La production mondiale de céréales a progressé de 1 200 Mt depuis 20 ans et pourtant, les stocks sont faibles. La campagne céréalière 2022-2023 s’annonce d’ores et déjà tendue. Or d’ici 2030, la demande mondiale de blé croîtra d’au moins 80 MT. Il reste à savoir quels pays les produiront !
La planète ne manque ni d’hydrocarbures, ni d’engrais, ni de métaux et ni de bois. La conjonction de plusieurs facteurs géopolitiques et le déconfinement de l’économie mondiale expliquent la flambée des prix de ces commodités. Leurs évolutions à la baisse ou à la hausse sont à la merci des solutions, qui seront apportées ou pas, et des tensions géopolitiques.
La conjoncture des marchés céréaliers soulève des questions structurelles. Chaque année, la planète produit toujours plus de grains sans parvenir à nourrir correctement l’ensemble de la population, même dans les régions sans conflits militaires. Et pourtant chaque année, les campagnes de céréales s’achèvent avec des stocks mondiaux en baisse.
« En 20 ans, la production mondiale de céréales et l’oléo-protéagineux est passée de 1 600 millions de tonnes (Mt) à 2800 Mt, souligne Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS. Et comme elle est mal répartie entre le pays producteurs et les pays consommateurs, les échanges mondiaux ont été multipliés par deux (500 Mt). Pour le blé, 190 Mt ont été exportées et importées la campagne passée, soit 100 Mt de plus qu’il y a 20 ans ».
Le 27 janvier dernier, Sébastien Abis participait au « Paris grain day » organisé par Agritel.
Aussi, toute porte à croire que les années à venir seront aussi sous tension. « La demande mondiale de blé croîtra de 80 Mt d’ici 2030 or aucun pays ne semble à ce jour en mesure de les produire », ajoute l’expert
« Depuis quatre ans, les rendements stagnent dans les principaux pays producteurs de blé autour de 3,4 tonnes par hectare », explique Nathan Cordier, analyste céréalier à Agritel.
Selon lui, le bassin de la mer Noire ne sera plus le moteur de la production de blé. En Ukraine, toutes les terres disponibles sont cultivées et en Russie, l’expansion de la culture de céréales d’hiver en Sibérie est limitée.
Aux Etats-Unis, la production de blé décroche depuis quelques années. Moins de 50 millions d’acres sont emblavés. Les farmers préfèrent cultiver du maïs et du soja.
Dans ce contexte, l’ambition affichée par l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en renonçant de produire, dès 2030, plus de 20 Mt laisse inquiète. En effet, le volet agricole du Green deal vise à réduire la consommation d’intrant, à convertir jusqu’à 25 % de la SAU agricole en bio et à mettre en jachères les terres les moins productives.
Autrement dit, le Green deal menace la sécurité alimentaire de la planète. Et les 20 Mt de grains qui manqueraient, devraient alors être produites par le reste de la planète. Résultat, la production mondiale de blé hors UE devrait augmenter de près de 100 Mt.
L’idée n’est pas de remettre en question l’objectif de neutralité carbone à l’horizon de 2050 mais de trouver les voies pour y parvenir sans renoncer à produire plus de céréales et de denrées agricoles dans leur ensemble.
Qu’adviendrait-il de l’approvisionnement des pays structurellement importateurs de grains si l’ensemble des principaux pays exportateurs de grains suivaient la même voie que l’UE ? Autrement dit, s’ils optaient pour un Green deal en renonçant à produire des céréales pour atteindre la neutralité carbone dans leurs pays ?
Or l’Australie ou la Canada exportent plus des deux tiers de leur récolte de blé chaque année. Et la Russie, plus de la moitié !
Depuis quelques années, de nouveaux pays structurellement importateurs de blé sont apparus sur les marchés avec des besoins croissants.
Hormis la Chine déjà citée, mentionnons le Bengladesh, l’Iran, le Pakistan et la Turquie.
Ces pays importent à eux seuls 37 Mt de blé tendre. Cette année, la Turquie est devenue le 5ème pays importateur de blé tendre de la planète (7 Mt) auxquelles s’ajoutent quelques millions de tonnes de blé dur et d’orges. Le pays enchaine les crises. La forte sécheresse qui a sévi l’été dernier a accentué l’effondrement économique du pays. Aucun secteur économique n’est épargné. La chute de la livre turque renchérit considérablement les importations de céréales. Le pays privilégie l’origine « Mer Noire » pour réduire les coûts de fret.
La campagne de blé 2022-2023 donne d’ores et déjà le ton de ce à quoi il faut s’attendre. Comme les stocks de report à la fin du mois de juin prochain sont faibles (56 Mt – source Conseil international des céréales), la prochaine campagne céréalière débute sans marge de manœuvre.
Sur la base des surfaces emblavées, le CIC table sur une production mondiale de 792 Mt, en hausse de 11 Mt par rapport 2021-2022. Estimée en se référant aux rendements moyens obtenus les années précédentes, elle serait juste suffisante pour couvrir les besoins de la planète.
Mais si les agriculteurs des principaux pays exportateurs tentent de maîtriser l’inflation de leurs coûts de production en réduisant de 30 unités par hectare, les quantités d’engrais habituellement épandues, la récolte mondiale de blé serait alors réduite de 8 Mt à 10 Mt et les stocks de fin de campagne 2022-2023 avoisineraient alors 46-48 Mt. Le blé commercialisé pourrait aussi être de moins bonne qualité. Or la planète manque déjà de blé à hautes teneurs en protéines.
Or la demande mondiale de blé restera inchangée. 193 Mt de blé seraient exportées durant la prochaine campagne 2022-2023.
« La Russie continuera à taxer ses exportations de blé pour alimenter son budget, prévient Christina Serebryakova, courtier et chef de département à Astria Broker. Mais elle recalculera les modalités de calcul de ces taxes pour prendre en compte la hausse des coûts de production auxquels font face ses agriculteurs». Il ne faudrait pas que les prix des engrais les dissuadent de produire ou qu’ils soient tentés de stocker les céréales produites dans l’attente de « jours meilleurs ».
Ces premières prévisions sous-entendent évidemment que le conflit diplomatique entre la Russie et l’Ukraine n’entrave pas leurs exportations de céréales.
Concernant la production mondiale de maïs, une partie de la campagne 2021-2022 se joue dans les trois prochains mois. L’USDA table sur des productions record de 175 Mt mais la Nina surgit de nouveau en Amérique du sud.
Au Brésil, les trois quarts de la production de la céréale repose sur la Safrina, cultivée en seconde culture. Or si la récolte était inférieure à l’attendu en Amérique du sud et si le conflit russo-ukrainien se durcissait au point d’entraver le commerce maritime dans la Mer Noire, la combinaison de ces facteurs serait alors explosive.
Une partie de la récolte ukrainienne de maïs n’est pas encore vendue et les Etats-Unis sont dans l’incapacité de prendre le relais si le trafic maritime sur la Mer Noire est paralysé.
Photo; récolte de blé en Russie (@Salman)