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Et pourtant, on continue

Pierrick Berthou, éleveur laitier du Finistère, livre régulièrement aux lecteurs de WikiAgri le fruit de ses réflexions. Aujourd’hui, il conclut sa prose, reproduite intégralement ci-dessous, en suggérant que l’on remette l’humain au centre de la société. SI vous êtes d’accord, lisez la suite !

« Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain » Victor Hugo

– Il m’a dit que, si je continuais à boire 2 litres de vin par jour, je courrais droit vers la cirrhose du foie, que j’allais ruiner ma santé et mon portefeuille !
– Balivernes, tous des vendus ces toubibs. C’est bien connu, ils sont à la solde des labos pharmaceutiques, ils ont leur « pincée ». Moi j’appelle ça des collabos !
– Tu crois ? Et pourtant je sens bien que…
– Que nenni, des conneries te dis-je, ton voisin Pierre, il boit 3 litres par jour et Jean Bat au moins 4 litres et tu vois bien qu’ils pètent la forme, allons, allons, ne te laisse pas prendre au jeu de ton toubib, ce n’est juste qu’un bon à rien, je te mets combien de bouteilles ce mois-ci ? »

Tel est le dialogue entre un marchand de vin et un client. Bien évidemment le comportement du marchand de vin est irresponsable, mais il pense d’abord à son chiffre d’affaires plutôt qu’à la santé de son client.

Cette histoire, qui n’est que pure invention, quoique, ne vous rappelle t-elle pas quelque chose ? Imaginez que cette histoire soit une métaphore, si vous remplacez l’alcool par les impayés, les dettes aux fournisseurs, les emprunts bancaires….Toujours rien ? Et si vous remplacez le marchand de vin par votre technicien cultures de coop, ou technicien alimentation animale toujours de votre coop, si bienveillante envers vous, voire de votre banquier. Là, oui, là, maintenant je vois vos sourcils qui se lèvent et bien sûr il s’agit de votre situation, et celle de vos voisins, vos copains. Oui cette histoire est un transposé de l’état général de l’agriculture d’aujourd’hui.

Franchement, il n’y a pas une profession qui soit plus accompagnée que le métier de paysan. Autour du paysan nous trouvons une armée de conseillers en tout genre, le comptable, le contrôle laitier, les banques, les groupes d’échanges, les conseillers de chambres d’agriculture, les conseillers en gestion, les conseillers techniques des coopératives, les fiscalistes, etc. Tout cela pour faire en sorte que les paysans produisent toujours plus, ils sont tellement idiots ces ploucs qu’ils faut les guider et leur apprendre à gérer. Eh bien tout ça pour arriver à ce que le paysan n’arrive même plus à dégager un revenu pour lui, il crève de faim dans sa ferme après avoir produit des centaines de milliers de litres de lait, des centaines de kilos de viande, et parfois des légumes et des céréales – le résultat est lamentable – mais pas pour tout le monde. En effet, le paysan crève de faim dans sa ferme, on n’a jamais vu autant de paysans bénéficier du RSA (revenu de solidarité active), le paysan travaille de plus en plus et est de plus en plus pauvre. En revanche, tous ceux qui gravitent autour de lui se portent plutôt bien. Le comble de l’horreur est que, de crise agricole en crise agricole, tout ce système continue, on dégage du paysan, on agrandit les fermes de plus en plus, mais tous ceux qui sont en relation directe avec le paysan, eux, ils continuent à prendre leur « louchée » au passage…

Cette logique peut-elle durer ? Je ne le crois pas et pourtant lorsque nous assistons, nous les paysans, aux réunions ou lisons la presse agricole spécialisée, que n’entendons-nous pas et que ne lisons-nous pas ? Lorsque l’abattoir Doux était en faillite en 2012, nombre de responsables agricoles nous ont dit qu’il allait falloir se rapprocher du modèle des Allemands qui, eux, avaient des ateliers avicoles cinq fois plus grands. C’est pourtant cette spécialisation à outrance qui fait que les aviculteurs sont en difficulté et on leur demande de faire encore plus grand pour produire encore plus de volailles « bas de gamme » à moins cher. On connaît le résultat : sur ce genre de production, nous n’avons aucune chance, et pourtant on continue…

« Il faut laisser les jeunes investir, parce que, si demain un marché se présente à nous, il faudra l’honorer tout de suite ! » Ainsi parlait un responsable JA (Jeunes Agriculteurs) de Bretagne, en début 2016, la réponse qu’il reçut, fut : « Et si tu n’as pas de marché, tu fais quoi de tes investissements ? » Et dire que c’est ce genre de JA qui représentera l’agriculture demain et qui discutera avec nos politiques. Sincèrement, nous avons quelques soucis à nous faire…

Lu dans la presse : au Danemark c’est 20 000 euros de dettes par vache, au Pays-Bas c’est plutôt 14 à 15 000 euros par vache, en France c’est de l’ordre de 4 000 euros par vache. Moi, avec mon sens petit paysan Breton, je dis qu’il serait temps d’aider les Danois et les Hollandais à revenir au niveau raisonnable des Français. Eh bien, nos agro-économistes, eux, ils disent en voyant nos 4000 euros par vache que nous avons une grosse marge de capacité d’investissement, c’est tout simplement ahurissant ! Personnellement, je ne connais pas une vache qui puisse payer 20 000 euros de dettes et c’est sans parler des intérêts ! Et pourtant on continue, on va droit vers le modèle danois…

