L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 22 mars 2014 sur l’indemnisation du chômage, relayé par la convention chômage conclue le 14 mai dernier et le règlement qui lui est annexé, prévoit plusieurs mesures incitatives à la reprise d’activité et une modification importante, tant pour les entreprises que les salariés entrant dans le régime d’assurance chômage concernant le différé d’indemnisation.
Cette réforme s’appliquera deux ans, du 1er juillet 2014 au 30 juin 2016. Son point essentiel : l’allongement du différé d’indemnisation, qui équivaut à plus de six mois sans chômage.
Le point de départ du versement des allocations sera différé lorsque le salarié a perçu des indemnités de rupture supérieures aux minima légaux.
Tel est le cas par exemple lorsqu’un salarié perçoit une indemnité de rupture conventionnelle supérieure à l’indemnité légale de licenciement (1/5 de mois par année de présence) ou encore une indemnité complémentaire de rupture dans le cadre d’une transaction, mais aussi, tout simplement, lorsque la convention collective prévoit une indemnité de rupture supérieure à la loi.
Rappelons à cet égard que l’attestation destinée à Pôle Emploi comporte une case spécifique à remplir « Montant correspondant aux indemnités conventionnelles (convention collective) », une autre intitulée « Montant correspondant aux indemnités transactionnelles (transaction) », et une case à cocher ainsi libellée « Une transaction est-elle en cours ? », la case « oui » précisant sous une astérisque que « Si d’autres sommes sont versées après l’établissement de cette attestation vous devez les déclarer à Pôle Emploi ».
Or, depuis 2006, l’employeur a l’obligation d’adresser cette attestation à Pôle Emploi, étant donc responsable à son égard également des mentions qui y sont portées.
Jusqu’à présent, ce différé spécifique était plafonné à 75 jours (soit un peu plus de 2 mois), s’ajoutant à la carence légale de 7 jours et, le cas échéant, au différé d’indemnisation calculé en fonction de l’indemnité compensatrice des congés payés.
Désormais, ce différé spécifique sera, sous réserve de l’exception majeure ci-dessous, plafonné à 180 jours (soit 6 mois), auxquels s’ajouteront toujours la carence légale et le différé « congés payés ».
Le calcul apparaît complexe. Il est égal au quotient des indemnités ou sommes inhérentes à la rupture du contrat de travail et ne résultant pas directement de l’application d’une disposition législative et d’un coefficient réducteur de 90, arrondi au chiffre supérieur, soit :
Différé « spécifique » =
Part de l’indemnité de rupture supérieure aux minima légaux / (divisé par) 90
Alors qu’auparavant, le différé était calculé en divisant les indemnités supra-légales par le « salaire journalier de référence » (SJR, constitué des rémunérations brutes soumises à contributions afférentes aux 12 mois civils précédents le dernier jour travaillé payé) du salarié, la formule est désormais uniforme, peu importe ce que gagnait le salarié avant la rupture :
90 € d’indemnité supra-légale = 1 jour de carence supplémentaire
En clair, dès lors qu’un salarié perçoit 6 751 € d’indemnités supra-légales, il dépassera l’ancien différé de 75 jours.
A partir de 16 200 € d’indemnités de rupture supérieures aux indemnités légales, le différé spécifique d’indemnisation atteint 6 mois.
Ajoutons que, pour ce calcul, sont prises en compte toutes les fins de contrat de travail qui sont intervenues dans les 182 jours (six derniers mois) précédant la dernière fin de contrat, au lieu des 91 jours pris en compte jusqu’à présent. En clair, à chaque fin de contrat durant cette période, on doit calculer le différé spécifique en fonction des indemnités supra-légales perçues au cours de la période. On retiendra le plus long (c’est-à-dire celui qui expirera le plus tard).
Les règles en vigueur avant l’Accord national interprofessionnel (75 jours maximum, calculés en fonction du SJR) continueront de s’appliquer en cas de licenciement pour motif économique ou de départ négocié dans le cadre d’un plan de départ volontaire pour motif économique.
