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Les géants de l’agroalimentaire se mettent au vert

Coca Cola, Mars et Danone, trois géants mondiaux de l’agroalimentaire, ont été récemment à l’origine d’initiatives originales et intéressantes qui montrent que ces entreprises prennent de plus en plus conscience de leurs responsabilités sociales et environnementales, en particulier par rapport au monde agricole.

La commercialisation de lait aux Etats-Unis par le groupe Coca Cola en décembre dernier, le lancement en France le 1er janvier d’un nouveau cola à base de stevia, ou l’annonce début février de la création par les groupes Danone et Mars d’un fonds d’investissement pour aider des petits agriculteurs dans les pays du Sud, tout ceci tend à montrer que les géants mondiaux de l’agroalimentaire intègrent de plus en plus la variable environnementale dans leur stratégie.

Cela correspond en premier lieu aux attentes des consommateurs qui veulent des produits à la fois plus « naturels » et non nocifs pour leur santé. Mais cela correspond aussi pour ces entreprises à un objectif de sécurisation de leurs approvisionnements en matières premières en provenance de petits producteurs de pays du Sud dans un contexte de dégradation des écosystèmes de ces pays et de réchauffement climatique.

Un Coca Cola à base de plante

Depuis le 1er janvier 2015, Coca Cola, le géant mondial des sodas et la sixième entreprise mondiale du secteur agroalimentaire par son chiffre d’affaires, commercialise une nouvelle boisson en France, le Coca Cola Life. Celle-ci est vendue sur le continent européen, plus précisément au Royaume-Uni et en Suède, depuis le mois de septembre 2014, après avoir été testée auparavant en Argentine et au Chili. Les premiers chiffres tendent d’ailleurs à montrer que cette boisson rencontre un beau succès en Suède puisque les ventes de Coca Cola Life y sont deux fois plus importantes que celles de Coca Cola Zéro.

Le Coca Cola Life est, selon le groupe, le « premier cola à faible calorie contenant un édulcorant d’origine naturelle ». Il a la couleur du Coca Cola classique, mais son goût est différent et les bouteilles ont une étiquette verte, en lieu et place de la couleur rouge traditionnelle. Elle présente surtout la particularité d’être à la stevia, un édulcorant naturel, c’est-à-dire une substance qui adoucit le goût, à base de plante.

Cette nouvelle boisson semble avoir plusieurs objectifs pour le groupe. Elle vise tout d’abord à relancer la marque Coca Cola qui semble marquer quelque peu le pas par rapport aux 500 autres marques du groupe (Fanta, Sprite, Schweppes, Oasis, Nestea, Minute Maid, etc.) en diversifiant ainsi son offre de boissons à faibles calories. Celui-ci est présent dans ce segment du marché, mais les campagnes anti-aspartame qui ciblent le Coca Cola Light ou le Coca Cola Zéro ont contribué à alimenter la méfiance des consommateurs et ont donc favorisé un tassement des ventes de la marque.

L’aspartame est un édulcorant artificiel qui présente a priori l’avantage de combiner une saveur sucrée bien supérieure à celle du sucre naturel, mais sans apport de calories. Cependant, pour ses opposants, l’aspartame est considéré comme nocif à la santé humaine à long terme. Coca Cola s’en est défendu à travers une vaste campagne menée en 2013 qui visait à démontrer que les inquiétudes relatives à cet édulcorant n’étaient pas fondées, mais semble-t-il avec une efficacité insuffisante.

Avec le lancement du Coca Cola Life, le groupe cherche à l’évidence à reprendre la main en surfant sur la sensibilité de plus en plus grande des consommateurs vis-à-vis des thématiques environnementales, tout en tenant compte des critiques sur la teneur en sucre et en calories du Coca Cola classique. Ce nouveau Coca Cola ne contient, en effet, aucun édulcorant artificiel, mais de la stevia, qui est un édulcorant naturel plus de 200 fois plus sucré que le sucre naturel, mais sans aucune calorie. Il comprend également moins de sucre et de calories que la version classique du Coca Cola (30 % en moins dans les deux cas), même s’il est néanmoins plus sucré que le Coca Cola Zéro ou que le Coca Cola Light : 42 calories pour 100 ml pour le Coca classique, 27 calories pour le Coca Cola Life et moins de 1 calorie pour les Coca Cola Zéro et Light.

