La coupe du monde de football donne l’occasion de s’intéresser aux liens qu’entretiennent le monde agricole et le football. Des liens nombreux, du rôle joué par le Crédit agricole aux valeurs incarnées par Aimé Jacquet et Guy Roux, sans oublier la publicité de Franck Leboeuf…
D’un point de vue historique, le monde agricole a semblé être plus attiré par des sports comme le cyclisme ou encore le rugby dans certaines régions que par le football. De grands champions cyclistes français étaient ainsi eux-mêmes fils d’agriculteurs (Bernard Hinault, Bernard Thèvenet), de métayers (Raymond Poulidor) ou se sont mêmes reconvertis dans l’agriculture après la fin de leur carrière (Bernard Hinault). Des champions étrangers tels que l’italien Fausto Coppi et, plus récemment, l’espagnol Miguel Indurain avaient également des origines paysannes. Par ailleurs, les valeurs des « forçats de la route » semblaient assez bien correspondre à celles d’une France rurale et paysanne.
Historiquement, le football, lui, est plutôt le symbole d’une France industrielle et ouvrière. Les clubs parmi les plus populaires appartiennent à la France des bassins miniers et industriels. C’est le cas bien entendu de l’AS Saint-Etienne ou du RC Lens. Le lien qui existe entre le club de Sochaux et les usines Peugeot est également bien connu puisque c’est Jean-Pierre Peugeot lui-même, alors patron des Automobiles Peugeot, qui a créé le club en 1928. Le club devient d’ailleurs le premier club professionnel de France et dominera le football français jusqu’à la guerre. Au début des années 1930, il propose aux autres grands clubs français de l’époque de créer une compétition, qui préfigure ce qui allait devenir le championnat de France et qui s’appelait alors… la Coupe Peugeot.
Des clubs mythiques du football français comme Sedan ou le Red Star dans la région parisienne sont également des symboles de cette France ouvrière. Le club de Sedan fut ainsi lié après la guerre aux Draperies sedanaises dont les joueurs étaient alors salariés, ceux-ci étant amateurs. Ainsi que l’indique le site officiel du club, dans les années 1950 « l’équipe reste celle des footballeurs-ouvriers, c’est seulement avant de partir travailler et après le travail que les joueurs s’entraînent ». D’ailleurs, lors de la saison 1955-1956, le club ne compte qu’un seul professionnel… à qui est confié une place de fraiseur à l’usine à l’instar de ses coéquipiers. Les gardiens de but avant la Seconde Guerre mondiale portaient d’ailleurs de façon typique une casquette d’ouvrier. Des sociologues ont parlé à ce propos d’un « football ouvrier ». Une « coupe du monde du football ouvrier » a même été organisée en 1934 pour concurrencer la coupe du monde qui se déroulait parallèlement dans l’Italie fasciste d’alors. La finale de cette coupe a eu lieu à Montrouge dans la banlieue parisienne.
Cette dimension ouvrière est enfin symbolisée par le premier grand champion français lauréat du ballon d’or en 1958, Raymond Kopa, né à Noeux-les-mines dans une région minière du Pas-de-Calais et fils de mineur.
Le football a bien entendu beaucoup changé. Il est aujourd’hui très éloigné de ses origines ouvrières. Le monde agricole, de son côté, semble désormais beaucoup s’intéresser au football ainsi que le montrent les différentes histoires récentes suivantes.
(1) La banque sponsor du football français et de l’équipe de France. Le Crédit agricole est l’un des partenaires majeurs du football français depuis 1974, que ce soit de la coupe de France (masculine, comme féminine d’ailleurs), des équipes de France (masculine, féminine, espoirs), mais aussi du football amateur. D’ailleurs la coupe Gambardella des équipes de jeunes (juniors de moins de 18 ans) s’appelle désormais la coupe Gambardella Crédit agricole. Selon le Crédit agricole, près de 2 millions de licenciés et près de 17 000 clubs de football amateur bénéficieraient ainsi d’un accompagnement du groupe bancaire. Le Crédit agricole a également fait partie en 1998 du Comité français d’organisation de la coupe du monde. Enfin, la banque a même lancé en 2007 la première carte bancaire de l’équipe de France de football…
(2) Les agriculteurs qui sponsorisent un club de football. En 2009, pour la première fois en France, des agriculteurs, bretons en l’occurrence, ont décidé de devenir le premier sponsor d’un club de football, le Stade plabennecois, qui était alors l’un des meilleurs clubs amateurs bretons. De façon concrète, ils ont créé une association, L’agriculture passionnément, à laquelle les agriculteurs peuvent adhérer. C’est elle qui sponsorise le club. Résultat, les joueurs de l’équipe A du club portent désormais sur leur maillot le slogan « L’agriculture passionnément ». L’objectif de ces agriculteurs est de promouvoir l’agriculture locale en s’appuyant sur un sport particulièrement populaire, notamment dans la région, et en étant partenaire d’un « club rural au cœur d’un territoire dont l’agriculture est le poumon économique », mais aussi d’un « club sérieux et stable dont nous partageons les valeurs : ruralité, dynamisme, ténacité… ». Ils entendent ainsi suivre quelque peu le modèle de ce qu’ont fait les artisans à l’instigation du Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat (FNCPA) par rapport aux équipes de France masculine et féminine de handball. Il est à noter que le club comprend aussi d’autres sponsors liés au monde agricole. Ils sont huit au total.
