Nicolas Hulot a annoncé le 26 mars dernier « la réintroduction de deux ours femelles dans les Pyrénées-Atlantiques à l’automne » (selon ses propres termes). Dans le Béarn, la contestation se structure, avec de nombreux arguments à la clé. Le point avec Olivier Maurin, éleveur de brebis, et porte-parole d’une lutte qui commence seulement.
Berger béarnais qui s’assume, Olivier Maurin connait son sujet par coeur, car il est le premier à le vivre au quotidien. Ardent défenseur de la transhumance, qu’il pratique lui-même en emmenant ses brebis dans la vallée d’Aspe, il suit le dossier sur les prédateurs depuis de longues années, il a commencé quand il était JA. Aujourd’hui âgé de 38 ans, il précise : « Jusqu’à présent, les Pyrénées-Atlantiques ont été épargnées. A plusieurs reprises, des introductions d’ours ont été programmées, mais la contestation a su repousser l’échéance. Mais nous connaissons le résultat pour les territoires, combien ils sont dévastés après l’introduction de l’ours. Il suffit de voir l’Ariège…«
En Ariège, les chiffres parlent d’eux-mêmes : « 600 brebis y sont mortes officiellement, mais 800 ont disparu, soit 1400 têtes. L’été qui arrive s’annonce terrible en Ariège, et les éleveurs sont partagés entre révolte et fatalité. Je crains qu’il n’y ait des drames cet été… » Par « drames », Olivier Maurin ne parle pas de brebis en nombre, ni d’ours, mais bien des hommes, des bergers, de ces personnes qui font du pastoralisme un art de vivre à la française, typique du paysage montagnard. Des bergers qui n’en peuvent plus. Car les mesures d’accompagnement qui leur ont été allouées pour supporter l’arrivée des prédateurs n’ont pas été à la hauteur des préjudices. Ceux-ci ne sont pas seulement financiers lorsque des têtes viennent à manquer. Ils sont aussi moraux, physiques. Pour protéger un troupeau avec tout l’amour des bêtes qu’ont ces bergers, il faut passer des nuits blanches, tressaillir au moindre bruit, engager des patous (gros chiens) dont le comportement de fait agressif (ils sont là pour ça) peut aussi nuire au tourisme et donner des arguments contre leurs maitres, qui ne font pourtant que se défendre. Une situation qui devient invivable.
« Lorsque M. Hulot a annoncé qu’il souhaitait réintroduire deux femelles ours dans les Pyrénées-Atlantiques, reprend Olivier Maurin, il a précisé qu’il ne serait pas le ministre qui verrait l’extinction de l’ours des Pyrénées. Sauf que cette extinction, elle a eu lieu il y a très très longtemps. Les ours actuellement dans les Pyrénées viennent de Slovénie ou de je ne sais où. Et là on en rajoute… La date de l’automne et le choix des femelles, c’est d’ailleurs symptomatique : ce ne sont pas deux ours que l’on introduit dans le Béarn, mais cinq ou six : les femelles seront pleines !«
Le seul département des Pyrénées-Atlantiques représente à lui seul la moitié du cheptel transhumant des Pyrénées. Sur les 1500 exploitations ovins qu’il dénombre, 60 % sont composées de brebis qui sont élevées en adoptant la transhumance. « Nous sommes l’un des départements français qui installe le plus d’agriculteurs, ajoute encore notre interlocuteur. Avec plus de 100 installations par an. Il existe une réelle dynamique rurale et jeune autour des activités agricoles et de l’élevage dans le Béarn. Tout cela peut être remis en cause par la présence de l’ours.«
Il précise également que « la loi n’est pas respectée : d’après la directive habitat (Ndlr : européenne), les populations doivent être consultées avant quelque annonce que ce soit de réintroduction de prédateurs. Or, en l’occurrence, l’annonce est faite d’abord, annoncée comme inéluctable, et la consultation ensuite. En d’autres termes, la loi européenne sur le sujet, qui prévoit que la démocratie soit respectée, est ici contournée.«
Derrière, les enjeux sont monumentaux. Il ne s’agit pas seulement de protéger quelques brebis, mais tout un territoire exceptionnel pour sa nature, laquelle est entretenue en grande partie par les éleveurs. C’est ce que l’on appelle le pastoralisme, qui d’ailleurs attire la jeunesse, crée des vocations. Y compris chez les femmes. « Je n’ai pas de statistiques à ma disposition, ajoute Olivier Maurin, mais j’ai moi-même observé que le nombre de femmes, bergères ou salariées agricoles, a grandement monté ces dernières années… Alors, si déjà pour des hommes la présence de prédateurs, c’est très dur, qu’en penser pour des femmes ? Cette décision très parisienne ne tient pas absolument pas compte de la réalité des territoires…«
De fait, la contestation s’organise. Une première grande manifestation doit avoir lieu à Pau le 30 avril 2018. Les organisateurs sont multiples : la fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne des Pyrénées-Atlantiques, la Fdsea, les JA, l’ELB (c’est-à-dire la Confédération paysanne du pays Basque), l’AET3V (association des éleveurs transhumants des 3 vallées Aspe Ossau Barétous), l’ADDIP (association de développement durable de l’identité pyrénéenne)…
Elle sera suivie d’autant d’autres actions qu’il le faudra pour s’opposer à une décision qui, dans l’un des rares lieux de France où l’agriculture est dynamique grâce à une attractivité pour la jeunesse qui assure le renouvellement des générations, peut compromettre les équilibres locaux. Agricoles, d’élevages, mais aussi, tout simplement et plus généralement, ruraux.
En savoir plus : http://www.leparisien.fr/societe/nicolas-hulot-nous-allons-engager-la-reintroduction-de-deux-ourses-dans-les-pyrenees-26-03-2018-7630314.php (l’annonce de Nicolas Hulot) ; http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/04/15/le-meilleur-fromage-bearnais-du-monde-vient-d-arette,2323044.php (un article de la République des Pyrénées qui évoque la mise en place de la contestation) ; http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/04/16/ours-vers-une-marche-des-bergers-jusqu-a-l-elysee,2323449.php (une action envisagée par les bergers, une marche à l’automne jusqu’à l’Elysée).