L’uniformisation du système le rend assez injuste : si les 16.200 € d’indemnités supra-légales suffiront à certains qui y verront largement de quoi vivre pendant six mois ; elles s’avèreront nettement insuffisantes pour ceux dont les charges familiales habituelles étaient supérieures à 2.700 € par mois.
Pour certains cadres fortement rémunérés, les allocations chômage ainsi « perdues » seront supérieures aux indemnités supra-légales perçues. Ajoutons que ce sont souvent les salariés présentant les plus fortes chances de rester le moins longtemps au chômage car étant les plus diplômés et formés.
Que faire ?
– renoncer à l’indemnité complémentaire si elle n’est pas obligatoire (comme c’est le cas dans une transaction) pour percevoir plus tôt le chômage et éviter les aléas d’un litige et d’une négociation éprouvante avec son employeur ;
– opter pour l’indemnité complémentaire seulement si l’on a de bons espoirs de retravailler très rapidement et durant 182 jours (et de n’être ainsi pas impacté par ce différé spécifique) ;
– obtenir une indemnité complémentaire suffisamment importante pour couvrir le manque-à-gagner au niveau du différé spécifique d’indemnisation.
A tous, ces six mois sans revenus paraîtront très longs… et on ne peut que les inciter à mettre de côté leurs indemnités de rupture pour subvenir au quotidien des mois à venir.
Car en effet, l’objectif de cette réforme est clair : inciter ces salariés à une reprise rapide d’activité. Si on ajoute à cela le fait que les indemnités spécifiques de rupture conventionnelle sont intégralement soumises au forfait social de 20% depuis le 1er janvier 2013 et que les indemnités de rupture sont entièrement assujetties aux charges sociales au-delà de 12 plafonds annuels de sécurité sociale (75.096 € en 2014), certains finiront par se demander si l’on peut encore parler « d’indemnisation » d’un préjudice puisque ces nouvelles réformes les traitent comme un véritable revenu (de remplacement).
Tout d’abord, on a assisté au cours des derniers mois à un effet induit de la réforme : une accélération du rythme des licenciements pour faute grave (sans préavis) et des ruptures conventionnelles afin d’acter une sortie des effectifs antérieure au 30 juin 2014 et permettre ainsi aux salariés d’échapper au nouveau dispositif plus pénalisant pour eux.
C’est en effet la date « de fin de contrat » qui est prise en compte par le texte et non celle de conclusion de la convention ou de notification du licenciement.
A l’avenir, il est recommandé aux entreprises négociant une rupture conventionnelle ou une transaction, de bien veiller à informer le salarié de ce différé spécifique d’indemnisation ; et ce même si c’est le salarié qui est à l’initiative d’une telle négociation.
Le risque est que les salariés demandent aux entreprises de majorer leurs indemnités de départ pour compenser leur « manque-à-gagner » au chômage dans le cas où ceux-ci prévoiraient de ne pas retrouver rapidement un emploi. On voit ainsi les salariés exiger que la CSG et la CRDS soient intégrée aux indemnités négociées.
C’est d’ailleurs probablement un des objectifs non affichés de cette réforme : reporter sur les entreprises l’économie réalisée par le régime Unedic.
On verra également les salariés demander aux entreprises de choisir la voie licenciement économique plutôt que celle de la rupture conventionnelle ou d’une autre forme de licenciement afin d’échapper au nouveau régime de calcul du différé chômage … là où celles-ci tentent souvent elles-mêmes d’échapper aux règles de procédure et de fond de plus en plus complexes et drastiques du licenciement pour motif économique.
Certains se demanderont si tout cela ne va pas aboutir à judiciariser encore un peu plus les ruptures de contrats de travail, là où les ruptures conventionnelles s’étaient développées et avaient souvent contribué à apaisé les conflits.
La « flexi-sécurité » a son prix …