bio limousin

Rentabilité des cultures bio, analyses sur le terrain

Le bio aussi doit être rentable. Expérimentations de terrain, comparaisons, analyses des résultats obtenus, à travers un programme organisé dans le Limousin, en l’occurrence pour du maraichage.

Les ventes de légumes bio ont connu une progression fulgurante ces cinq dernières années. De nouveaux débouchés apparaissent, et des itinéraires plus performants sont proposés aux maraîchers.

30 % des fruits et légumes bio consommés en France sont importés. Pourtant, depuis 2012, la France est le troisième pays européen en surfaces maraîchères bio, derrière l’Italie et l’Allemagne. Ces cultures représentent 16 000 hectares (dont un tiers en Bretagne et Pays-de-la-Loire) soit 4 % de la SAU nationale dédiée aux légumes. Le nombre d’exploitations (6000 exploitations) a doublé entre 2007 et 2013, de même que le chiffre d’affaires de la filière. Le tiers des produits est commercialisé en vente directe, et le reste de la production est écoulé en magasins spécialisés. Des parts de marché pourraient être gagnées auprès de la restauration collective, qui ne représente que 4 % du chiffre d’affaires de la filière.

Pour répondre à cet enjeu, le Programme limousin des acteurs de l’agriculture biologique (PLAAB) organisait une première journée technique le 16 février au lycée des Vaseix (Limoges).

La restauration collective demandeuse de légumes bio

La restauration collective englobe la restauration scolaire, médicale, et d’entreprise. 60 % de ces structures effectuent elles-mêmes leurs commandes, les autres concèdent leurs approvisionnements à des sociétés. En 2014, près de 60 % des restaurants proposaient des produits bio, ce qui représente un chiffre d’affaires de 172 millions d’euros. Curieusement, les établissements qui consomment le plus de légumes bio sont les établissements qui dépensent moins de deux euros par couvert. La marge de progression est immense, car le bio ne représente que 2,4% des achats globaux des restaurants, et 14 % de leurs achats de légumes. Les carottes, les tomates, les poireaux et les pommes de terre arrivent en tête. Signe encourageant : d’après une enquête nationale de l’agence bio, 17 % des établissements interrogés qui n’achetaient pas de légumes bio prévoient de le faire en 2015.

En Limousin, la plateforme « Manger bio limousin » sert d’interface entre 60 fournisseurs (dont 19 maraîchers qui ont fourni 40 tonnes de légumes) et 100 restaurateurs. Son chiffre d’affaires atteint 500 000 euros, avec 87% d’approvisionnement locaux. En contrepartie, la plateforme capte une marge de 18% (plus les frais de livraison) sur les ventes. « Nous rencontrons des problèmes de disponibilité des produits limousins selon la saison. C’est difficile de trouver 600 kg de tomate en septembre pour la ville de Limoges… J’essaie d’orienter les commandes en fonction des stocks disponibles. Les collectivités ne planifient pas assez leur repas et on n’arrive pas à établir de calendrier de production. Et quand on y parvient, les maraîchers ne remplissent pas forcément leurs engagements… Les maraîchers doivent respecter des règles sanitaires, de traçabilité et d’étiquetage. Ils doivent fournir des produits propres et homogènes, quitte à réserver les produits moins formatés à la vente directe », explique Marie Cadet, chargée de développement de la plateforme.

Par ailleurs, l’Adapei 23 (association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales, de la Creuse en l’occurrence) souhaite ouvrir un atelier de transformation de légumes bio à Guéret. L’entreprise adaptée créée par cette association livrera principalement des restaurants collectifs en contractualisant avec les maraîchers. L’avantage : les produits sont directement incorporables par le cuisinier et la date limite de consommation atteint 28 jours sur certains légumes.

