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L’interdiction des néonicotinoïdes a bouleversé la protection des cultures contre les insectes. Comment s’est passée cette première campagne sans eux ? Les alternatives, insecticides foliaires ou produits de biocontrôle, apportent-elles une protection suffisante ? Réponse du terrain.
La loi sur la biodiversité de 2016 l’avait acté : les néonicotinoïdes sont interdits depuis le 1er septembre 2018. Acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride et thiaméthoxame sont des insecticides systémiques qui pouvaient être utilisés en protection de semences, pour protéger les jeunes plantes des assauts des insectes et des virus que leurs morsures transmettent. Dans sa décision d’interdiction, la France a pris une position plus stricte que la plupart des pays européens, où deux molécules sont encore utilisables et où des dérogations pour les autres ont été accordées, notamment sur betteraves.
Sans cette protection systémique, la lutte contre les insectes repose sur une seule famille chimique, les pyréthrénoïdes, avec toutes les interrogations que cela amène sur la durabilité de leur efficacité. Des résistances ont déjà été détectées. D’autres sont avérées sur les pucerons en betteraves. « Quelques cas de résistances chez une espèce de pucerons des céréales ont été identifiés en Allemagne, en Irlande et au Royaume-Uni, reconnaît Jean-Baptiste Thibord, responsable du pôle ravageurs chez Arvalis. Il faut essayer de gérer la durabilité en recourant à des produits associant deux familles chimiques ou en diversifiant, au sein des pyréthinoïdes, les trois familles disponibles. »
Protéger les cultures des risques liés aux insectes commence par une bonne dynamique d’implantation, pour que les plantes passent rapidement le stade de sensibilité. « Pour un bon démarrage, il est intéressant de combiner un insecticide avec un starter et un biostimulant, comme ce qu’apporte Trika Expert+ dans un seul micro-granulé, souligne Nathan Gaborieau, responsable marketing grandes cultures chez Sumiagro. Il est homologué sur maïs et tournesol, nous regardons pour l’étendre à d’autres cultures. » Sumiagro travaille également au développement d’autres micro-granulés recommandés à 25 et 40 kg pour un démarrage de la culture encore plus rapide tout en maintenant un bon niveau de protection insecticide. Pour limiter les risques d’attaques, il faut aussi adapter ses dates de semis. En colza, les semis doivent être avancés pour réduire, non seulement, le risque pucerons mais aussi charançons et altises alors que pour les céréales à paille, il est recommandé d’éviter les semis trop précoces, qui exposent plus les jeunes plantes aux ravageurs.
La piste génétique est aussi à explorer grâce aux variétés résistantes ou tolérantes. En orge, le catalogue des variétés tolérantes à la JNO s’étoffe, d’autres variétés sont attendues prochainement. En colza, on trouve également des variétés présentant des résistances partielles, par exemple LG Architect. « Ces variétés sont résistantes à la jaunisse mais pas contre les mosaïques, qui sont, heureusement, moins fréquentes », prévient Laurent Ruck, de Terres Inovia. En betterave, trois variétés tolérantes à la jaunisse sont annoncées pour 2021. Si la résistance variétale est intéressante, elle est longue à obtenir et reste souvent partielle.
Pour protéger les cultures contre les assauts des insectes, des alternatives se développent, comme les plantes appâts. Par exemple, en maïs, des plantes appâts, blé, avoine ou maïs, sont semées dans l’inter-rang pour détourner les taupins des jeunes plantules. Ces appâts sont détruits mécaniquement à des stades précoces pour ne pas concurrencer la culture.
Des avancées arrivent aussi avec des produits de biocontrôle. En maïs, l’insecticide du sol Success GR, combiné avec des plantes appâts, se montre efficace en cas d’attaque modérée à forte. En insecticide foliaire, Corteva vient de voir homologuée une solution biocontrôle, également à base de Spinosad, efficace contre sésamies et pyrales, applicable au pulvérisateur. « Elle sera disponible pour la campagne 2020- 2021, annonce Stéphanie Fournol, chef de marché insecticides chez Corteva. Sur cette campagne, elle a été testée par quelques distributeurs, qui ont apprécié son efficacité. » En céréales ou colza, il n’y a pas encore d’insecticides en biocontrôle. « Nous regardons du côté de solutions utilisées dans d’autres pays ou sur cultures spécialisées, explique Jean-Baptiste Thibord. Mais il faut encore déplafonner l’efficacité pour un passage au champ. »
Contre les insectes, toutes les pistes sont bonnes à explorer.
