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Comment la géopolitique influera sur l’agriculture en 2015

Si l’année 2014 a été riche en événements géopolitiques ayant eu un impact sur l’agriculture, 2015 promet de l’être tout autant. Cinq enjeux seront plus particulièrement à suivre en la matière.

En 2014, les trois principaux événements de l’année sur le plan international ont été la guerre en Ukraine, la percée des djihadistes en Irak avec la création d’un Etat islamique s’étendant sur une partie des territoires syrien et irakien et enfin la flambée épidémique du virus Ebola, principalement en Afrique de l’Ouest (Guinée, Liberia, Sierre Leone). Ces événements ont eu un impact sur la production agricole et/ou la sécurité alimentaire de ces pays, et même sur les marchés internationaux dans le cas de l’Ukraine et de la Russie.

En 2015, les grands enjeux géopolitiques devraient rester au cœur des préoccupations, y compris au sein du monde économique. Ainsi, pour la première fois, les conflits ont été les risques jugés les plus importants par les élites économiques qui se sont réunies à Davos en Suisse du 21 au 24 janvier à l’instigation du Forum économique mondial (FEM).

La 10e édition du rapport Global Risks du FEM parue en janvier 2015 considère, en effet, que les conflits interétatiques sont le risque le plus probable dans le « paysage des risques mondiaux de 2015 », devant les événements météorologiques extrêmes. Ces risques sont évalués sur la base d’une vaste enquête menée par le FEM sur la perception de près de 900 décideurs globaux et experts.

Les auteurs du rapport affirment que « de nombreux observateurs croient que le monde est entré dans une nouvelle ère de compétition stratégique entre grandes puissances. La désillusion vis-à-vis de la mondialisation favorise des politiques étrangères plus unilatérales en lien avec une montée du sentiment national alimenté par des pressions sociales ». Il souligne à ce propos l’existence d’un « nationalisme croissant », tant en Russie, à propos de l’annexion de la Crimée, qu’en Inde, avec la popularité croissante des leaders nationalistes, ou en Europe, avec la montée de la droite radicale et des partis eurosceptiques dans de nombreux pays.

Or, les entreprises ne peuvent ignorer ces évolutions compte tenu des interconnections croissantes entre géopolitique et économie. Il en est bien entendu de même pour le monde agricole. La preuve en est avec cinq enjeux géopolitiques majeurs pour 2015 qui devraient avoir un impact sur la production agricole et la sécurité alimentaire.

Les conflits en Syrie et en Irak

Le Système mondial d’information et d’alerte rapide sur l’alimentation et l’agriculture (SMIAR) de la FAO estimait fin 2014 que l’Irak et la Syrie connaissaient une « insuffisance exceptionnelle » en termes de production alimentaire. En ce qui concerne l’Irak, ceci est dû à une intensification du conflit liée aux percées des groupes djihadistes d’abord dans la ville de Falloujah en janvier et surtout de Mossoul, l’une des plus grandes villes du pays après Bagdad, au mois de juin. Ces groupes ont alors formé un Etat islamique dans une partie importante du pays, notamment dans les régions parmi les plus fertiles. Les frappes aériennes des membres de la coalition anti-EI, qui ont débuté en août 2014, n’ont pour le moment pas pu forcer les djihadistes à relâcher leur emprise sur ces territoires conquis.

Cette intensification du conflit s’est traduite par le décès de plus de 15 000 personnes en Irak en 2014, ce qui représente l’année la plus meurtrière que ce pays ait connue depuis 2006-2007, période de violences interconfessionnelles particulièrement intenses entre Sunnites et Chiites. La FAO estime le nombre de déplacés à plus de deux millions depuis janvier 2014 et le nombre de bénéficiaires d’une aide alimentaire à 1,2 million.

Du côté de la Syrie, le SMIAR parle d’une aggravation du conflit civil, alors même que les récoltes ont été inférieures à la moyenne. Même si le conflit syrien est quelque peu éclipsé dans les médias par les exactions commises par l’Etat islamique, en 2014, il n’en a pas moins fait plus de 76 000 morts. C’est d’ailleurs l’année la plus meurtrière en Syrie depuis le déclenchement du conflit en mars 2011. Il est à noter que près de 17 000 djihadistes font partie des victimes, dont une majorité de d’étrangers. Le bilan du conflit civil depuis 2011 s’établit ainsi à plus de 200 000 morts.