(3) Le footballeur vainqueur de la Coupe du monde 1998 qui fait de la publicité pour la viande de boeuf. Après la crise de la vache folle, il fallait restaurer la confiance du consommateur pour la viande bovine. Le CIV (centre d’information des viandes) fait alors appel à Franck Leboeuf, l’un des héros footballeurs vainqueurs de la coupe du monde 1998, pour jouer sur son nom, et donc faire un jeu de mot sur… le boeuf ! Le spot publicitaire (vidéo intégrée dans cet article, voir à la fin) est diffusé sur les écrans télé en 2002.
(4) Les agriculteurs supporters de football. A l’occasion de la dernière finale 100 % bretonne de la coupe de France opposant Guingamp à Rennes, l’association des Agriculteurs de Bretagne, qui représente 30 000 agriculteurs bretons, a publié un communiqué intitulé « Agriculteurs de Bretagne au stade de France ! » dans lequel ils indiquent que « Club des villes ou club des champs, l’agriculture « nourrit » le football breton et d’ailleurs. Nombre de joueurs, de dirigeants, de bénévoles, de supporters sont issus du milieu agricole ». Ils en ont donc profité pour organiser un point presse sur le parvis même du Stade de France le jour de la finale.
(5) Le lycée agricole qui avait une section football. Le lycée agricole Bel Air de Fontenay-le-Compte en Vendée a été le premier en France dès 1984 à créer une section football. Celle-ci fête d’ailleurs au mois de juin son 30e anniversaire. Près de 650 lycéens ont ainsi intégré cette section en trente ans pour y décrocher des diplômes reconnus par la Fédération française de football. Ils sont maintenant entraîneurs professionnels, éducateurs en club, arbitres, etc. Chaque année, un championnat national des sections football des lycées agricoles privés et publics du ministre de l’Agriculture est d’ailleurs organisé. Ils sont douze au total. L’équipe du lycée Bel Air a été ainsi sacrée championne de France junior en 2014.
(6) Le footballeur professionnel qui rêvait d’être agriculteur. Dans un entretien accordé à L’Equipe en janvier 2013, le joueur de football professionnel Fabien Lemoine, qui évolue actuellement en Ligue 1 à Saint-Etienne, confiait qu’il rêvait de devenir agriculteur : « Tout petit, je jouais avec un tracteur et je rêvais de devenir agriculteur. Normal, j’ai grandi à Saint-Etienne-en-Conglès, près de Fougères (Ille-et-Vilaine). Et le monde de la campagne, c’est l’agriculture ». C’est cependant une passion précoce qui a été tout de même très vite remplacée par une autre passion dévorante, celle qu’il avait pour le football. On lui reconnaît néanmoins un côté anti-bling bling et une discrétion médiatique qui serait liés à ses origines.
(7) Le footballeur professionnel qui est devenu agriculteur. Charles Orlanducci était le défenseur de la grande équipe de Bastia des années 1970, qui a accédé à la finale de la coupe de l’UEFA en 1978, ce qui était une première pour un club français. C’est le joueur qui disputé le plus grand nombre de rencontres avec le Sporting Club de Bastia, dont il a été le président de 2006 à 2010. Enfin, il a été sélectionné en équipe de France une seule fois. Il a arrêté le football professionnel en 1986 pour se consacrer à l’agriculture. Il cultive des pruneaux et des raisins de table. Dans un entretien accordé à L’Equipe en avril 2014, il considérait même que « Oui, le foot et l’agriculture, c’est pareil. Tu peux avoir une bonne année, puis une très mauvaise récolte. Le hasard est important. Il faut toujours se remettre en question. Il y a aussi beaucoup d’incertitudes. Il faut beaucoup travailler, toujours lutter pour gagner sa place, convaincre un dirigeant ou se battre contre les éléments ».