Pour les jeunes plantules de céréales, le risque « insectes » vient essentiellement des virus qu’ils transmettent, jaunisse nanisante par les pucerons, maladie des pieds chétifs par les cicadelles. Comme il n’est pas possible de savoir au champ, en temps réel, si les insectes présents sont vecteurs de maladie, la seule solution pour éviter la contamination est d’éliminer ces vecteurs.
« Comparés à d’autres cultures, où l’interdiction des néonicotinoïdes a entraîné des impasses techniques, les insecticides foliaires sont une alternative satisfaisante en céréales. Certes, c’est moins pratique, car on peut être amené à intervenir plusieurs fois, mais l’efficacité est correcte », estime Jean-Baptiste Thibord. L’été 2018 et le début d’automne sec auront eu cet intérêt de limiter les repousses, réservoirs à insectes, et de voir les semis retardés. « La pression des pucerons, comme celles des cicadelles, est restée assez faible, reconnaît Jean-Baptiste Thibord. Lors de la période de sensibilité des jeunes pousses, il y avait peu d’insectes. »
En général, une seule application d’insecticide foliaire a suffi. Mais, pour autant, il ne faut pas baisser la garde. Selon les conditions climatiques et les caractéristiques des parcelles, les risques varient beaucoup. « Il faut bien surveiller les vols d’insectes dès l’implantation pour détecter les premières infestations et poursuivre la surveillance en cas d’infestations tardives car les insecticides ne protègent que sur une courte durée », conseille Jean-Baptiste Thibord.
« La campagne 2018-2019 a été difficile, reconnaît Laurent Ruck, de Terres Inovia. La pression pucerons a été très forte. Les néonicotinoïdes, qu’on utilisait en traitements foliaires, ont été interdits au 1er septembre et l’homologation de Teppeki n’est arrivée qu’en décembre. »
Cette campagne commence un peu plus sereinement. Certes, les démarrages sont variables selon les dates de semis. « Les colzas, semés tôt, ont profité de l’épisode pluvieux du 15 août et sont bien vigoureux, observe Laurent Ruck. Ceux qui ont été semés plus tard sont beaucoup plus hétérogènes. » Mais, moins de pucerons, vecteurs potentiels du virus TuYV ont été observés et, en cas d’infestation au-delà des seuils, Teppeki est utilisable. Reste le problème que la lutte contre ces insectes repose sur un seul mode d’action, avec toutes les interrogations sur la durabilité de cette solution face à l’émergence de résistances.
Cette crainte est d’autant plus marquée pour la filière colza que la lutte contre les altises et le charançon du bourgeon terminal repose actuellement sur les organophosphorés (phosmet et chlorpyriphos-méthyl), ces ravageurs présentant des résistances aux pyréthrinoïdes. Leur réapprobation doit être examinée au niveau européen en 2020. « Avec l’arrêt des néonicotinoïdes, nous avons perdu un mode d’action, ce qui fragilise la protection des colzas contre les ravageurs. Pour garder une certaine efficacité, on ne peut pas en perdre d’autres », plaide Laurent Ruck.
Ce sont les taupins qui représentent le principal risque pour les jeunes plantules de maïs. « Cette année, certains ont pris le pari de ne pas protéger leurs cultures face à ce risque, remarque Nathan Gaborieau. Quand les semences étaient protégées par les néonicotinoïdes, il y avait moins de visibilité du risque taupins, qui est pourtant présent et pénalisant pour les cultures. Il va falloir réapprendre à l’appréhender. » C’est délicat car, d’une part, les taupins sont des insectes à cycle long et il peut y avoir plusieurs années sans attaque puis une résurgence des dégâts, et d’autre part, la météo, le type de sol, la rotation jouent également sur la pression.
Contre les taupins, il reste un traitement de semences, Force 20 CS. Il est moins efficace que Sonido mais aide bien en cas d’attaque précoce. La protection contre les ravageurs du sol repose essentiellement sur des insecticides à base de pyréthrénoïdes sous forme de micro-granulés (Force 1,5G, Belem 0,8MG, Fury Geo, Karaté 0,4 GR, Trika Expert+). Leur efficacité est intéressante mais leur application plus contraignante. En effet, elle nécessite de s’équiper de micro-granulateurs. Les micro-granulés doivent respecter des DVP et ZNT de 20 mètres, à l’exception de Belem 0,8MG qui n’a pas de contrainte réglementaire sur la DVP.
