Plusieurs pistes son explorées par les exploitants agricoles pour augmenter la rentabilité : amélioration des rendements ou de la productivité par animal, réduction des charges, optimisation du parc matériel, mutualisation, agrandissement, etc. Il en existe une autre pour augmenter ses prélèvements, pas souvent abordée. Sous certaines conditions, il est possible d’améliorer la rentabilité de sa structure en optimisant son mode de financement.
Pour bien comprendre cet élément, plusieurs rappels sont nécessaires, notamment au niveau fiscal.
Un grand principe demeure dans la fiscalité agricole : l’ensemble du résultat fiscal et social est taxé. Que ce résultat soit réinvesti ou réellement prélevé par l’exploitant n’influe pas sur la pression fiscale. Les réformes des dernières années ont d’ailleurs renforcé ce principe, qui était assoupli par le mécanisme de la dotation pour investissement qui permettait de réduire son assiette fiscale et sociale en prévision d’un investissement à venir. Maintenant, cet outil fiscal simple et concret n’est plus utilisable pour les acquisitions d’immobilisations, et surtout il est lui-même pénalisé par des indemnités de retard en cas de non possibilité de réintégration, rendant le système inutilisable en dehors des exploitations d’élevage qui peuvent encore l’utiliser pour anticiper la croissance de leur cheptel.
A l’inverse, une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) est taxée à un taux fixe sur l’ensemble des résultats, mais l’assiette des cotisations sociales ne s’applique qu’à la rémunération effectivement versée (principe en partie remis en cause pour les entreprises ayant des faibles niveaux de capitalisation, où les dividendes peuvent être en partie intégrés dans l’assiette). Ainsi, une société qui décide de conserver une partie de ses résultats et de ne pas verser de dividendes à ses actionnaires ne supportera pas de taxes outre l’IS sur cette partie destinée à du réinvestissement. L’objectif de cette fiscalité est d’inciter un cercle macro économiquement vertueux d’investissement.
Une fois ce postulat établi, on comprend que l’autofinancement est inintéressant fiscalement en l’état de la fiscalité actuelle car, contrairement aux grands groupes soumis à l’IS, l’argent servant à l’autofinancement aura été intégralement taxé et soumis à cotisation sociale dès la réalisation du revenu. A l’inverse, la charge liée à l’investissement sera étalée sur toute la durée d’amortissement du bien (5 à 7 ans pour un tracteur par exemple). Cet écart de taxation plus la perte de trésorerie liée à l’autofinancement ne subit pas que l’effet de l’érosion monétaire, il doit être soumis au coût moyen pondéré du capital (* lien en fin d’article) si on souhaite réellement mesurer le cout du financement dans son intégralité. Les exploitants agricoles le savent, il est nécessaire de réinvestir et de renouveler le matériel pour rester en activité et garder un outil de production performant. Il est cependant judicieux de rappeler que l’autofinancement, qui semble être plus sécurisant par l’absence d’annuités à payer, peut se révéler un piège aussi dangereux que le surendettement sur le long terme.
Pour cela, nous allons observer un exemple de la plantation d’un verger d’abricots Bergeron dans la Drôme :
– Plantation de 3 ha d’abricots Bergeron en 2015 (investissement 60 000 € au total)
– Début de la production en 2018
– Entreprise avec un taux d’endettement de 45%, avec 80 000 € de trésorerie disponible
– Financement possible par un emprunt de 60 000 € à un taux de 3.2%
– Marge de production incluant le coût de la main d’œuvre, y compris exploitants
– Coût moyen pondéré du capital de 9 % (*)
Le tableau 1 présente les flux de trésorerie pendant 12 ans pour le verger de 3 ha financé à 100% par emprunt. Dans ce tableau, on voit que les flux de trésorerie sont négatifs jusqu’à la première année de production, en 2018. Cependant, il faut bien prendre en compte que les 80 000 € de trésorerie n’ont pas été fortement mis à contribution par la plantation grâce à l’emprunt souscrit. Ainsi, fin 2018 l’exploitant disposera encore d’une trésorerie de 60 000 € en assumant que les 4 années écoulées soient à l’équilibre. Ainsi, il garde une marge de manœuvre en cas de coup dur.
Tableau 1 : flux de trésorerie sur 12 ans, financement par emprunt.