Selon les estimations de la FAO, 6,8 millions de personnes dans le pays seraient dans une situation d’insécurité alimentaire grave. Au total, les Syriens seraient 4,2 millions à bénéficier d’une assistance alimentaire en Syrie même et 2,7 millions dans les pays voisins.

Dans l’état actuel des choses, rien ne laisse penser que l’intensité des conflits dans ces deux pays et l’insécurité alimentaire que subit leur population puisse se réduire en 2015. La situation depuis le début de l’année en tout cas n’est pas de bon augure de ce point de vue. Le 21 janvier dernier, par exemple, l’armée de l’air syrienne a bombardé des zones rebelles près de Damas. Ces raids auraient fait plus d’une quarantaine de victimes parmi les civils. L’Etat islamique, de son côté, a exécuté un otage japonais quelques jours plus tard. En outre, la vague de froid qui s’est abattue sur la région au cours du mois de janvier a fait plusieurs morts. Selon un médecin local, dont le témoignage a été diffusé dans une vidéo du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), ceci s’expliquerait par la fait qu’« à cause de la situation, beaucoup ont des systèmes immunitaires faibles, conséquence de régimes alimentaires pauvres et du froid ».

Deux autres conflits, beaucoup moins médiatisés, font aussi l’objet de vives préoccupations de la part des agences internationales. Ce sont les conflits en République centrafricaine et au Sud-Soudan, que le Programme alimentaire mondial (PAM) classait début 2015 parmi ses « points chauds » en termes de sécurité alimentaire. Le PAM parle même, à propos de la situation du Sud-Soudan en 2015, d’un risque de « catastrophe alimentaire » en cas de poursuite du conflit.

Le conflit en Ukraine

Le conflit dans l’Est de l’Ukraine entre séparatistes pro-russes et troupes gouvernementales ou pro-gouvernementales ukrainiennes a débuté en avril 2014, suite au renversement du régime pro-russe Ianoukovitch deux mois auparavant et alors que la Russie a annexé quelques jours plus tard une partie du territoire ukrainien, la Crimée. Fin 2014, il avait fait plus de 5 000 morts et 10 000 blessés.

Les secteurs agricoles ukrainien et russe ne semblent pas avoir été pour autant affectés par ce conflit puisque, selon la FAO, dans la partie européenne des pays de l’ex-URSS, à savoir la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine, la production céréalières a même atteint des records en 2014. En outre, les craintes de difficultés d’approvisionnement en céréales ukrainiennes – l’Ukraine étant devenue le troisième exportateur mondial de céréales en 2013 – en lien avec le conflit n’ont pas été fondées jusqu’à présent, même si ces craintes ont contribué à orienter les prix des céréales à la hausse dans le monde au premier trimestre 2014. Ces prix ont même plutôt globalement tendu à baisser depuis cette période.

L’impact le plus important n’a pas tant été lié au conflit à proprement parler qu’à ses conséquences politiques avec la décision de Moscou de décréter en août 2014 un embargo sur les importations de certains produits alimentaires en provenance des pays occidentaux (Etats-Unis, Union européenne, Canada, Australie, Norvège) en représailles aux sanctions occidentales adoptées suite à l’annexion de la Crimée. Les produits concernés sont les viandes, les poissons et crustacés, les légumes, les fruits et les produits laitiers.

Alors que le marché russe représente 10 % des débouchés des exportations agricoles européennes et qu’en 2013, la France avait exporté vers la Russie pour près de 750 millions d’euros de produits agroalimentaires, cette décision ne pouvait qu’avoir un impact négatif. Fin 2014, Xavier Beulin, le président de la FNSEA, a d’ailleurs estimé que « l’impact de l’embargo russe est rude » sans fournir néanmoins une évaluation chiffrée à ce stade. Les secteurs qui en ont le plus pâti en France, comme dans le reste de l’Europe, semblent avoir été ceux des fruits et légumes, des viandes et des produits laitiers.

En dépit du cessez-le-feu décrété en septembre dernier, assez peu respecté sur le terrain, et des quelques tentatives de conciliation entre les pays occidentaux et la Russie, la situation reste très tendue dans l’est de l’Ukraine. Ces tensions politiques s’accompagnent de difficultés économiques pour la région. L’économie russe commence ainsi à subir les effets des sanctions occidentales combinées à la baisse du prix du pétrole, dont le pays est un producteur et un exportateur majeurs.

