L’industrie agroalimentaire française s’intéresse de plus en plus aux pays émergents. C’est en particulier le cas dans le secteur du lait comme l’actualité récente tend à le prouver.
Deux faits récents tendent à montrer qu’à l’instar des autres secteurs économiques, l’avenir du secteur agroalimentaire français passe en grande partie par les économies émergentes.
En janvier, le groupe Lactalis a annoncé qu’il allait prendre le contrôle pour un montant de quelque 200 millions d’euros de Tirumala Milk Products, le second groupe laitier du Sud de l’Inde qui emploie 5 000 personnes. Lactalis est le premier groupe laitier mondial devant Nestlé et le premier collecteur de lait européen avec 15 milliards de litres par an. Il dispose d’usines dans 37 pays et de filiales commerciales dans plus de 70 pays. Son chiffre d’affaires était de près de 16 milliards d’euros en 2012 et ses effectifs s’élèvaient à 55 000 collaborateurs dans le monde. Ses marques les plus connues sont Lactel, le camembert Président, Roquefort Société, La Laitière, Bridel, Salakis ou Galbani. En rachetant cette société indienne, Lactalis a ainsi réalisé sa première implantation en Asie, alors que le groupe réalise encore 60 % de son chiffre d’affaires en Europe et même 25 % en France. L’Inde connaît, en effet, une croissance très spectaculaire de sa consommation de lait (lait de vache et de bufflonne) avec des taux supérieurs à 10 % par an pour un marché global de l’ordre de 10 milliards de dollars. Le secteur laitier indien serait même le plus important au monde avec environ 20 % de la production mondiale de lait avec une collecte supérieure à 130 milliards de litres, soit trois fois plus que la collecte chinoise par exemple. L’achat de Tirumala Milk Products constitue par conséquent pour le groupe laitier français une porte d’entrée sur un marché particulièrement prometteur d’autant que celui-ci est très difficile d’accès. L’intérêt de l’agroalimentaire français pour cette zone est tangible puisque le principal concurrent de Lactalis, Danone, était lui aussi intéressé par le rachat de cette société. En 2013, Lactalis avait également fait sa première acquisition au Brésil, avec la société Balkis, ce qui démontre son intérêt de plus en plus vif pour les marchés émergents.
Autre fait récent significatif, Sodiaal a lancé en janvier la construction d’une usine de poudre de lait à Carhaix dans le Finistère à destination du marché chinois pour un montant de 100 millions d’euros sur la base d’un partenariat avec l’un des principaux groupes laitiers chinois, Synutra, qui avait été noué en 2012. Les Chinois ont investi à eux seuls 90 millions d’euros dans cette usine. Parallèlement, la marque Candia de Sodiaal est arrivée sur le marché chinois à l’été 2013. Sodiaal est la première coopérative laitière française dont les marques les plus connues sont Candia, Entremont, Régilait ou Yoplait. Il s’agit du troisième groupe laitier européen et du cinquième groupe mondial. La coopérative réalise une collecte de lait de près 5 milliards de litres par an. En 2013, les Chinois avaient également investi dans la coopérative Isigny Sainte-Mère dans le Calvados, qui est en train de construire une usine pour un montant de 60 millions d’euros pour livrer à la Chine à partir de 2015 quinze millions de boîtes de lait infantile en poudre.
Nul ne peut nier, en effet, le fait que l’on assiste à une montée en puissance particulièrement spectaculaire des économies émergentes depuis les années 1990 avec des taux de croissance impressionnant de ces économies. C’est tout particulièrement le cas pour l’Inde et surtout pour la Chine. En 1980, le PIB français était 2,3 fois plus élevé que le PIB chinois, tandis que la Chine était la huitième puissance économique mondiale derrière l’Italie, et même 3,6 fois plus élevé que le PIB indien. C’était une toute autre époque. Il n’y a pas si longtemps encore, en 1999, la Chine se situait au septième rang économique mondial, toujours derrière l’Italie et la France. Son PIB représentait à peu près trois-quarts du PIB français. Or, en 2013, le Fonds monétaire international entrevoit que le PIB de la Chine devrait être 3,3 fois plus important que celui de la France. L’année passée, le montant des exportations chinoises a d’ailleurs été à peu près équivalent au PIB de la France. Même si leur taux de croissance tend à se ralentir dans la période la plus récente, les économies émergentes sont tout de même sorties renforcées de la période de crise. Entre 2007 et 2013, le PIB des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) a ainsi doublé, celui de la Chine a même été multiplié par 2,6, tandis que celui de la zone euro ne faisait que stagner. La Chine est ainsi devenue la seconde économie mondiale en 2010 devant le Japon et pourrait dépasser les Etats-Unis dans les années 2020-2030. A l’horizon 2050, la plupart des études prévoient que la Chine devrait devenir la première puissance économique mondiale et que l’Inde devrait figurer parmi les trois principales puissances.
