Cette fois, c’est officiel : après plus de trois ans de procédures, Pierre Grandchamp, maraicher à Annemasse, est parvenu à faire valoir ses droits : le PLU adopté par la ville qui prévoyait son expropriation a été dûment rejeté par la cour d’appel du tribunal administratif de Lyon.
Le premier article de WikiAgri qui vous a parlé de la situation ô combien préoccupante de Pierre Grandchamp date du 14 décembre 2012… Et déjà à cette époque l’affaire avait son historique… En deux mots, la mairie d’Annemasse avait décidé, à travers le PLU (plan local d’urbanisme, le document officiel et légal faisant état de l’occupation du territoire), que Pierre Grandchamp, maraicher à Annemasse, devait laisser ses terres occupées par des serres pour qu’un parc à promenades d’une part, et une mosquée d’autre part soient construits et aménagés en lieu et place. Le fait qu’une mosquée fasse partie du projet municipal compliquait la défense de Pierre Grandchamp, qui pouvait être taxé d’anti-communautarisme en voulant simplement défendre son exploitation. Evidemment, c’était calculé pour.
Ce mardi 14 octobre 2014, la nouvelle du verdict de la cour d’appel du tribunal administratif de Lyon est tombée : le PLU en question est officiellement rejeté, ainsi que les jugements précédents, en suivant l’avis d’un arrêt du conseil d’Etat reprenant l’article 121-1 du code de l’urbanisme. Ce dernier prévoit que tout projet territorial, comme ceux entérinés dans un PLU, doit tenir compte d’un équilibre entre les activités, notamment urbaines et agricoles. Voilà donc la raison officielle qui arrive, enfin, après trois années de démarches diverses et variées.
Car si ce jugement est intervenu en cour d’appel, cela signifie qu’il y en a eu un le précédent, au tribunal administratif de Grenoble, qui lui était favorable au projet municipal. En ayant à sa disposition, pourtant, les mêmes textes de loi… Mais Pierre Grandchamp n’a pas baissé les bras, il est allé jusqu’au bout…
Dès le commencement, le maraicher savait être dans son bon droit. Qu’il n’était pas possible de le faire fuir de chez lui par une unique décision municipale. Il s’est battu devant les tribunaux, il s’est battu en lançant des pétitions, papier et internet, avec une page Facebook, en répondant aux sollicitations de la presse. Dans notre premier article, le 14 décembre 2012, Pierre Grandchamp déclarait : « Je ne suis pas anti-communautariste. C’est d’ailleurs facile pour moi de le démontrer, mon épouse est marocaine, et mes deux enfants sont issus de ce mariage. Seulement à chaque fois que je veux faire valoir mon activité économique, on me jette à la figure l’argument de la mosquée. Moi, qu’une mosquée soit construite, je n’ai rien contre. Mais pas chez moi, pas sur mon exploitation, génératrice d’activité et d’emplois. » Et encore : « Personne, absolument personne de la mairie n’est venu me voir pour discuter de tout cela. La décision a été prise dans des bureaux, et après je suis censé accepter l’expropriation sans rien dire… Alors que d’autres solutions existent, il suffisait de venir voir sur le terrain.«
Le 13 octobre 2013, nouvel article de WikiAgri. Les tribunaux ont alors tranché en faveur des projets municipaux (avant l’appel donc), mais Pierre Grandchamp ne désarme pas. Il déclare alors sur WikiAgri : « Je n’ai pas l’intention de partir. Je sais être dans mon bon droit, alors je resterai, quoiqu’il advienne !«
Il est clair alors que la combativité de l’homme a été sous-estimée par l’équipe municipale, sans conteste coupable de ne pas s’être informé préalablement. D’ailleurs quand, enfin, le conseil municipal daigne se déplacer sur place pour se rendre compte (largement après, donc, avoir acté l’expropriation du maraicher), certains élus se perdent et ne trouvent pas les serres, pourtant bien visibles… Preuve qu’ils avaient statué sans aucune connaissance du terrain.
C’est à ce moment là que WikiAgri se rend sur place pour enquêter au plus près, et rencontrer plusieurs protagonistes. Nous constatons alors par nous-mêmes que tous les arguments plaident en faveur de Pierre Grandchamp.
