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L’agroforesterie se développe en Limousin

Des châtaigners en cultures diversifiées… Comme première approche. Un exemple d’agroforesterie, qui en l’occurrence se développe en Limousin.

Le 11 avril dernier, le Sénat a donné son feu vert à la création des Groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), mesure qui autorise les agriculteurs à consolider, améliorer, voire créer, collectivement, des systèmes de production performants sur les plans écologique et économique. En parallèle, le cadre législatif en place permet aujourd’hui le développement de l’agroforesterie ; tout est réuni pour lancer le projet « Agroforeveri ».

Sur 469 dossiers de GIEE déposés, 103 ont été retenus, dont le projet « Agroforeveri » en Pays de Saint-Yrieix-la-Perche. Situé au croisement de la Haute-Vienne, la Corrèze et la Dordogne,  le territoire est connu pour ses productions bovins-viande, ses vergers de pomme AOP « Golden du Limousin », et ses châtaignes. Le fruit, qui figure parmi les produits identitaires de la région (une feuille de châtaigner est représentée sur le logo de la région Limousin), voit sa production relancée, grâce aux efforts du Groupement  de vulgarisation agricole (GVA) de Saint-Yrieix-la-Perche, du Syndicat des producteurs de marrons, châtaignes et petits fruits du Limousin, de la coopérative Limdor et de la Chambre d’agriculture de la Haute-Vienne. La construction d’un atelier de conditionnement, alimenté chaque année par environ 200 tonnes de châtaignes, a boosté la filière, ce qui a encouragé la plantation : 150 hectares ont été plantés depuis 4 ans.

Pour Emmanuel Rabaud, initiateur du projet et président du Syndicat des producteurs de marrons, les efforts ne doivent pas s’arrêter là. « Nous cherchons à produire plus en volume, car nous importons 70 % des châtaignes consommées en France. Le problème de perte de tonnage à la récolte pourrait être résolu par une mécanisation du chantier de récolte, et il faut améliorer des méthodes de lutte contre le cynips, ravageur qui sera sur notre département d’ici un à deux ans. »

Des projets de diversification

En face, la Chambre d’agriculture de Haute-Vienne accompagne à l’installation en production de poulets Label Rouge, dont le cahier des charges impose au moins 2m² de parcours arboré par animal. « Quelques éleveurs, sur le territoire, ont testé l’agroforesterie avec un parcours de châtaigniers plus des volailles. Un agriculteur de Corrèze a modifié son parcellaire pour que ses bovins puissent pâturer au milieu des châtaigniers. Ces projets de diversification devaient être encouragés », explique Isabelle Masle, en charge du suivi du projet à la Chambre d’Agriculture.

C’est dans ce contexte qu’elle répond à l’appel à projet pour la création d’un GIEE afin de promouvoir l’agroforesterie autour du châtaignier. Le Limousin n’est pas une région connue pour ses systèmes agroforestiers ; les pionniers en la matière sont plutôt les Gersois, suivis par la région Poitou-Charentes, la Normandie. Les volumes les plus importants de bois, principal ressource obtenue des essences forestières utilisées, sont produits dans le Sud de la France.

Pour Emmanuel Rabaud, le projet d’agroforesterie en Pays Arédien est intéressant car il va permettre de formaliser les expériences chez les uns pour les mettre en place chez les autres. « L’association de productions revient à la mode. On se réapproprie des techniques culturales délaissées dans les années 1960. Dans un territoire dominé par la production bovine, nous avons besoin de diversification. Il faut donc identifier ce qui se fait et voir comment on peut le démultiplier sur les exploitations de la région. »

L’arrivée du cynips, hyménoptère parasite du châtaignier, n’encourage pas à la plantation de châtaigniers. Outre les dégâts qu’il peut engendrer (jusqu’à 80 % de pertes de récolte), ce ravageur fait toujours l’objet d’une règlementation stricte : « Saint-Yrieix La Perche fait partie des rares zones qui ne sont pas encore contaminées par le ravageur. Ainsi, jusqu’à l’automne dernier, ceux qui souhaitaient planter se rendaient en masse dans les pépinières installées dans une zone également indemne de cynips… ce qui limitait la disponibilité en certaines variétés, comme Bouche de Bétizac, pourtant toujours résistante au cynips à ce jour », explique Raphaël Rapp, rédacteur du bulletin de santé du végétal Châtaigne à la Chambre régionale d’agriculture du Limousin. Néanmoins, une première évolution règlementaire, à l’automne 2013, simplifie les échanges, sous certaines conditions. De plus, une évolution du statut règlementaire du ravageur est attendue pour l’automne 2014.

Dans ce contexte, la plantation est incitée en mettant en avant les avantages d’une association « châtaigniers + céréales » ou « châtaigniers + élevage ». La bibliographie a permis au comité de pilotage du projet « Agroforeveri » d’identifier plusieurs atouts potentiels, qui demandent à être précisés par rapport à l’espèce châtaignier en particulier. Au-delà de l’ombrage créé par les arbres, les volailles pourraient par exemple réduire la pression des ravageurs comme le carpocapse de la châtaigne.