« L’utilisation de micro-granulés demande une certaine expertise, prévient Stéphanie Fournol, chef de marché insecticides chez Corteva. Il faut bien régler son semoir à la densité du micro-granulé et utiliser des diffuseurs adaptés pour créer un bouclier de protection autour de la graine, et du coléoptile. » Reste le problème des mouches, géomyzes et oscinies, face auxquelles les traitements efficaces manquent.
Les betteraves sont la culture la plus pénalisée par l’interdiction des néonicotinoïdes. En effet, les traitements en végétation n’ont qu’une efficacité aléatoire contre les pucerons, vecteurs de jaunisse, maladie virale pouvant aller jusqu’au dépérissement total de la plante. « Avec l’arrêt brutal des néonicotinoïdes, c’est un nouveau chapitre que nous devons écrire », reconnaît Cédric Royer, spécialiste de la protection des cultures à l’ITB. Jusqu’en 2018, 98 % des semences étaient traitées avec de l’imadoclopride ou du thiamétoxam. Ce traitement permettait de protéger les betteraves à la fois contre les pucerons, vecteurs de jaunisse virale et contre les ravageurs souterrains. Reste la téfluthrine, en traitement de semences ou en micro-granulés, contre les ravageurs souterrains. Contre les pucerons, Teppeki (flonicamide) est autorisé depuis décembre. Applicable une fois au stade 6 feuilles, il est intéressant car c’est le seul représentant des pyridinecarbox amides. L’an dernier était aussi disponible Movento (spirotétramate), à raison de deux applications par an, qui reçu une dérogation d’AMM pour 120 jours pour pouvoir être appliqué sur betteraves. « La profession redemandera une dérogation pour l’année prochaine car c’est une urgence sanitaire faute d’alternative », anticipe Cédric Royer. Autre produit sur le marché, Karaté K (pyrèthre + carbamate) n’est pas recommandé « du fait de résistances et de sa non-sélectivité vis-à-vis des auxiliaires », explique Cédric Royer. Face à ses difficultés à contenir les insectes, la filière betterave s’étonne que « des produits proches des néonicotinoïdes soient en cours d’homologation dans d’autres pays européens, mais pas en France, que des dérogations soient accordées, par exemple en Belgique et pas en France ».
L’arrêt du traitement des semences demande de passer d’une démarche assurantielle à des traitements selon les risques et les seuils d’intervention. Des outils d’aide à la décision accompagnent la surveillance pour intervenir au bon moment, en fonction de cartes de risques (météo, réseau de piégeage) et du risque à la parcelle (variété, itinéraire technique).
Ainsi, l’ITB a mis au point un OAD de surveillance des pucerons verts, « Alerte pucerons », pour être alerté quand des pucerons sont repérés dans sa zone. Gratuit, cet OAD est accessible sur itbfr.org
Pour les ravageurs de printemps du colza, Terres Inovia propose son outil Expert.
Des OAD sont également déployés par différentes entreprises, comme Corteva qui lance un outil de suivi des taupins, Taup’info, ou encore Syngenta, avec Vigie Viroses.
Avec Mavrik Smart et Mavrik Jet, Adama renforce sa gamme d’insecticides pour lutter contre ravageurs d’automne. Grâce à leur nouvelle formulation, ils sont particulièrement efficaces contre pucerons.
Début 2019, Mavrik a été réhomologué sous sa nouvelle appellation de Mavrik Smart. « Grâce à un changement d’adjuvants, notre nouvelle formulation est maintenant compatible avec les apports d’oligo-éléments, comme le bore », explique Guillaume Barbe, chef de marché chez Adama. Cette nouvelle formulation permet également un meilleur étalement de la matière active sur les feuilles, ce qui augmente de 5 à 8 % son efficacité, notamment en conditions difficiles. Le tau-fluvalinate est reconnu pour son efficacité envers les ravageurs des cultures tout en préservant les auxiliaires, qui sont un relais de lutte supplémentaire. « Cette molécule fait partie de la famille des pyrèthres, mais elle est la seule à dériver de la valine, précise Guillaume Barbe. Ceci explique le maintien de son efficacité, même face à certains insectes résistants aux autres pyréthrinoïdes, comme les méligèthes. »
Produit polyvalent et simple d’utilisation, Mavrik Smart est homologué à 0,15 l/ha en céréales et à 0,2 l/ha en colza. De plus, Mavrik Jet vient d’être homologué, et combine du tau-fluvinate et du pirimicarbe pour encore plus d’efficacité contre les pucerons. Très polyvalent, ce produit est homologué sur protéagineux, colza, betterave et pommes de terre. « La combinaison des deux modes d’actions permet une bonne efficacité et une meilleure gestion des résistances. »
Cécile Julien
Par wikiagri redaction