(8) Celui qui aurait aimé être footballeur ou bien agriculteur. C’est Stéphane Le Foll lui-même qui, dans un entretien accordé à L’Usine nouvelle en juillet 2012, à la question « l’autre métier que vous auriez aimé exercer ? » répondait : « footballeur… ou agriculteur »… Il a d’ailleurs joué au foot en division d’honneur.
(9) Les entraîneurs « mythiques » du football français et les valeurs de la France rurale. Même si le football a de fortes racines ouvrières en France et que ce sport est aujourd’hui fondé sur de toutes autres valeurs, on peut néanmoins remarquer que les deux anciens entraîneurs français les plus respectés sont fortement imprégnés des valeurs paysannes et rurales. Il s’agit bien entendu d’Aimé Jacquet, le sélectionneur de l’équipe de France championne du monde en 1998, et de Guy Roux, le mythique entraîneur d’Auxerre qui a fait de ce club l’un des meilleurs de France à l’époque.
Aimé Jacquet, fils du boucher de Sail-sous-Couzan, petite commune de la Loire, est présenté sur le site de la commune comme quelqu’un qui « a vécu au rythme de la nature et des valeurs ancestrales qu’elle a toujours véhiculé, la simplicité, la générosité et le respect des autres », mais aussi le travail et l’humilité. Guy Roux, cité par le site francebleu.fr, explique de son côté que son père lui « a transmis les valeurs qui ont toujours guidé ma vie, amour du travail, honnêteté, humilité ! ». Il raconte d’ailleurs à ce propos que « mon premier vrai ballon, je me le suis payé avec les sous de mes récoltes de marrons, de champignons et d’écrevisses que je revendais aux producteurs locaux ! ».
Il est tout de même intéressant de noter qu’Aimé Jacquet et Guy Roux ont souvent eu une image très contrastée, les médias mettant l’accent sur le côté rustique de l’un ou l’accent stéphanois de l’autre, tandis que leur simplicité et leur authenticité, mais aussi leur réussite sportive, ont contribué à forger leur grande popularité auprès de l’opinion. On peut supposer que le respect qu’ils inspirent est aussi lié en grande partie aux valeurs qu’ils incarnent, quelquefois même jusqu’à la caricature en ce qui concerne Guy Roux, valeurs qu’ils revendiquent tous les deux et qui sont aux antipodes de l’esprit de Knysna et de la grève des joueurs de l’équipe de France lors de la coupe du monde de 2010…
En savoir plus : www.fcsochaux.fr/fr/index.php/histoire/par-periodes (historique du club de football de Sochaux), www.allezsedan.com/module_Historique (historique du club de football de Sedan), www.onatousuncotefoot.fr (site du Crédit agricole consacré au football), http://agri.passionnement.free.fr/ (site de l’association L’agriculture passionnément), www.plab29.com/ (site du Stade plabennecois football), www.agriculteurs-de-bretagne.fr/mediastore/11/38328_1_FR_original.pdf (communiqué des Agriculteurs de Bretagne pour la finale de la coupe de France), www.lyceebelair.fr/index.php/sections-sportives-partie-formation-248/football-partie-formation-222 (section football du lycée Bel Air de Vendée), www.envertetcontretous.fr/mobile/article-lemoine-revait-de-devenir-agriculteur-6922-1.html (retranscription de l’entretien du footballeur Fabien Lemoine à L’Equipe), www.corsefootball.fr/accueil/journaux-magazines/2014-paroles-d-ex-charles-orlanducci/ (retranscription de l’entretien de l’ancien footballeur Charles Orlanducci à L’Equipe), www.usinenouvelle.com/article/j-aurais-aime-etre-footballeur-ou-agriculteur.N178615 (entretien de Stéphane Le Foll à L’Usine nouvelle), www.sail-sous-couzan.com/tourisme/aime-jacquet/ (partie du site de la commune de Sail-sous-couzan consacrée à Aimé Jacquet), www.francebleu.fr/infos/bonus-web-les-portraits-de-jean-paul-billo/guy-roux-et-l-art-de-jouer-sur-les-apparences (sources des citations de Guy Roux).
Ci-dessous, la vidéo de la publicité de Franck Leboeuf pour la viande bovine…
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