Si l’aide alimentaire a plutôt bien fonctionné en France l’année écoulée, c’est en raison de l’embargo russe, à l’origine de productions sans marchés, et donc de dons. Au-delà, le système mis en place pour le don alimentaire mérite toujours des simplifications, dont certaines sont liées au gaspillage alimentaire.
Solaal (solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires) avait été créé en son temps par feu Jean-Michel Lemétayer pour recueillir le don alimentaire de la part des agriculteurs, à destination des associations s’occupant des démunis. Reconnue association d’intérêt général, elle a ainsi des missions multiples qui répondent à une vocation : faciliter le don alimentaire. Les missions vont du lobbying politique (en faveur de la simplification des textes de manière à ce que les règlements n’entravent pas les bonnes volonté), à la mise en relation des acteurs du don (producteurs et associations en faveur des démunis) pour créer des synergies. Dans sa quête d’aide alimentaire, Solaal veille également à contribuer à l’équilibre alimentaire des bénéficiaires, en variant les sources. Enfin, un pan important de son action consiste à la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Lors du salon de l’agriculture, Angélique Delahaye, qui a succédé à Jean-Michel Lemétayer à la présidence de Solaal, a présenté l’actualité en matière de don alimentaire. Il apparaît ainsi que l’embargo russe a créé chez de nombreux producteurs un phénomène de stocks élevés. En effet, soit ils perdaient le marché russe sur lequel ils étaient positionnés, soit ils se retrouvaient en concurrence directe avec d’autres producteurs (de l’est de l’Europe notamment) ayant perdu ces ventes et se reportant sur le marché interne européen.
Pour autant, il ne suffit pas d’avoir des surplus. Le don doit en rester un, donc pas question qu’il serve à écluser les fonds de tiroirs, comprenez les fruits abimés, les viandes en limite de date de consommation, etc. En revanche, le don, fut-il alimentaire et pour de bonnes causes, reste réglementé au niveau européen. La situation créée par l’embargo russe méritait une réponse rapide de la Commission européenne, afin de débloquer au plus vite, réglementairement, la situation. Comprenez de lever tous les freins administratifs pour cause d’urgence, et d’accorder les aides aux donneurs. Ces aides, a précisé Laurent Maldes, directeur commercial export de BlueWhale (groupement de fruiticulteurs qui a participé aux dons), lors de la conférence de presse, sont en-dessous du prix de revient : « Nous restons dans le domaine du don, il s’agit surtout de ne pas entraîner de frais supplémentaires du fait du don. » Par exemple, les fruits sont conditionnés comme s’ils devaient être vendus, ce qui est important pour le destinataire, qui n’aura pas à faire de tri spécifique à l’arrivée et pourra utiliser d’emblée les produits.
De son côté, Angélique Delahaye, également député européen depuis les dernières élections de juin 2014, explique qu’elle a demandé dès début août le soutien de la Commission européenne pour libérer le don alimentaire des contraintes administratives du fait de l’urgence de récupérer les produits impliqués par l’absence de marché après l’embargo russe. Et elle a obtenu une réponse rapide, le 18 août précisément.
Egalement invité de la conférence de presse au Sia (au passage, on note qu’il est possible d’unir des opposants politiques sur de nobles causes…), Guillaume Garot, ancien ministre de l’Agroalimentaire (2012-2014) et désormais député de la Mayenne, prépare un rapport sur le gaspillage alimentaire, qu’il doit remettre fin mars au gouvernement. Ce gaspillage est un élément important par rapport au don, mais il convient tout de même de bien dissocier les deux.
Ainsi, Arnaud Delacour, président de l’UNPT (union nationale des producteurs de pommes de terre), estime que l’on peut organiser le don dès la production en prévoyant, chaque année, un certain pourcentage spécifiquement pour le don. L’intérêt pour les associations en faveur des démunis est de récupérer un produit fini, il s’agirait de livrer des chips et non des pommes de terre, en accord avec les industriels, mais sans les obliger à participer au don. Ainsi, puisque sur le coût d’un paquet de chips seuls 20 % sont dus à la production de pommes de terre, l’idée consisterait à ce que les producteurs livrent 5 tonnes de pommes de terre à l’industriel pour donner une tonne de chips : ainsi, l’effort du don reviendrait uniquement aux producteurs, sans impliquer l’industriel autrement que par l’utilisation de son outil.
Au passage, un tel processus assurerait un don minimal, que l’on soit dans des contextes tels l’embargo russe ou non. Et les associations en ont bien sûr besoin !
Mais venons-en au gaspillage à proprement parler. Guillaume Garot insiste sur quelques chiffres : selon la FAO, 30 % de la production alimentaire mondiale n’arriveraient pas aux destinataires. Et plus près de chez nous en France, 32 millions de pots de yaourt sont refusés par an par les grandes surfaces alors qu’ils restent consommables, par exemple parce que le transport a duré une heure de plus que ne le prévoient les règlements du fait d’embouteillages. Son rapport consiste à trouver les moyens réglementaires de récupérer (entre autres exemples bien sûr) ces pots de yaourt, pour en faire bénéficier les associations proches des démunis.
Pour cela, il estime qu’une loi spécifique sur le gaspillage alimentaire sera nécessaire (horizon fin d’année), afin de bien clarifier un certain nombre de réglementations. Ce projet de loi, tel qu’il a été expliqué par l’ancien ministre, consistera entre autres à mesurer le gaspillage alimentaire, en valeur comme en volume. Il souhaite l’assortir d’une obligation de fournir de la qualité lorsque ce gaspillage est transformé en don, de façon à éviter que les « associations ne deviennent des centres de tri« , devant commencer par enlever le mauvais avant de pouvoir distribuer le bon aux démunis.
Angélique Delahaye, du fait de sa récente accession au Parlement européen, a regardé ce que font nos voisins en termes de don alimentaire. Elle précise ainsi que « Solaal est une association unique en Europe« , aucune autre du même genre n’est venue des producteurs. Et elle observe de près les résultats d’une loi qui existe en Italie, dite « du bon samaritain ». Elle consiste en un cadre juridique protecteur pour les entreprises qui participent au don alimentaire. Ainsi, si les produits affectés sont sains au moment du don, l’entreprise ne peut pas être attaquée si un problème sanitaire se pose ensuite… Et c’est l’un des freins au don d’une manière générale, l’absence d’un cadre juridique, la crainte d’être incriminé en cas de problème ultérieur. L’exemple italien semble intéressant sur ce point.
En savoir plus : http://www.solaal.org (site internet de Solaal) ; http://www.blue-whale.com (site de BlueWhale, groupement de fruiticulteurs ayant participé aux dons) ; www.producteursdepommesdeterre.org (site des producteurs de pommes de terre) ; http://www.eurofoodbank.eu/portail/index.php?option=com_content&view=article&id=207%3Ala-l-loi-du-bon-samaritain-r-&catid=27%3Alutte-contre-le-gaspillage&Itemid=46&lang=fr (pour mieux connaître la loi du « bon samaritain » en Italie).
Guillaume Garot et Angélique Delahaye.