La stevia semble donc être le produit miracle aux yeux de l’industrie agroalimentaire car il est susceptible de répondre à un grand nombre d’exigences, pas toujours cohérentes du reste, du consommateur contemporain, c’est-à-dire pouvoir consommer un produit sucré, qui ne fait pas prendre de poids, qui n’est a priori pas dangereux pour la santé, tout en respectant l’environnement. La stevia a d’ailleurs été également intégrée dans d’autres marques du groupe Coca Cola, comme Sprite ou Nestea.

Coca Cola se lance aussi dans le lait

Au-delà des difficultés rencontrées par le Coca Cola contenant de l’aspartame, le groupe Coca Cola traverse en ce moment une période de turbulences. En janvier 2015, il a ainsi annoncé qu’il allait supprimer de 1 600 à 1 800 postes dans les prochains mois, soit tout de même 1 % de ses effectifs. Pour le groupe, il s’agit de la plus importante restructuration depuis le début des années 2000. Ceci est lié en grande partie à des ventes de sodas en perte de vitesse ces dernières années en Amérique du Nord (les ventes de sodas ont baissé de 3 % aux Etats-Unis en 2013) et en Europe, notamment parce qu’ils sont accusés d’être des facteurs de surpoids et d’obésité ou parce que les édulcorants de synthèse (tels que l’aspartame), comme on l’a vu, sont décriés.

L’objectif du groupe Coca Cola est, par conséquent, depuis quelques temps, de miser sur le développement d’autres types de boissons. Il a ainsi lancé récemment avec succès une nouvelle marque de jus de fruit, Simply, alors que d’autres marques de jus de fruit ou d’eau appartiennent déjà au groupe comme Minute Maid, Powerade ou Dasani. En 2014, il a aussi pris une participation dans le capital du fabriquant de machine à café Keurig, du fabriquant de capsules de café et de boissons chaudes Green Mountain Coffee Roasters et de la marque de boissons énergisantes Monster. Coca Cola distribue ainsi désormais les boissons Monster dans son propre réseau mondial. Enfin, depuis le mois de décembre dernier, le groupe Coca Cola commercialise tout simplement du lait aux Etats-Unis.

Mais on ne parle pas de n’importe quel type de lait puisqu’il s’agit d’un lait considéré par le groupe comme « premium », à la fois enrichi et light afin de répondre aux attentes des consommateurs américains qui veulent des produits de meilleure qualité et plus naturels. La nouvelle marque de lait appelée Fairlife présente, en effet, la particularité d’être sans lactose. Ce lait « haut de gamme » contient également 50 % de protéine et de calcium en plus que le lait classique, tout en étant allégé en gras et en sucre (de 30 %). Résultat, il est en moyenne deux fois plus cher que le lait traditionnel, d’où son côté « premium ».

Le groupe Coca Cola a établi en 2012 un partenariat avec une coopérative de producteurs laitiers, Select Milk Producers, qui s’approvisionne auprès d’une centaine de fermes familiales pratiquant une agriculture dite « durable ». Si l’on s’en tient à ce qu’affirme le site Fairlife, on peut voir que ces fermes privilégient trois aspects fondamentaux : (1) la traçabilité, les fermes produisent, par exemple, elles-mêmes l’alimentation de leurs bêtes ou traitent elles-mêmes le lait qu’elles produisent selon un procédé de filtration spécifique, (2) le bien-être des animaux, et (3) la durabilité, en produisant notamment des énergies renouvelables via la méthanisation.

Une ferme de 40 000 vaches laitières

Parmi les fermes fournissant du lait à Coca Cola, la plus connue aux Etats-Unis est une exploitation laitière géante appelée Fair Oaks Farms qui se situe dans l’Indiana. Elle comprend non pas 1 000, mais bel et bien 40 000 vaches qui produisent chacune en moyenne 8 500 litres par an, soit près de 2 000 litres de plus que la moyenne française. Potentiellement, elle est ainsi susceptible de fournir chaque jour un verre de lait à 3,5 millions d’Américains. Malgré son gigantisme, cette exploitation se présente tout de même comme respectueuse de l’environnement. L’énergie de l’exploitation est bien entendu fournie par la méthanisation.

