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« La grande distribution se sert du maillon agricole pour nourrir sa guerre des prix »

Pour évoquer les grandes difficultés de l’élevage français, WikiAgri donne la parole à Olivier Mével. Cet enseignant chercheur de l’Université de Bretagne Occidentale, docteur en sciences de gestion porte un regard aiguisé sur la situation actuelle du secteur. Il pointe du doigt la responsabilité de la grande distribution.

Qu’éprouvez-vous devant la situation de l’élevage en France ?

Olivier Mével : Une très grande tristesse. Malheureusement, il y a un moment déjà qu’on assassine la ferme France. Le principal responsable est connu. La grande distribution se sert du maillon agricole pour nourrir sa guerre des prix. Elle maintient des prix bas à l’achat pour pérenniser son modèle économique construit sur l’image-prix. Ce modèle est l’inverse du modèle des industriels fondé, lui, sur l’innovation. Mais dans les deux cas, c’est toujours l’amont qui trinque : les distributeurs lui répercutent leurs coûts sociaux, l’industrie ses coûts marketing qui sont liés à la segmentation toujours plus fine des linéaires.

Les annonces récentes des distributeurs Intermarché et Leclerc de soutenir l’élevage en achetant plus cher porcs et bovins vivants pour approvisionner leur propre filière d’abattage-découpe ne vont-elles pas dans le bon sens ?

Olivier Mével : C’est un trompe-l’œil. Il y a quarante ans que la grande distribution a accès à la production agricole dans les quantités qu’elle souhaite et les prix qui l’arrange, et ce ne serait ici que son premier pas ? Les filières industrielles d’Intermarché et Leclerc se sont dotées d’outils très modernes conçus pour acheter et vendre au moindre coût. Il y a là une forme de distorsion verticale de concurrence envers les producteurs, mais aussi les autres industriels voire les autres GMS. Leur position de transformateur et de distributeur devrait être interdite, comme l’a fait l’Angleterre. Les distributeurs ne partagent pas les marges qu’ils dégagent à l’achat.

Quelles réformes peuvent-elles être prises ?

Olivier Mével : Il faut repenser l’architecture des lois relatives à la grande distribution en abrogeant la loi Raffarin du 5 juillet 1996. Cette loi a permis la consolidation des groupes de distribution en leur donnant des rendements une fois et demi à deux fois supérieurs aux distributeurs étrangers (15 000 euros du mètre carré), sans freiner le développement des hypermarchés, passés de 2 100 à 2 800 entre 2000 et 2015 en France. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 n’a pas été plus pertinente, dans la mesure où elle portait en elle tous les germes d’une guerre de prix. On en voit actuellement les résultats.

« Les agriculteurs doivent reprendre en main leur communication pour expliquer qu’ils sont des producteurs de biens alimentaires et d’environnement. Seule cette prise de conscience peut maintenir sur les territoires de Bretagne une industrie agroalimentaire performante, grosse employeuse de main-d’œuvre et empêcher un effondrement à la façon de l’industrie textile française. »

Mais le maillon de la production ne doit-il pas aussi balayer devant sa porte ?

Olivier Mével : Il est certain que le monde de l’élevage doit également se réformer en montant en gamme, en cherchant des valorisations selon les usages et en dissociant cette offre du marché de masse qui devrait être fourni par un guichet unique. En porc par exemple, les éleveurs devraient être réunis au sein d’un même et seul groupement. Idem en lait. Or à quoi assiste-t-on aujourd’hui ? A la division des groupements, ce qui crée un problème informationnel. Les consommateurs manquent tout autant d’information sur l’origine des produits et la façon dont les animaux ont été élevés. Je plaide pour la mise en place d’un Observatoire des pratiques vertueuses du distributeur qui privilégierait les négociations sur la valeur d’un produit plus que sur son prix. Les associations de défense des consommateurs pourraient plus facilement guider le consommateur. Les agriculteurs doivent surtout reprendre en main leur communication pour expliquer qu’ils sont des producteurs de biens alimentaires et d’environnement. Seule cette prise de conscience peut maintenir sur les territoires de Bretagne une industrie agroalimentaire performante, grosse employeuse de main-d’œuvre et empêcher un effondrement à la façon de l’industrie textile française.

En savoir plus : @OlivierMEVEL (pour suivre Olivier Mével sur Twitter) ; https://magic.piktochart.com/output/6900786-150707-sauvezlelevage (sur le même sujet, l’infographie interactive réalisée par la Fnsea pour faire le point sur la situation de l’élevage en France).

Notre photo, l’interviewé, Olivier Mével.

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