Arguments humains, son exploitation familiale est bien tenue, l’homme est apprécié de ses voisins, de ses 15 salariés qui le remercient de les faire vivre. Ses clients voient dans ses légumes et fruits une qualité proche du bio. Arguments économiques, l’exploitation est viable en partie grâce à un marché constitué par le cas particulier de la zone franche frontalière avec la Suisse pour alimenter Genève (il peut exporter sans taxe vers Genève, à 10 kilomètres). Arguments sociaux, avec ses 15 salariés. Arguments communautaires : lorsque WikiAgri a rencontré la communauté musulmane, son porte-parole a clairement dit qu’il recherchait un emplacement pour une mosquée, mais pas forcément celui-ci. Et enfin arguments géographiques : la friche industrielle constituée par le site d’un ancien hôpital offre l’opportunité rêvée d’y installer mosquée et autres projets municipaux…
Plus récemment, le 19 mars 2014, WikiAgri publiait un nouvel article faisant état d’une étude sur le sous-sol de la parcelle censée accueillir la mosquée. Or cette étude montrait clairement que le terrain est une tourbière, comprenez un site environnemental considéré comme remarquable, sur lequel il est en principe interdit de construire, à moins de reconstituer ce site remarquable ailleurs. Aux arguments précédents, venait ainsi s’ajouter celui de l’environnement : il n’était pas possible de construire quoi que ce soit sur le site sans s’en prendre à l’écologie. En revanche, la poursuite d’une activité de culture maraichère ne pose aucun problème…
Dans son combat, Pierre Grandchamp a reçu des soutiens. WikiAgri a suivi de près l’évolution de son dossier. Mais c’est surtout une foule d’anonymes qui sont à l’origine, vraisemblablement, du dénouement heureux connu aujourd’hui : toutes celles et tous ceux qui ont partagé les articles le concernant (ceux de la presse locale également), qui ont donné du volume à l’information pour qu’elle transparaisse au-delà de toutes les volontés officielles. Ainsi, les très nombreux commentaires écrits sur la pétition en ligne de Pierre Grandchamp, plus ceux qui ont envahi sa page Facebook ont été lus, forcément, par les différentes autorités. Les renseignements généraux se sont déplacés sur la terre maraichère, histoire de tâter le terrain, de se rendre compte des conséquences éventuelles d’une expropriation « de force »… Celle-ci n’a finalement jamais eu lieu, et cela tient tant à la ténacité de l’homme Pierre grandchamp, qu’à la médiatisation et aux relais des réseaux sociaux de l’information. De même, probablement, que le revirement judiciaire entre les instances de Grenoble et de Lyon : il est devenu impossible, au fil du temps, de fermer les yeux sur les incohérences du dossier…
Tout juste au courant de la décision de la cour d’appel, Pierre Grandchamp déclare à WikiAgri : « C’est la preuve que, quand on est sûr d’avoir raison, il ne faut jamais lâcher prise. Mettre une exploitation en l’air, comme ça, sans raison, ça ne pouvait pas passer. » Ajoutant : « Désormais, qu’on me laisse travailler tranquille !«
La ville d’Annemasse va devoir adopter un nouveau plan local d’urbanisme… Celui-ci ne pourra en aucun cas reproduire les erreurs du passé, au regard de l’autorité de la chose jugée. L’exploitation maraichère de Pierre Grandchamp est sauvée, avec ses 15 emplois.
En savoir plus, dans l’ordre chronologique, les articles clés concernant « l’affaire du maraicher d’Annemasse » : https://wikiagri.fr/articles/une-petition-pour-aider-le-maraicher-qui-risque-lexpropriation/368 (14 décembre 2012, une pétition pour aider le maraicher d’Annemasse) ; https://wikiagri.fr/articles/lexpropriation-revoltante-du-maraicher-dannemasse/772 (13 décembre 2013, l’expropriation révoltante du maraicher d’Annemasse) ; https://wikiagri.fr/articles/maraicher-dannemasse-la-solution-existe/817 (12 novembre 2013, notre reportage sur place, maraicher d’Annemasse, la solution existe) ; https://wikiagri.fr/articles/maraicher-dannemasse-au-nom-du-respect-de-lenvironnement/1012 (19 mars 2014, maraicher d’Annemasse, au nom du respect de l’environnement).
L’ensemble de nos articles sur le sujet (ceux-ci et d’autres épisodes intermédiaires) se retrouvent sur le tag Pierre Grandchamp.
Par Antoine Jeandey
Journaliste professionnel depuis 1987. Rédacteur en chef de WikiAgri depuis sa création, en janvier 2012. Par ailleurs élu, adjoint au maire de Chaudon (commune rurale d'Eure-et-Loir, 1700 habitants). Co-auteur (avec Camille Beaurain) de "Tu m'as laissée en vie - Suicide paysan, veuve à 24 ans" paru au Cherche Midi éditeur. 