Alain Canet, président de l’Association française d’agroforesterie (AFAF), aborde la question par un saut dans le passé. « Avant, les châtaigniers étaient agroforestiers par définition. L’agroforesterie est une technique ancestrale à adapter aux techniques modernes. Dans la nature, les sols sont couverts en permanence. La lignine, structure majeure des arbres, apporte un humus stable, pour maintenir la fertilité des sols et sortir d’une logique de fertilisation. Copier le modèle de la forêt conservera nos sols. »

Savoir respecter les bonnes proportions

Les multiples expériences connues à ce jour attestent que mettre des arbres dans des cultures ou au milieu des animaux d’élevage est très productif. En outre, l’association arbres-cultures participe à amortir les chocs climatiques : on évite les aléas des périodes très chaudes, très froides, très sèches ou très humides. Et la faisabilité économique des systèmes agroforestiers n’a plus à être prouvée, comme en témoignent les nombreux travaux de l’équipe de Christian Dupraz, de l’UMR System, à l’Inra de Montpellier.

Alain Canet insiste : « Il n’y a pas de raison que cela ne marche pas, sauf si on ne maîtrise pas les bases. Par exemple, si la proportion d’animaux par rapport au nombre d’arbres est trop importante, on peut aggraver l’état du sol et obtenir l’effet inverse de celui attendu. En agroforesterie, il faut un pilote dans l’avion ! » Pour Alain Canet, il faudra mener une réflexion poussée sur plusieurs points de l’itinéraire technique : comment tailler le châtaignier pour profiter au maximum de l’association avec des céréales ? Comment disposer les arbres pour éviter un piétinement du sol par les animaux ?

Lorsque nous rencontrons Christophe Baylet, éleveur à Saint-Hilaire-les-Places (Haute-Vienne), il est, avec son stagiaire, en pleine construction de poulaillers pour accueillir son élevage de volailles Label Rouge. En parallèle, il organise, avec l’appui de la Chambre d’agriculture, la plantation d’un parcours ombragé de châtaigniers. « Je suis curieux, j’aime me former à de nouvelles pratiques, et je souhaitais diversifier mes productions. Je voulais que les arbres ne soient pas là uniquement pour faire de l’ombre. Sachant qu’ils ne produisent qu’au bout de 8-10 ans, les poulets sont déjà une source de revenu en attendant les châtaignes. Je plante les arbres à l’hiver 2015-2016, car je pourrais à cette date bénéficier de subventions. Ils seront menés en bio, car je refuse de traiter des arbres sachant qu’il y aura des poulets en dessous ! » explique l’agriculteur.

Emmanuel Rabaud, lui, a pratiqué l’agroforesterie dans un contexte différent : en attendant que ses châtaigniers produisent des fruits, il a semé des céréales entre les rangées d’arbres. Lorsque les arbres ont commencé à produire, il a passé les châtaigniers en bio et supprimé les céréales. « J’ai implanté une prairie pour avoir un sol qui se tient, et une facilité à la récolte des châtaignes. » A la réflexion, il se dit qu’en conservant une bande cultivée en céréales mais réduite, il aurait peut être pu conserver le bénéfice de la double production arbre-céréales.

Le projet de GIEE est soutenu par un financement Casdar d’une durée de 3 ans. Pour 2014, il s’agit, pour les acteurs impliqués, d’identifier les exploitations qui font de l’agroforesterie sur le territoire. C’est le travail de Claire Mangin, technicienne vergers à la coopérative Limdor, qui cartographie les parcelles agroforestières. Ensuite, il faudra s’approprier le concept d’agroforesterie, notamment par des visites d’exploitations et un voyage d’étude dans le Gers. Comme le rappelle Isabelle Masle (conseillère développement & territoire à la Chambre d’agriculture de Haute-Vienne), « les agriculteurs considèrent l’arbre comme un obstacle, alors que certains font de l’agroforesterie sans le savoir. Il faut éclaircir cela ». Ensuite, le comité de pilotage devra étudier les différents types d’agroforesterie possibles sur le territoire, par rapport aux dimensions économique, écologique et sociale. Comme le rappelle Claire Mangin, « il faut transférer l’expérience de l’agroforesterie en parcours de volaille vers les systèmes bovins et pourquoi pas ovins. Il sera difficile de quantifier exactement les avantages que les animaux apportent, par exemple à la gestion de l’enherbement du verger, car chaque exploitation a sa manière de faire. Mais les expériences dans les fermes nous donneront une idée des erreurs à ne pas faire ». Fin 2016, des expérimentations devraient être mises en place, avec suivi par des indicateurs.

Projets

Aller encore plus loin dans la diversification est envisagé. Emmanuel Rabaud propose de remplacer le châtaignier par des variétés anciennes de pommiers, qui pourraient approvisionner l’usine de vinaigre, située dans le secteur, à Champsac.

Alain Canet, lui, propose de cultiver plusieurs essences d’arbres : « afin de diminuer la pression des ravageurs, sur 100 arbres plantés, on peut en planter 12 qui ne soient pas des châtaigniers ». L’idée pourrait faire partie des protocoles d’expérimentation dans le pays Arédien.

 

Nos photos sont fournies par Limdor et montrent un parcours de volailes sous châtaigners, puis des céréales sous châtaigners.

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