trend-compendium/tc2030/content/assets/trendcompendium2030.pdf (rapport de la société de consulting Roland Berger intitulé Trend Compendium 2030), http://pernod-ricard.fr/files/fichiers/Commun/Documents/RA2012_13_VF_MiseEnLigne_28102013%281%29.pdf (Rapport annuel 2012-2013 de Pernod Ricard).
Notre illustration ci-dessous : Danone commercialise des biscuits en Chine depuis déjà longtemps.