Une étude sur la rentabilité des légumes bio

En Limousin, on comptait 140 ateliers en 2013, installés sur 154 hectares. La majorité des installations sont hors cadre familial, s’effectuent sur un hectare avec des productions diversifiées. Plus de la moitié des exploitations ont moins de cinq ans, et seul un tiers des maraîchers considèrent leur revenu comme acceptable. Seuls 15% ont un chiffre d’affaires supérieur à 30 000 euros par UTH. Il faut dire que les conditions limousines ne sont pas optimales, avec un faible soleil hivernal et des sols acides…

Pour trouver des marges de manœuvre, le PLAAB a suivi en 2014 cinq maraîchers bio membres de Manger bio Limousin, souhaitant contractualiser avec la restauration collective, quatre de Haute-Vienne (Arnaud Dutheil à Verneuil-sur-Vienne, Olivier Breuil aux Cars, Simon Codet-Boisse à Oradour-sur-Glane, et Julien Roujotte aux Cars), et une de la Creuse (Céline Arthur à Bourganeuf). Le but était de tester de nouveaux modèles technico-commerciaux sur des parcelles de betteraves, carottes, céleris rave, courges, pommes de terre, choux conventionnels et mesclun. Au final, on peut comparer les charges opérationnelles, les temps des travaux et les rendements. « Chaque étape est essentielle mais les itinéraires n’ont pas été assez suivis. Par exemple, les courges ont été récoltées avant maturité, ce qui réduit leur conservation », déplore Christophe Deruelle, le conseiller de la Chambre d’agriculture de Haute-Vienne qui a mené l’étude.

Pour la majorité, les maraîchers sont installés sur d’anciennes prairies : « Il faudra travailler le sol pendant des années avant d’en faire de vrais sols maraîchers. Il ne faut donc pas faire l’impasse sur la fertilisation, ça ne coûte vraiment pas cher », insiste Christophe Deruelle. Les rotations céréales, prairies et cultures sont conseillées, de même que les déchaumages d’été et l’implantation d’engrais verts.

Le PLAAB conseille les variétés hybrides F1 pour obtenir plus d’homogénéité en calibre et régularité. Enfin, il faut réduire le temps consacré à la récolte et le conditionnement, qui atteint 40 à 75 % du temps consacré aux cultures. « Le développement de cultures de plein champs pour une vente hors circuits courts passe nécessairement par l’acquisition de machines de récoltes, de postes de lavage, de tri et conditionnement. De bonnes conditions de stockage limitent les pertes et garantissent une qualité et un allongement des périodes de vente », explique Christophe Deruelle.

Un exemple avec la parcelle de betteraves

Le PLAAB a suivi les betteraves rouges (350 mètres carrés) d’Arnaud Dutheil à Verneuil-sur-Vienne (Haute-Vienne). Sur un précédent de céréales, il avait  effectué des déchaumages au cultivateur et vibroculteur (d’août à septembre 2013). Il a semé à la volée du triticale et des pois, passés au gyrobroyeur le 15 mars 2014. Du 15 mars au 18 mai, le travail du sol et le faux semis a demandé trois passages de cultivateur, trois passages de vibroculteur, un passage de herse étrille, un buttage et un arrosage. Du 5 avril au 28 mai 2014, son itinéraire conseillait une fertilisation au buttage avec du compost de fumier mûr (25 t/ha) et un amendement organique granulé 7/6/7 (1,2 t /ha). Les plants ont été produits à la ferme, avec 4000 plants de mottes de 4 (variétés red river F1 et Bolivar). Les plantations manuelles ont été effectuées le 28 mai, le 4 et 7 juin avec une densité de 15 plants par mètre carré. « L’itinéraire recommandait une densité de 35 à 60 plants par mètres carré. Arnaud Dutheil a choisi de travailler sur buttes avec un entre rangs de 90 centimètres. Le problème, c’est que ses betteraves ont trop grossi et n’étaient plus adaptées au marché », regrette Christophe Deruelle.

Ensuite, les travaux ont consisté en binages mécaniques, en désherbage manuel et en surveillance phytosanitaire. Comme la parcelle a reçu 200 millimètres d’eau sur l’été, il n’a pas été nécessaire d’arroser. Après récolte, idéalement, les betteraves devaient être stockées en palox en grange pour une courte durée puis stockées en chambre froide. « Comme le stockage n’était pas adapté, Arnaud a été obligé de faire une vente précoce », explique Christophe.

Au final, le prix de vente était compris entre 1,4 et 1,6 € le kilo, tandis que les charges totales ont atteint 1,3 €. Les charges opérationnelles représentaient 0,25 €, les charges de structures 0,08 €, les amortissements 0,06 € et la main-d’œuvre 0,91 €.

