Ce 20 juillet débutent les états généraux de l’alimentation, pièce maitresse du programme d’Emmanuel Macron, censée apporter une réponse à tous les problèmes sur l’alimentation, depuis le producteur agricole jusqu’au consommateur. Mais ce n’est pas forcément le gouvernement qui joue le plus gros là-dessus, tant de nombreux paysans sont dans une situation catastrophique.
La journée du 20 juillet verra Bercy prendre des tons versaillais. Ce sera la grand-messe de lancement des états généraux de l’alimentation (EGA pour les intimes), avec discours introductif d’Edouard Philippe, et moult intervenants de renoms. S’ils seront peu nombreux, finalement, à se soucier de l’origine des petits fours distribués aux 400 participants de la journée, ce sera pourtant la question de fond centrale.
Lors de sa campagne électorale, Emmanuel Macron avait adressé une réponse, une seule, à la crise agricole : une meilleure répartition des marges entre tous les acteurs, qui serait discutée lors d’une réflexion plus large concernant l’ensemble de l’alimentation. A l’issue, 5 milliards d’euros seraient affectés pour moderniser le secteur agricole par rapport aux grandes lignes définies dans ce nouveau Grenelle, finalement relativement proche de celui dédié à l’environnement en 2007 dans sa conception.
Dans les faits, on arrive à l’échéance. Ce jeudi 20 juillet, ce sera le coup d’envoi. Et surtout l’occasion de savoir plus précisément qui participera aux travaux. On sait qu’il y aura des représentants des agriculteurs bien sûr (syndicats, coopératives, chambres, filières…), mais aussi des industriels, des ONG environnementales, des associations de consommateurs, des acteurs de la distribution, de la logistique et du transport, la restauration hors domicile, les associations des maires de France, des régions de France… En principe, selon les promesses de campagne de celui qui n’était encore que candidat à la présidentielle, il doit y avoir tous les représentants des acteurs de l’alimentation, depuis le producteur agricole jusqu’au consommateur… Mais tant qu’on ne saura pas précisément le nom des participants, et les critères de choix pour ceux-ci, le pronostic sur un résultat probant de ces EGA reste pour le moins délicat. Sans parler des accords à trouver entre des interlocuteurs aussi différents que CCFD Terre solidaire, WWF, Greenpeace, Oxfam, Réseau Action Climat, la Fondation pour la nature et l’homme (ex-Fondation Nicolas Hulot) et France Nature Environnement (FNE) d’une part ; ou la Fnsea, Coop de France, l’Ania (association nationale des industries alimentaires), l’UIPP (union des industries pour la protection des plantes), ou les Chambres d’agriculture de l’autre.
Concrètement, il est prévu deux phases. La première économique, jusqu’à fin septembre. On y parlera d’une répartition censée être « plus juste » de la valeur et des marges, et d’une juste rémunération des agriculteurs. La seconde (juste après dans le calendrier, jusqu’à novembre), concernera davantage la santé, l’environnement, ou encore le gaspillage alimentaire. Les discussions sont prévues par filières, avec des rencontres dans les régions avant la remontée d’informations vers Paris.
On sait le secteur agricole en très grande difficulté. Les comptes de l’agriculture ont livré récemment des chiffres sans appel avec, selon un communiqué du ministère, « un résultat net par actif en baisse de près de 22 % par rapport à 2015 et une perte de richesse globale (valeur brute de la branche agricole) en chute de 8,4 % par rapport à 2015 ». Derrière ces chiffres, des drames humains, allant jusqu’au suicide, des filières qui voient tous les jours des paysans arrêter leurs activités, en particulier dans l’élevage mais aussi dans les fruits et légumes.