Jusqu’à l’aube des années 1990, les paysans gagnaient plutôt bien leur vie. Ils décidaient de l’orientation de leurs fermes en fonction de leurs terres, de la main-d’œuvre disponible, de leurs besoins, etc. Mais nos technocrates européens qui ne rêvent que de libéralisme, de mondialisation, de libre-échange, de dérégulation, ne trouvaient sans doute pas « amusant » ce système. Alors ils ont imaginé, sous prétexte d’être pressés par l’OMC (organisation mondiale du commerce), qu’il fallait faire bouger les choses. Ainsi, de leurs crânes d’œufs est sortie l’idée brillante des primes compensatoires, qui devaient justement compenser les baisses des prix agricoles payés aux paysans. Ces primes compensatoires sont devenues les fameuses primes Pac (politique agricole commune), puis les non moins célèbres DPU (droit à paiement unique) au fil des réformes de la politique agricole commune. Je dis brillantes car autrefois le paysan gérait sa ferme en fonction de ce qu’il aimait, de ses compétences, bref il choisissait. Avec les primes, c’est simple : si tu vas dans la direction voulue par les technocrates de Bruxelles tu auras des primes, par contre, si tu vas dans une autre direction, tu iras, mais cela se fera sans primes ! Eh bien ce qui devait arriver, arriva, les paysans se sont mis à devenir des chasseurs de primes, les surfaces en maïs et en céréales ont augmenté partout notamment en France, ce qui créa des surproductions, donc des chutes de prix, des crises agricoles et des faillites… Que du bon sens technocratique vous dis-je ! Et pourtant on continue…

M. Vincent Le Châtelier, économiste à l’Inra (institut national de recherche agronomique), déclarait tout récemment : « Ceux qui ne peuvent pas produire du lait à 340 euros la tonne, doivent se poser la question de leur avenir dans la production laitière. » Ce genre de propos sont de véritables provocations jetées à la face des paysans. D’ailleurs, c’est avec ce style de propos listés ci-dessus que l’on embarque le monde paysan dans une pensée unique et délirante. Avec pour objectif de toujours produire plus et à toujours moins cher. Tout cela au nom de la compétitivité. Les leviers pour faire réagir et agir les paysans sont la peur de disparaitre et l’orgueil. Et pourtant cette orientation du toujours produire plus, en industrialisant l’agriculture (il faut nourrir 10 milliards d’être humains en 2050), va nous conduire dans une impasse à moyen terme. En effet, nous trouverons toujours des gens plus compétitifs que nous. Mon ami Louis, me disait un jour « tu sais Pierrick, dans la vie on va toujours au bout de ses conneries et lorsque l’on est arrivé au bout, là on change, mais pas avant ! » Je crois que l’on va aller au bout de l’industrialisation de l’agriculture. Il faudra une crise financière, ou environnementale ou humaine ou les trois à la fois pour que cela cesse et ensuite nous changerons de cap. L’agriculture devrait employer beaucoup de main-d’œuvre, or on « dégage » tant que tant des paysans ! Les lois fiscales agricoles favorisent les investissements outranciers en agriculture qui vont asservir les paysans, alors qu’il faudrait favoriser les emplois, l’environnement et le sociétal.

La situation de l’agriculture est loin d’être un Eldorado. Les politiques en ne faisant pas les bons choix par démission ou par incompétence, les industriels par voracité et les syndicalistes qui exaltent leurs troupeaux, sont complices de ce désastre parce que comparses ; il y a trop de proximité entre eux, alors que les uns devraient servir de contre pouvoir, de garde fou, aux autres.

Notre économie est fondée sur la mise en place de monstres économiques autant par leurs dimensions que par leurs comportements, c’est justement cette taille qui fait leurs forces et leurs faiblesses. Tels les mastodontes préhistoriques qui étaient les maîtres incontestés des lieux. Il a suffi d’un petit changement de leur environnement pour les déstabiliser irrémédiablement, parce qu’ils étaient incapables de réagir, de s’adapter : ils disparurent ! Voilà ce qui se prépare dans un avenir pas si lointain que cela. En effet, nous sommes à l’aube d’une révolution planétaire qui nous affectera tous ; ceux qui sauront, qui pourront s’adapter, évoluer, vivront, les autres disparaîtront. Partout sur le globe, les prémices de cette révolution se mettent en place. Des petits paysans, des commerçants, des intellectuels, des économistes, des politiques, etc. réfléchissent, préparent ce changement inéluctable, avec des actions, parfois très modestes voir insignifiantes, parfois spectaculaires, mais partout sur le globe ça frémit et ce frémissement va s’accroître jusqu’à se transformer en une grande déferlante qui bouleversera l’ordre des choses établi.

L’agriculture industrielle, ou l’AEI (agriculture écologiquement intensive) qui n’est qu’un simulacre, une escroquerie intellectuelle va vite s’effondrer et entraînera dans son sillage tous ses partisans. L’économie mondiale, qui s’acharne à conserver les mêmes critères et les mêmes orientations, va elle aussi s’effondrer, il y a de plus en plus de gens qui restent sur le bord de la route. Il est urgent de préparer cette révolution en réfléchissant à de nouveaux codes de conduite, à des nouvelles règles et à définir des objectifs où l’humain sera au centre de la société.

Le pire est à craindre mais le meilleur est possible.

Pierrick Berthou
Producteur de lait à Quimperlé (Finistère)

 

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L’illustration ci-dessous est issue de Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/44468583.

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