Pour 2015, des interrogations se font jour à nouveau à propos de l’approvisionnement du marché céréalier mondial, mais cette fois par la Russie, puisqu’à compter du 1er février prochain entrera en vigueur dans le pays une taxe sur les exportations de blé, qui vise à protéger son marché domestique et qui pourrait conduire à orienter les prix à la hausse. La FAO a d’ailleurs déjà noté une hausse du prix du blé en décembre dernier en raison des « craintes que la Fédération de Russie puisse appliquer des mesures de restriction à l’exportation ».

La crise d’Ebola

Le SMIAR a publié en janvier un nouveau rapport sur la situation des pays d’Afrique de l’Ouest les plus touchés par le virus Ebola. Même si certaines prévisions particulièrement alarmistes se sont révélées infondées, le bilan début janvier 2015 des personnes contaminées par le virus et des décès n’en était pas moins conséquent avec 20 700 personnes contaminées et au moins 8 150 décès selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le rapport du SMIAR indique que l’épidémie « continue d’avoir un impact négatif sur le secteur agricole et les conditions de sécurité alimentaire de Guinée, du Liberia et de Sierra Leone ». C’est d’autant plus préoccupant que l’agriculture constitue l’un des principaux secteurs d’activité de ces pays – 20 % du PIB en Guinée, 39 % au Liberia et 50 % en Sierra Leone – et que ces pays sont des importateurs nets de céréales, les importations de riz représentant les plus gros volumes importés. Ainsi, la production de riz, la principale culture vivrière dans la région, serait en chute de 12 % au Liberia, de 8 % en Sierra Leone et de 4 % en Guinée. L’impact sur la production de maïs serait du même ordre de grandeur selon les estimations de la FAO.

La Banque mondiale, de son côté, estime que la croissance de ces Etats serait particulièrement affectée par l’épidémie. Dans une étude publiée sur le Liberia en décembre 2014, elle indique ainsi que près de la moitié de ceux qui travaillaient au début de la crise ne sont plus en mesure de le faire, même si la situation sanitaire s’est améliorée dans le pays. C’est notamment le cas dans le secteur agricole où il est difficile de mettre en place des équipes de travail, ce qui devrait affecter les récoltes. Selon la Banque mondiale, plus de 80 % des personnes interrogées qui ont achevé leur récolte indiquent que celle-ci sera inférieure à celle de l’année passée en raison de l’incapacité à pouvoir réunir suffisamment de main-d’œuvre.

Les inquiétudes relatives à l’insécurité alimentaire sont donc grandes au Libéria. Quelque trois-quarts des personnes interrogées affirment qu’elles étaient inquiètes dans les semaines précédentes sur le fait de ne pas avoir assez à manger. Environ deux-tiers d’entre elles ont répondu qu’elles n’avaient pas assez de moyens financiers pour pouvoir se procurer du riz en quantité suffisante dans les semaines précédentes.

Plus globalement, ces inquiétudes sont très importantes dans les trois pays concernés. Le SMIAR évalue le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave à 630 000 au Liberia (dont 170 000 en lien direct avec la crise d’Ebola), à 450 000 en Sierra Leone (120 000 étant liés à Ebola) et à 970 000 en Guinée (230 000 étant liés à Ebola). Au total, 1,1 million de personnes seraient vulnérables à une insécurité alimentaire au Liberia (soit un quart de la population du pays), 2,1 millions en Sierra Leone (soit un tiers de la population) et 3 millions en Guinée (soit un quart de la population).

Or, la situation n’est pas appelée à s’améliorer en 2015, au contraire. Le SMIAR estime, en effet, que le nombre de personnes en insécurité alimentaire grave en lien avec la crise d’Ebola devrait s’accroître dans les mois à venir pour atteindre le chiffre de plus d’un million dans la région : 290 000 pour le Liberia, 280 000 pour la Sierra Leone et 470 000 pour la Guinée.

La baisse du prix du pétrole

L’un des événements majeurs de 2014 sur le plan économique a été une baisse importante du prix du pétrole. Elle est liée en partie à la volonté de certains producteurs de l’OPEP, en particulier l’Arabie Saoudite, de faire en sorte que les productions dites non-conventionnelles (pétrole et gaz de schiste) deviennent moins rentables. Cela a bien entendu eu une conséquence sur l’économie mondiale et notamment sur le monde agricole.

