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Analyse de la montée du vote FN dans le monde rural

Le monde rural semble être devenu ces dernières années l’une des clefs de l’enracinement électoral du Front national dans le pays. Même si on dispose de peu de données, il semble bien que les élections européennes aient confirmé cette tendance.

Le Front national est sorti grand vainqueur des élections européennes du 25 mai dernier. C’est la première fois qu’il arrive en tête d’une élection en France. Il a obtenu 4,711 millions de voix, soit 24,85 % des suffrages exprimés. Ce résultat spectaculaire s’est produit quelques semaines après une percée importante lors des élections municipales du mois de mars où celui-ci, avec un autre mouvement d’extrême droite, la Ligue du Sud, a remporté quatorze municipalités de plus de 9 000 habitants.

Quelle a été la part des agriculteurs et du monde rural dans ces succès du Front national ? Des enquêtes « sortie des urnes » ou « jour de vote » ont été effectuées le 25 mai dernier par plusieurs instituts de sondage : CSA, Harris Interactive, IFOP, Ipsos, Opinion Way. Malheureusement, les agriculteurs n’ont pas été pris en compte dans ces études compte tenu de leur trop faible nombre. En revanche, l’enquête Ifop pour I-télé, Paris Match et Sud Radio intègre les communes rurales dans sa méthodologie. La population vivant dans ces communes a un peu moins voté à gauche que la moyenne nationale – 33 %, contre 35 % à l’échelon national ; 11 % pour les listes PS, contre 14 % – et un peu moins en faveur de l’UMP – 18 %, contre 21 %. En revanche, elle semble avoir davantage voté pour le Front national – 28 %, contre 25 % – et, plus largement, pour les forces politiques eurosceptiques de droite : FN, Force Vie (Christine Boutin) et Debout la République (Nicolas Dupont-Aignan) – 33 %, contre 29 %.

On ne peut pas tirer de conclusions définitives de ces quelques données. Elles tendent néanmoins à corroborer différentes analyses effectuées depuis quelques années qui montrent que les idées du Front national ont un impact de plus en plus fort sur le monde rural et les agriculteurs, même si ces derniers sont désormais minoritaires dans les communes rurales. En témoigne, par exemple, l’appel de Xavier Beulin, le président de la FNSEA, une dizaine de jours avant le scrutin du 25 mai, à se mobiliser contre les « europhobes », appel auquel le FN a réagi dès le lendemain.

Le premier tournant, du 21 avril

C’est en 2002 lors du premier tour de l’élection présidentielle que l’on a assisté à une première percée de l’extrême-droite dans le monde rural et chez les agriculteurs qui étaient restés jusqu’alors peu sensibles à ses idées, et ce, pour diverses raisons : attachement à la droite gaulliste, influence du catholicisme social et importance de la pratique religieuse. Alors que Jean-Marie Le Pen ne recueillait que 10 % des suffrages des agriculteurs en 1988, il en obtenait 22 % en 2002. On s’aperçoit d’ailleurs que, de 2000 à 2004, selon une enquête de l’Ifop de 2011, le nombre d’agriculteurs affirmant se sentir proche du FN a doublé pour passer de 6 % à 12,2 %.

Ensuite, il y a eu à coup sûr un « effet Sarkozy » auprès des agriculteurs, alors que celui-ci arrivait à la tête de l’UMP en novembre 2004 et s’imposait de plus en plus comme le candidat logique du parti pour l’élection présidentielle de 2007. En conséquence, le nombre d’agriculteurs se sentant proches du FN a largement diminué à partir de 2004 pour atteindre un taux de 4,8 % en 2009, tandis que parallèlement de plus en plus d’agriculteurs affirment leur proximité avec l’UMP : de 26,5 % en 2003 jusqu’à 45,5 % en 2007. Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy aurait ainsi obtenu 51 % des suffrages des agriculteurs, alors que Jean-Marie Le Pen n’en obtenait que 7 %.