Un outil pour déterminer le prix

A l’inverse, le céleri rave a été vendu à perte à cause d’un mauvais calibrage et d’un épisode de septoriose (6,8 € de charges pour un prix de vente à 2 €). Les courges ont été aussi bradées entre 1 et 1,4 € pour un coût de production de 4,67 €. A l’inverse, le mesclun et les pommes de terre se sont révélés rentables. Pour aider à déterminer un prix qui respecte le marché et ses coûts de production, le PLAAB diffuse les prix minimum, maximum et moyens pratiqués en Limousin.

Le suivi de ces exploitations durera jusqu’en 2017, ce qui enchante les producteurs : « Pour moi, cette étude a tout changé. C’était la première fois que je faisais du céleri, et compte tenu des résultats, je n’utiliserai plus de bâches », explique Julien Roujotte. « Compte tenu de nos faibles revenus, il est nécessaire de calculer chaque coût de production », confirme Arnaud Dutheil.

Cultibutte, paillage et semis sous couvert

Plusieurs itinéraires techniques ont été présentés pour gagner en productivité. A l’honneur : le cultibutte du CFPPA (centre de formation professionnelle pour adultes) des Vaseix. « Il a été inventé par la coopérative d’autoconstruction L’atelier paysan. Nos sols sont fragiles en Limousin, et ils perdent facilement leur qualité structurelle. Cet outil éviter les tassements. On a commencé à le tester au lycée. Pour le fabriquer, il faut compter 2000 euros de ferraille », rapporte Christophe Deruelle. Le cultibutte comporte des dents de cultivateur, des disques de buttage, des déflecteurs et une herse étrille. L’outil vise à façonner, entretenir les planches, déchaumer, sarcler et décompacter. Il canalise le passage des roues au même endroit, ce qui limite les perturbations sur la vie des sols. Le sol est meuble et de bonne structure sur l’ensemble de la butte ou de la planche. L’itinéraire proposé débute par un broyage de la matière organique au gyrobroyeur. Après un temps de décomposition, on passe le cultibutte puis le vibroplanche qui aplanit la surface, prépare le semi et pour réaliser des faux semis. Le cultibutte permet aussi de réaliser des économies de carburant et de temps : comme les planches sont bien délimitées, les passages sont facilités et les rotations sont plus faciles à planifier. Par ailleurs, la technique améliore le drainage. Seul défaut : cette technique offre une moindre maîtrise des adventices.

Parmi les autres itinéraires innovants abordés, les cultures sous couvert végétal de Laurent Welsch, maraîcher à Saint-Gaudens (Haute-Garonne) ont été détaillées. Après un semis d’engrais vert en novembre pour apporter de l’azote, l’engrais vert est couché et sectionné avec un rouleau au mois de mai. Ensuite, la surface est bâchée pendant un mois puis en juin, les graines sont semées sous couvert. « C’est de l’agroécologie de pointe ! Il n’y a aucun travail du sol et il arrive à faire lever des carottes », salue Christophe Deruelle.

Chez Anthony Schmidt, à Saint-Sulpice Laurière (Haute-Vienne), les buttes sont paillées dans ses tunnels. Pas de tassement du sol, récupération de la paille usagée, aucune énergie fossile, apport de matière organique, biodiversité… Le système serait parfait si le paillage était suffisant pour gérer les vivaces. La pression des ravageurs peut être importante, de même que les risques de sécheresse du sol. Avant de semer en plein champs, Anthony Schmidt utilise le rotavator superficiel pour détruire les adventices et les résidus de culture, puis la grélinette (outil d’ameublissement manuel sans retournement). Des outils économiques… mais physiques ! « Il y a beaucoup de manutention. Je ne dis pas que c’est impossible, mais je n’ai pas encore visité d’exploitations qui m’ont prouvé que c’était vraiment viable », nuance Christophe Deruelle.

Vidéo ci-dessous : expérience sur les couverts végétaux de Laurent Welsch.
MSV 2013 – Atelier couvert végétaux – Laurent… par maraichagesursolvivant

 

En savoir plus : http://manger-bio-limousin.com (distributeur régional de produits biologiques) ; http://interbio-limousin.com (association pour le développement du bio en Limousin) ; http://cdr.labioenlimousin.info (centre de ressources bio) ; http://www.latelierpaysan.org (coopérative d’autoconstruction) ; www.maraichagesolvivant.org (site du maraichage sol vivant, ou MSV).

Photos ci-dessous : Une présentation ; le cultibutte, star de la journée technique sur le maraîchage bio ; et Christophe Deruelle, organisateur de la journée technique.

Article Précédent
Article Suivant