Cet impact apparaît néanmoins plutôt ambigu. Cela contribue à coup sûr à réduire les coûts de production pour les agriculteurs : prix de l’essence ou des engrais fabriqués à base de pétrole. Mais cela a aussi une incidence sur les prix alimentaires. L’indice FAO des prix alimentaires a ainsi baissé en 2014, et ce, pour la troisième année consécutive, notamment en lien avec cette baisse du prix du pétrole durant la période la plus récente.

Cela devrait aussi contribuer à réduire la demande mondiale de céréales. Ceci est lié en particulier à deux facteurs. Le premier est la réduction prévisible de la demande en provenance de pays producteurs de pétrole du monde arabe et du Moyen-Orient. C’est en particulier le cas de l’Algérie, de l’Egypte ou de l’Iran, qui sont de grands importateurs de blé. Le second facteur est la baisse de la demande de céréales pour le marché des agrocarburants. On a pu le voir récemment, par exemple, avec la baisse du prix du sucre qui est en partie liée à la baisse de la demande de plantes sucrières transformées en éthanol, un important agrocarburant.

Quelle grande(s) catastrophe(s) agricole(s) pour 2015 ?

La banque danoise Saxo Bank a identifié fin 2014 dix scénarios économiques catastrophiques possibles pour l’année 2015. Parmi ces scénarios, certains concernent l’agriculture.

C’est le cas, par exemple, de l’éruption du volcan islandais Bardarbunga, qui est actuellement actif et qui pourrait contribuer à modifier les conditions climatiques et donc à affecter les récoltes en particulier en Europe occidentale. Ce volcan a été à l’origine de la plus grande éruption volcanique que l’on ait connue depuis 10 000 ans. Elle a déjà été à l’origine de mauvaises récoltes en Europe par le passé. C’est d’ailleurs une telle éruption qui avait conduit à des situations d’insécurité alimentaire en France à la fin du XVIIIe siècle favorisant de près ou de loin le déclenchement de la Révolution française.

La banque danoise anticipe que, dans de telles conditions, le prix des céréales pourrait doubler, notamment en raison des craintes que cela génèrerait à propos de l’approvisionnement en denrées alimentaires.

Une autre catastrophe possible pour 2015, selon la Saxo Bank, serait une pénurie de cacao dans le monde avec un prix du cacao qui pourrait atteindre le niveau record de 5 000 dollars la tonne. Ceci s’expliquerait par une demande croissante en Asie, à laquelle la production ne serait pas du tout en mesure de répondre.

 

En savoir plus : www3.weforum.org/docs/WEF_Global_Risks_2015_Report.pdf (édition 2015 du rapport Global Risks du Forum économique mondial), www.fao.org/Giews/english/hotspots/index.htm (page du site du SMIAR consacrée aux situations d’urgence alimentaire, avec notamment une partie sur la Syrie et l’Irak), www.liberation.fr/monde/2015/01/12/le-froid-aussi-tue-en-syrie_1178906 (source de la citation du médecin syrien), www.wfp.org/emergencies (page du site du Programme alimentaire mondial consacrée aux « points chauds » dans le monde en termes d’insécurité alimentaire), www.fao.org/Giews/english/cpfs/I4256e/I4256E.html (informations de la FAO sur la production des pays de l’ex-URSS), http://fr.ria.ru/infographie/20140822/202228271.html (infographie sur les produits alimentaires faisant l’objet d’un embargo russe), www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Quel-est-l-impact-de-l-embargo-russe-sur-la-filiere-agricole-francaise-2014-12-28-1285703 (interview de X. Beulin sur l’embargo russe publiée dans La Croix), www.fao.org/3/a-i4311e.pdf (étude publiée par le SMIAR en janvier 2015 sur les pays touchés par Ebola), www.worldbank.org/en/topic/poverty/publication/socio-economic-impacts-ebola-liberia (étude de la Banque mondiale sur l’impact du virus Ebola sur l’économie du Liberia), www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/fr/ (indice FAO des prix alimentaires), https://fr.tradingfloor.com/publications/outrageous-predictions (scénarios catastrophistes de la Saxo Bank ), www.leparisien.fr/economie/economie-les-previsions-chocs-qui-pourraient-ebranler-le-monde-en-2015-13-12-2014-4371483.php (article publié dans Le Parisien sur les scénarios de la Saxo Bank).

Photo d’archives.

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