Coca Cola affirme que cet investissement dans le lait s’inscrit dans la durée, même s’il semble être plutôt risqué sur le plan commercial étant donné que les ventes de lait pour la consommation ont baissé de 8 % aux Etats-Unis depuis dix ans et même de 30 % depuis les années 1970. La tendance est d’ailleurs la même en France. Selon Syndilait, l’organisation professionnelle qui regroupe les principaux producteurs de laits de consommation, les ventes de lait liquide ont ainsi baissé de 2,9 % en volume en 2014. En outre, aux Etats-Unis, les prévisions sont assez pessimistes concernant la consommation de lait dans les années à venir. Coca Cola compte néanmoins devenir la marque de lait la plus connue outre-Atlantique dans un marché dominé jusqu’à présent par les marques distributeurs. Pour le moment, il n’est pas prévu que le lait de la marque Fairlife soit commercialisé en France.

Il est à noter que le groupe américain est déjà présent dans le secteur des yaourts. L’une de ses marques, Chobani, a ainsi créé un yaourt grec qui est à la fois riche en protéines et moins sucré que les yaourts grecs classiques et qui se vend bien aux Etats-Unis.

Mars et Danone s’unissent pour venir en aide aux petits agriculteurs du Sud

Les groupes agroalimentaires américain Mars et français Danone ont annoncé début février la création conjointe d’un fonds d’investissement appelé Livelihoods pour l’agriculture familiale (Livelihoods 3F), qui prévoit d’investir 120 millions d’euros en l’espace de dix ans dans 200 000 exploitations agricoles familiales dans les pays en développement (Afrique, Amérique latine, Asie) dans le but de garantir la sécurité alimentaire en améliorant les rendements agricoles, d’accroître les revenus de ces exploitations, tout en restaurant l’environnement et les écosystèmes. Le communiqué officiel annonçant le lancement de ce projet précise ainsi que « Livelihoods 3F est basé sur la conviction que l’agriculture durable, le changement climatique et la pauvreté sont étroitement liés ». Au total, deux millions de personnes pourraient être concernées par ce projet.

Danone, qui en est à l’origine, a réussi à convaincre le groupe Mars d’y participer. Si le groupe Danone est la treizième entreprise mondiale par son chiffre d’affaires et la troisième entreprise européenne avec 106 000 employés, le groupe Mars, lui, est la douzième entreprise mondiale avec 78 000 employés et des marques très connues comme Mars bien sûr, mais aussi Milki Way, M&M’s, Snicker, Twix, Pedigree, Royal Canin, Whiskas, Sheba, Royco ou Uncle Ben’s.

Il ne s’agit pas d’un projet purement humanitaire car, ainsi que l’affirme le directeur du développement durable de Mars, Barry Parkin, dans Le Figaro daté du 4 février 2015 : « La raison d’être de ce fonds est d’abord liée à notre activité : pour faire grossir notre business, nous avons besoin de sécuriser notre approvisionnement en matières premières. Or comme toutes les entreprises agroalimentaires, notre activité est avant tout d’origine agricole. Nous dépendons d’une multitude de petits fermiers. A elle seule, l’entreprise Mars fait vivre un million d’entre eux dans sa chaîne d’approvisionnement, dont beaucoup se battent pour leur survie et celle de leur famille. Cela n’est pas acceptable. Vouloir les aider est à la fois bon pour eux et pour notre activité. »

Les deux entreprises souhaitent d’ailleurs investir en priorité dans certaines matières premières : le cacao, le sucre, la vanille, l’huile de palme et le lait. A l’évidence, Danone s’intéresse d’abord au lait et Mars au cacao. Cela paraît d’autant plus important que ces groupes jouent un rôle-clef pour ces petits producteurs du Sud. En témoigne, cette citation du même Barry Parkin cette fois dans le magazine Jeune Afrique : « Les terres que nous [Mars] exploitons représentent la surface de la Belgique, nous utilisons autant d’eau pour l’irrigation que n’en consomme la Libye et nos émissions de gaz à effet de serre sont aussi importantes que celles du Kenya. »

Comment cela devrait-il se passer concrètement ? Livelihoods Venture, l’entreprise qui gère le fonds d’investissement, devrait financer un certain nombre de projets d’agriculture durable, qui devront aussi être viables sur le plan économique, et fournir une aide technique, via des ONG locales intervenant directement sur le terrain auprès d’exploitations agricoles qui sont des fournisseurs de Danone et de Mars. Parallèlement une coalition d’entreprises privées, d’acteurs publics et d’organisations de la société civile achèteront les produits des récoltes, mais aussi les impacts des crédits carbones ou des économies d’eau générés par les projets.