Dans le tableau 2, on peut voir l’effet de l’autofinancement sur les flux de trésorerie pour le même projet. Fin 2018, l’exploitant ne disposera plus que d’une trésorerie d’environ 30 000 €. La situation sera encore plus critique fin 2017, car il ne disposera que de 20 000 € et pourrait se retrouver en cas de mauvaise année à devoir recourir un prêt court terme dans la précipitation, sous la contrainte du manque de trésorerie. Il est évident qu’il sera dans une situation moins bonne pour négocier avec son partenaire bancaire que lorsqu’il hésitait à autofinancer ou à emprunter en 2015. L’adage qui dit « on ne prête qu’aux riches » n’est pas forcément juste, cependant il souligne un élément réel et pragmatique, car un banquier prend moins de risque à prêter pour un projet qui aurait pu être autofinancé, car l’entreprise aura la trésorerie pour rembourser le prêt en cas de moins bonne rentabilité dans les années suivantes.
Tableau 2 : flux de trésorerie sur 12 ans, 100 % en autofinancement.
Première conclusion de cet exemple : lorsqu’on hésite à autofinancer un investissement, à moins d’être dans des niveaux d’endettement très élevés (*), il est plus sûr de conserver sa trésorerie et d’emprunter. Là aussi le bon sens paysan peut servir de rappel : « il faut toujours se garder une poire pour la soif ». La trésorerie étant le nerf de la guerre et la fiscalité favorisant le financement par emprunt, il est donc plus judicieux d’emprunter que d’autofinancer.
Deuxième conclusion : en tenant compte du coût moyen pondéré des capitaux d’une exploitation diversifié à ce niveau d’endettement, les flux actualisés pour le projet sont largement à l’avantage du financement par emprunt, avec plus de 15 000 € de valeur actuelle nette contre 3 900 € à peine dans le cas de l’autofinancement. L’actualisation des flux (**) est très importante si on veut optimiser sa capacité de prélèvement. Ici, elle démontre un net avantage à l’investissement par emprunt. Ainsi, cet exploitant aura augmenté sa capacité de prélèvement, sans modifier la charge de travail liée à son exploitation.
A ce niveau de la réflexion, il convient de mettre en garde les lecteurs contre un travers largement répandu : l’embourgeoisement. L’exemple pris ici est un investissement productif, qui augmente la rentabilité de l’exploitation. A l’inverse, remplacer un tracteur de 120 chevaux à 3 000 heures par un tracteur neuf de 170 chevaux pour réaliser les mêmes travaux sur l’exploitation n’apporte quasiment aucun avantage productif pour la structure. Si les gains fiscaux et sociaux seront perceptibles et appréciés par l’exploitant, il n’en demeure pas moins que l’investissement diminuera la compétitivité de l’exploitation sur le long terme. Ce travers que je souligne est très présent en Rhône-Alpes : les charges de mécanisation dépassent les 600 €/ha en moyenne pour les exploitations céréalières (CerFrance Synergie Sud-Est), alors que les exploitations de taille comparable en Picardie ou en Ile de France se limitent à des niveaux proches de 450 €/ha (source CerFrance).
Dans un prochain article, nous verrons que ce raisonnement qui permet de maximiser ses prélèvements dans le cadre d’un investissement fonctionne aussi pour des exploitants en rythme de croisière et qui ne souhaitent pas développer leur activité, voire qui se préparent à transmettre leur exploitation.
En savoir plus :
* : Pour plus de précisions, consulter l’article du 13 décembre 2013 « combien vaut l’argent immobilisé sur les comptes courants des exploitations agricoles » sur wikiagri https://wikiagri.fr/articles/combien-coute-largent-immobilise-sur-les-comptes-courants-des-exploitants-agricoles-/859
** : Pour plus de précisions, consulter l’article du 28 octobre 2013 « Vaut-il mieux gagner 200 € dans 10 ans 100 € aujourd’hui ? » sur wikiagri https://wikiagri.fr/articles/vaut-il-mieux-gagner-200-%E2%82%AC-dans-10-ans-ou-100-%E2%82%AC-aujourdhui-/791
Illustration ci-dessous : photo issue du site Fotolia.
Merci pour le commentaire !
En effet, pour beaucoup de gestionnaires, les vertus du financement par emprunt (pour de l’investissement productif) sont bien connues. Cependant, je ne cesse de constater que soit c’est pas toujours bien expliqué, soit c’est vite oublié… Je suis beaucoup d’agriculteurs ou cet élément n’est pas pris en compte en fait.
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Merci pour ces remises au point….