Le marché des fermes en prestation de A à Z pour les travaux des cultures peut-il échapper aux ETA ? Ou bien ces dernières seront-elles condamnées à être mises en concurrence par la seule loi du prix, auprès de « chefs de cultures » hors sols aux feuilles de postes imaginées par les consultants de grands conglomérats parisiens ? Et de façon plus générale, sommes-nous prêts à diriger notre agriculture vers une sorte d’enfer techno-numérique connecté où l’humain se gère à grands coups de « KPI » (indicateurs de gestion) et de la tyrannie du nombre d’étoiles moyennes laissées par les clients ?
Ce questionnement est revenu à nous une nouvelle fois cet été avec l’annonce du lancement de « Sowfields », un nouveau service d’exploitation « clé en main » lancé par l’union de coopérative InVivo. Après plusieurs tentatives en ce sens initiées précédemment par d’autres acteurs, il s’agit une fois encore de « disrupter » le monde de l’ETA. C’est-à-dire de renverser la proposition de valeur en supprimant le rôle de l’ETA comme intermédiaire de la relation client (désintermédiation), et en le remplaçant par un nouveau système (réintermédiation). Ceci sur la base d’une digitalisation poussée, capable théoriquement d’une plus grande rationalisation des travaux sur le territoire, d’un accès facilité à la technologie et d’une mise en concurrence simplifiée des entreprises de travaux au bénéfice supposé de l’agriculteur.
Ce projet a déjà fait couler beaucoup d’encre. On s’est notamment ému du risque de disparition du métier même d’agriculteur lié à une « mise en régie » des fermes. La nature et la taille du protagoniste a été également sujet d’inquiétudes. InVivo dispose effectivement d’une force de frappe de premier plan avec ses 12,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires (2022/2023) et ses coopératives adhérentes sur l’ensemble du territoire national. De fait, le déploiement du dispositif concernerait neuf régions françaises d’ici à cinq ans.
La délégation des cultures de A à Z n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Derrière les risques pointés, la délégation peut, au contraire, contribuer à alléger les dossiers de reprise d’exploitation en élevage par exemple, de mieux négocier les successions, d’assurer une solution en cas de maladie longue durée ou d’autres accidents de la vie… Nous aurions donc tort de diaboliser cette pratique sans considérer également ses bénéfices en termes de maintien d’une agriculture familiale et d’élevage.
Dans cette affaire le principal risque pèse en réalité sur les ETA. D’un côté, elles pourraient y trouver des opportunités pour mieux amortir leurs outils, mais de l’autre, le risque est aussi celui de perdre en liberté et de ne plus pouvoir valoriser son savoir-faire de prescripteur. Tout dépendra de la stratégie d’InVivo en la matière, de sa capacité à recruter de bons chefs de culture, de la capacité des ETA à se différencier, et surtout du succès du service auprès des exploitants et propriétaires de fermes.