Ces projets devront répondre à trois critères : (1) un critère économique consistant à accroître à la fois les rendements et les revenus des agriculteurs, (2) un critère social consistant à améliorer les conditions de vie des familles, et (3) un critère environnemental consistant à promouvoir des pratiques et des technologies agricoles durables. C’est ce que l’on appelle dans le jargon financier un « investissement à impact », qui présente à la fois un intérêt financier et un intérêt social.

Le premier projet devrait être ainsi lancé d’ici la fin de l’année 2015. Il pourrait concerner des producteurs de lait au Kenya, dans l’objectif d’améliorer le rendement qui est très faible dans ce pays. Il est actuellement de trois litres de lait par vache par jour.

D’autres investissements

Danone et Mars n’en sont pas à leur coup d’essai en la matière. Ainsi, Mars intervient depuis plus de vingt ans auprès de petits producteurs de cacao ivoiriens. Danone, de son côté, a créé en 2008 le Fonds Danone pour la nature avec la Convention de Ramsar et l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Ce fonds, doté d’un million d’euros, vise à lutter contre le réchauffement climatique et à préserver et à restaurer les zones humides et la biodiversité. La Convention de Ramsar est un traité sur la protection et la préservation des zones humides et la biodiversité dans le monde entier qui a été signé en 1971.

Le groupe agroalimentaire français a également été à l’origine en 2011 d’un fonds d’investissement, Livelihoods carbone, doté de 40 millions d’euros, qui vise, selon Bernard Giraud, son promoteur chez Danone et son président actuel, à « connecter les entreprises émettrices [de CO2] et les pays émetteurs à la paysannerie des pays émergents dépendante de ses écosystèmes pour subvenir à ses besoins ». Les entreprises qui émettent du dioxyde de carbone, peuvent, en effet, faire l’acquisition de « crédits carbone » en finançant des projets qui contribuent à réduire les émissions de CO2. Les fonds doivent donc financer des projets visant à réduire ces émissions. Livelihoods carbone a ainsi investi dans des projets relatifs à la restauration de mangroves, à l’énergie rurale et à la reforestation, notamment en Afrique subsaharienne. Au total, ce fonds a contribué à planter 130 millions d’arbres qui devraient capturer 8 millions de tonnes de CO2. Le projet commun de Danone et de Mars fonctionne d’ailleurs sur le même principe que ce fonds.

En savoir plus : www.coca-cola.fr/coca-cola-life/ (page du site de Coca Cola France consacrée au Coca Cola Life), www.lsa-conso.fr/coca-cola-life-cartonne-deja-en-suede,196825 (informations de LSA sur le succès du Coca Cola Life en Suède), http://fairlife.com/ (site de la marque de lait Fairlife du groupe Coca Cola), http://fairlife.com/our-farms/ (informations officielles sur les fermes qui produisent le lait Fairlife), http://fofarms.com/ (site de l’exploitation laitière géante Fair Oaks Farms), http://leblogdulait.fr/filiere-lait-logo-lait-collecte-et-conditionne-en-france/ (données de Syndilait sur la vente de lait de consommation en France), www.livelihoods.eu/fr/ (site officiel du fonds Livelihoods), http://mars.com/global/press-center/press-list/news-releases.aspx?SiteId=94&Id=6376 (communiqué officiel du lancement du Livelihoods 3F), www.lefigaro.fr/societes/2015/02/04/20005-20150204ARTFIG00412-danone-et-mars-s-allient-pour-creer-un-fonds-vert.php (source de la citation de B. Parkin dans Le Figaro du 4 février), http://economie.jeuneafrique.com/entreprises/entreprises/agro-industrie/24059-danone-et-mars-lancent-un-fonds-de-120-millions-deuros-pour-lagriculture-familiale-.html (source de la citation de B. Parkin dans Jeune Afrique du 5 février), www.latribune.fr/journal/edition-du-0507/banque-finance/707376/-danone-un-bon-samaritain-de-la-finance-verte.html (source de la citation de B. Giraud dans La Tribune du 13 juillet 2012).

Notre illustration est issue de la page Facebook de Fairlife, https://www.facebook.com/fairlifeLLC.

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