Ces deux économies recouvreraient ainsi la place éminente qu’elles occupaient dans l’économie mondiale avant la Révolution industrielle du début du XIXe siècle, qui avait donné un avantage durable aux économies occidentales. Même si cette montée en puissance peut générer des angoisses au sein des pays développés, il convient tout de même de noter que c’est un phénomène économique assez exceptionnel à l’échelle de l’histoire. Il a, en effet, fallu 154 ans à la Grande-Bretagne, le premier pays à être entré dans la Révolution industrielle, pour voir son PIB par habitant doubler. Il a fallu moins de 20 ans pour que ceux de la Chine (12 ans en fait) et de l’Inde (16 ans) ne doublent avec pourtant une population 100 fois supérieure à celle de la Grande-Bretagne de l’époque, et alors même qu’il y a quelques décennies, personne n’aurait pu imaginer un tel développement économique.
Les populations de ces pays, en s’enrichissant, sortent de façon massive de la pauvreté et aspirent à avoir un mode de vie à l’occidental, notamment en consommant énormément de produits issus de l’élevage, comme on a pu le voir dans un texte récent de la rubrique « Réflexions » à propos de la consommation de viande par la Chine. Par ailleurs, la contribution des économies émergentes à la croissance mondiale apparaît essentielle. Entre 1999 et 2013, le PIB mondial a plus que doublé. Or, les BRIC ont contribué à cette croissance à hauteur de 30,4 %, contre 19,4 % pour l’Union européenne ou 16,9 % pour les Etats-Unis. La Chine à elle seule a contribué à 18,8 % de cette croissance. La richesse du Brésil, de la Chine et de l’Inde est ainsi aujourd’hui équivalente à celle des vieilles puissances industrielles (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Royaume-Uni). C’est donc en large partie dans ces économies que résident les principaux gisements de croissance pour les économies européennes et notamment pour le secteur agroalimentaire.
Cela paraît d’autant plus le cas que le changement de régime alimentaire que vivent les populations de ces pays, compte tenu de la montée des classes moyennes en leur sein – ce que certains ont appelé la « transition alimentaire » – se heurte très souvent à une crise de confiance des consommateurs vis-à-vis de la production agroalimentaire locale suite à de très nombreux scandales alimentaire. C’est tout particulièrement le cas pour la Chine qui a été confrontées ces dernières années aux scandales de la grippe aviaire, du lait frelaté (contamination du lait par la mélamine en 2008 ayant provoqué le décès de plusieurs nourrissons, nouvelle affaire dévoilée en 2013 avec un mélange de lait en poudre importé avec du lait périmé) et à diverses autres affaires plus sordides les unes que les autres (porcs malades morts revendus comme de la viande fraîche, viande de rat, de renard ou de vison vendue comme viande de bœuf ou de mouton, choux enduit au formol pour le transport, huile fabriquée à partir d’huiles prélevées dans le caniveau à la sortie des restaurants, utilisation massive d’antibiotiques, d’hormones ou de produits chimiques, porcs contenant un anabolisant, sauce soja fabriquée à base de cheveux humains, etc.).
Enfin, dernièrement, il n’y a pas eu en Chine de scandale de la viande de cheval remplaçant de la viande de boeuf, mais de la viande d’âne remplacée par… du renard. Début janvier, le géant américain de la distribution Wal-Mart a ainsi rappelé de certains de ses magasins en Chine des lots de viande censés contenir de l’âne dans lesquels on pouvait trouver du renard. Tout ceci donne par conséquent une prime énorme aux yeux des consommateurs chinois aux produits agroalimentaires importés.
En savoir plus : www.lactalis.fr/index.html (site du groupe Lactalis), http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAEA0604N20140107 (dépêche de l’agence Reuters sur l’implantation de Lactalis en Inde), www.challenges.fr/entreprise/20140109.CHA9068/comment-le-francais-lactalis-s-impose-comme-le-n-1-mondial-des-produits-laitiers-devant-nestle-et-danone.html (article de Challenges sur le groupe Lactalis), www.sodiaal.fr/sodiaalfr/index.aspx?site=SODFR&lang=FR (site de Sodiaal), www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/industrie-laitiere-sodiaal-et-le-groupe-chinois-synutra-signent-un-partenariat-62100.html (article de La France agricole sur le partenariat entre Sodiaal et le groupe chinois), www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2013/02/weodata/index.aspx (données du FMI sur les économies émergentes), https://wikiagri.fr/articles/chine-du-culte-du-petit-livre-rouge-a-celui-de-la-viande-rouge/854 (article de la rubrique « Réflexions » de WikiAgri sur la consommation de viande en Chine), www.lemonde.fr/planete/article/2013/05/03/la-chine-fait-une-indigestion-de-scandales-alimentaires_3170614_3244.html (article du Monde sur la multiplication des scandales alimentaires en Chine), www.chine-informations.com/actualite/scandales-alimentaires-qui-ont-marque-la-chine_56725.html (autre article sur les scandales alimentaires en Chine).
Notre illustration est une photo prise en 2006 au Sial (Salon international de l’agroalimentaire) de Shanghai, avec mise en avant des produits français par la Sopexa, dont les fromages…