Baisse de confiance dans l’Ump

Une certaine forme d’impopularité de Nicolas Sarkozy au cours de son mandat aux yeux des agriculteurs et l’avènement de Marine Le Pen, notamment à partir de 2010 (elle prend la tête du FN en janvier 2011), semblent marquer néanmoins un nouveau tournant. Les soutiens pour l’UMP baissent à partir de 2007, tandis que la popularité du FN s’accroît à nouveau à partir de 2010, passant d’un taux de 4,8 % en 2009 à 11,4 % en 2010.

Un sondage BVA pour Terre-net réalisé en avril 2012 indique ainsi que si Nicolas Sarkozy était crédité de 42 % des intentions de vote chez les agriculteurs, Marine Le Pen, de son côté, obtenait 20 % de leurs suffrages, soit un résultat supérieur à sa moyenne nationale (17,90 %) et près de trois fois le score réalisé par son père dans cette catégorie en 2007. Le score de Marine Le Pen a ainsi été particulièrement élevé dans un certain nombre de départements à forte dimension rurale comme l’Orne (20,0 %, avec un taux d’urbanisation de 45 %), la Meuse (25,8 %, avec un taux de 46 %), l’Yonne (23,7 %, avec un taux de 46 %), La Haute-Marne (25,3 %, avec un taux de 50 %), l’Eure (22,7 %, avec un taux de 55 %) ou encore le Loir-et-Cher (20,9 %, avec un taux de 55 %).

Plus récemment, l’un des symboles de cette montée du FN dans le monde rural a été l’élection législative partielle dans le Lot-et-Garonne en 2013 où Etienne Bousquet-Cassagne, âgé de 23 ans, fils (son père est président de la chambre d’agriculture du département), petit-fils et arrière-petit fils d’agriculteur s’est présenté sous l’étiquette FN. Il a réalisé 26,0 % des voix au premier tour et 46,2 % au second tour. Cette popularité de Marine Le Pen auprès des agriculteurs semble être, en effet, particulièrement prononcée chez les plus jeunes d’entre eux.

Causes sociétales, économiques et sociales, ou d’expression de mécontentement

Comment expliquer cette influence croissante des idées du Front national au sein du monde agricole et rural ? La première forme d’explication est de nature structurelle. Pour les sociologues Bertrand Hervieu et François Purseigle, auteurs d’une note publiée en 2012 par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), les agriculteurs sont « une minorité venue d’une majorité et se sentant, à ce titre, isolée au sein du corps social y compris dans les campagnes et se sentant menacée de déclassement quels que soient les niveaux de revenus ». Ils soulignent notamment le passage chez les agriculteurs d’un catholicisme social à un « catholicisme identitaire » se traduisant par un repli sur un certain nombre de valeurs traditionnelles. A cela, on peut ajouter un sentiment de déclassement et d’isolement social et une perte de repères dans un monde qui peut sembler de plus en plus étranger à leurs valeurs et une société aux préoccupations qui concernent avant tout les villes.

La seconde forme d’explication est, elle, de nature conjoncturelle liée aux effets des difficultés économiques et sociales rencontrées par nombre d’agriculteurs et de résidents de zones rurales. Ces derniers peuvent ainsi ressentir un sentiment de mépris et d’abandon de la part de l’État en raison de la fermeture de services publics (écoles, bureaux de poste, établissements hospitaliers, etc.), de la baisse de ses aides financières, de la désertification médicale ou encore de la difficulté à avoir accès au haut débit. Comme l’affirme le politologue Pascal Perrineau dans une note publiée en 2012 par le Cevipof, « quand la France va mal, le Front national se porte en général plutôt bien ». Enfin, les critiques formulées par Marine Le Pen contre l’Europe peuvent également faire écho au mécontentement exprimé par un certain nombre d’agriculteurs vis-à-vis de Bruxelles.