La « solution miracle » résiderait ainsi dans un revenu supérieur pour les producteurs, et donc dans une répartition des marges « plus juste ». En cause, la LME, loi de modernisation de l’économie qui date de 2008 et qui définit les règles et usages entre fournisseurs et distributeurs. Et là, déjà entre agriculteurs, les positions divergent : selon la Confédération paysanne, il faudrait entièrement la réécrire tant elle s’est montrée défavorable aux producteurs. Tandis qu’à la Fnsea, sa présidente Christiane Lambert préfère que les relations commerciales certes, mais avec quelques amendements plutôt qu’en refaisant une loi « car sinon le temps parlementaire nous emmènerait dans un ou deux ans, et nous n’avons pas ce temps-là » pour tenter de résoudre la crise agricole, selon elle. Elle compte mener le combat contre la politique des prix bas menées par les enseignes de la grande distribution, qui entraine, selon elle, « une perte de la valeur de la production » initiale. Ainsi, elle pointe du doigt les promotions (du style « trois pour le prix de deux ») qui sont ensuite répercutées sur le fournisseur l’obligeant à baisser ses prix, ou autres artifices du même genre qui visent, pour l’enseigne, à attirer du monde sur d’autres produits au détriment des productions vivrières françaises.
Pour équilibrer les relations commerciales, Christiane Lambert souhaite généraliser le contrat à l’ensemble des filières. Certaines sont aujourd’hui mieux organisées que d’autres, il s’agit donc aussi, au passage, de remettre à plat les organisations de producteurs qui doivent servir d’interlocuteurs aux autres échelons.
En soi, vouloir réguler ainsi les pratiques commerciales par le système des contrats, c’est certainement une excellente chose. Avec toutefois une réserve, et d’importance : on a vu, dans le secteur laitier notamment, combien le contenu des contrats pouvait manquer de traitement égalitaire entre les parties. Plusieurs laiteries réclament ainsi des volumes, une qualité de production minimale, mais ne s’engagent pas en retour ni sur la durée du contrat et sa re-conductibilité, ni sur les prix. S’il fallait donc généraliser les contrats, il semble indispensable d’assortir la mesure d’un engagement minimal de toutes les parties dans ces contrats. Bien sûr, par essence, un contrat est privé, mais qu’est-ce qui empêche d’y imposer malgré tout une base minimale ? Or, cet aspect, interne au contrat, ne figure pas dans le discours de la Fnsea aujourd’hui. Alors que les remontées du terrain iraient pourtant volontiers dans ce sens.
Par ailleurs, on peut penser que ce voeu pieux des marges mieux distribuées qui dure depuis de nombreuses années ne s’obtiendra pas facilement. Michel-Edouard Leclerc, chantre de « qui est le moins cher » et donc des prix tirés vers le bas, vient de passer à l’offensive en rétribuant les fournisseurs laitiers de sa marque Repère à 350 € les 1 000 litres. Un geste certes, mais pour ne pas en revenir en arrière par rapport à ses principes, puisqu’il concluait une récente interview sur France Info par ces mots : « Je vois que les Français ont envie d’avoir des produits de meilleure qualité, mais ils n’ont pas envie de se les payer à des prix inabordables ». Traduisez : on peut freiner la course au « moins cher », mais pas question non plus de lâcher la bride dans ce domaine tout de même…
Autre limite de l’exercice, on voit bien que l’on risque, une nouvelle fois, d’aller dans le sens d’une guerre entre les corporatismes : les agriculteurs et ceux qui vivent avec d’un côté, les intermédiaires (industriels…) d’un autre, et les distributeurs à un troisième niveau. On a déjà connu ça, à de multiples reprises, sans réels résultats probants, en tout cas jamais durables. A chaque fois, une véritable guerre, où les clichés finissent par l’emporter sur les réalités et les besoins réels de chacun : ce ne sera pas facile, cette fois encore, d’obtenir gain de cause.
Enfin, dernier point et non le moindre, en faisant ainsi front commun au niveau de la profession agricole « majoritaire » (autour de la Fnsea), on oublie les problèmes et remises en cause internes : il existe aussi des outils inventés et gérés par les agriculteurs eux-mêmes qui absorbent une partie non négligeable de la valeur ajoutée, et lorsque l’on parle de « tout remettre à plat », ça devrait aussi concerner les fonctionnements agricoles « internes ». Le syndicat majoritaire, plutôt que de subir les critiques de ses concurrents, possède bien sûr les moyens de mener une réflexion sur ce thème, ou de la déléguer aux JA. Mais de cela, il n’est point question aujourd’hui. Chaque chose en son temps certes, mais le temps presse…
Notre illustration : panneau figurant à l’entrée des jardins d’Imbermais, en Eure-et-Loir, parcelle fruitière et légumière où le public peut cueillir lui-même ce qu’il souhaite (plus d’infos : http://www.jardins-imbermais.fr).