Enfin, la multiplication des vols récemment dans les campagnes et le sentiment d’insécurité qu’il génère, ainsi que certaines décisions gouvernementales, qu’elles soient liées à l’agriculture (fiscalité, accent mis sur l’agroécologie, etc.), au monde rural ou non (légalisation du mariage homosexuel par exemple) ont sans aucun doute été des facteurs aggravants qui ont exaspéré certains agriculteurs et dû jouer un rôle important dans le soutien apporté par une partie d’entre eux au Front national. Le vote FN peut donc être considéré de ce point de vue comme un vote de mécontentement par rapport au gouvernement et aux partis traditionnels de la part d’une catégorie qui est majoritairement ancrée à droite.

Peu ou pas d’autres partis conservateurs et ruraux

Est-ce une tendance appelée à être durable ? Il est difficile de l’affirmer dans l’état actuel. On peut néanmoins remarquer l’existence d’un courant conservateur ou ultra-conservateur chez une partie des agriculteurs. En effet, si en 2012, Marine Le Pen a obtenu quelque 20 % des suffrages des agriculteurs, en 2007, Philippe De Villiers, Frédéric Nihous et Jean-Marie Le Pen obtenaient eux aussi à eux trois 20 % de leurs suffrages. D’ailleurs en 2005, 22 % des agriculteurs auraient opté en faveur d’un « non de droite », contre 30 % qui auraient choisi un « oui de droite ».

On peut donc estimer que le succès de Marine Le Pen dans le monde rural est aussi lié à deux évolutions récentes.

La première est le vide politique qui existe actuellement entre la droite traditionnelle incarnée par l’UMP et l’extrême-droite qu’a priori ni Nicolas Dupont-Aignan, ni Christine Boutin ne parviennent pour le moment à remplir. Le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, le mouvement Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) ou il y a plus longtemps le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) ont eu, à un moment donné, une popularité importante dans le milieu rural. Pour différentes raisons, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

La seconde est que rares sont les mouvements politiques aujourd’hui qui s’adressent en priorité au monde rural et à ses préoccupations au nom des valeurs conservatrices qui semblent être chères aux yeux d’un grand nombre d’agriculteurs. C’est ce que semble avoir bien compris Marine Le Pen qui a fait de cette population l’une de ses priorités en organisant de très nombreux déplacements (près d’une par mois en 2013) dans ce qu’elle appelle les régions des « oubliés » et qui tente de remplir, avec succès pour le moment, cette absence d’offre politique crédible aux yeux des agriculteurs.

 

En savoir plus : www.ifop.com/media/poll/2670-1-study_file.pdf (enquête « jour de vote » de l’Ifop réalisée le 25 mai 2014), https://www.eudonet.com/v7/datas/2256A28B91692791792393490690990A90E91028B91692791792393490690990A90E910/Annexes/LETTREOUVERTEEUROPEXB.PDF (appel de Xavier Beulin effectué le 14 mai 2014), www.ifop.com/media/pressdocument/283-1-document_file.pdf (enquête de l’Ifop réalisée en 2011), www.terre-net.fr/dossier_special/barometre-agricole/?idDoss=169&idrub=2566&id=79529 (sondage BVA d’avril 2012), www.senat.fr/rap/r03-040/r03-04023.html (données sur les taux d’urbanisation par département), www.cevipof.com/rtefiles/File/AtlasEl3/NotePURSEIGLEHERVIEU.pdf (note de Bertrand Hervieu et Francis Purseigle publiée en 2012 par le Cevipof), www.cevipof.com/rtefiles/File/AtlasEl3/NotePERRINEAU.pdf (note de Pascal Perrineau publiée en 2012 par le Cevipof).

 

Photo ci-dessous : affiches électorales des élections européennes devant un champ agricole.

1 Commentaire(s)

  1. On croirait que les agriculteurs sont une population différente des autres…. En 2014, ils vont sur internet, vont au cinéma, etc… mais on a coutume de croire qu’ils sont « en retard »
    Je me permet de vous signaler que l’Aveyron a verdi depuis 2009. Comment l’analysez-vous ?
    Qui osera dire à ces gens qui ont choisi de voter FN avec des raisons europhobes que c’est bien mal remercier la PAC? D’accord, elle apporte des contraintes. Mais sans PAC, on aurait pas un tissu rural encore maintenu. Les campagnes se seraient vider.
    Il faut les pousser ces analyses !

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