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Véronique Lazérat, une femme rurale en or rouge

Pour célébrer la journée mondiale de la femme rurale (15 octobre), WikiAgri vous propose le portrait de Véronique Lazérat, plus grande productrice de safran de France, installée en Creuse. Les clés de son succès : l’optimisme, la curiosité, la générosité… Et une détermination à toute épreuve.

Dans le petit village creusois de la Fontanières, Véronique Lazérat dirige la safranière de la Font Saint Blaise, aujourd’hui la plus importante culture de safran en France métropolitaine. Mais cette réussite, car c’en est une, n’est certes pas venue toute seule. D’ailleurs, son caractère bien trempé ne date pas d’hier : « En classe de troisième, j’ai séché les cours pour passer le concours de l’école du paysage du Breuil. J’ai fini troisième alors que la sélection était rude. C’est dire si j’étais très motivée…« , raconte-t-elle.

Au départ, rien ne le destinait à venir s’échouer dans l’un des départements les moins peuplés de France. « J’ai grandi en immeuble dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Mais j’avais vraiment besoin de verdure. De plus, je viens d’une famille modeste et l’école du paysage du Breuil à Paris était gratuite… » Pendant quelques années, elle est gardien-jardinier de grandes maisons et d’ambassades puis cherche à fuir la région parisienne.

« Une fois à la retraite, mes parents ont acheté cette maison à Fontanières. Je m’y suis installée lors du congé maternité pour mon quatrième enfant, et j’ai acheté la maison voisine. Il n’y avait qu’un toit. J’ai fait les travaux moi-même quand j’attendais mon cinquième enfant. Mon mari n’a pas supporté la vie de campagne, et il est parti. J’avais 28 ans. Je me suis demandé comment vivre avec mes 5000 m2 de terrain granitique à 5000 m d’altitude. J’ai cherché une plante qui se cultive sur une faible surface à forte valeur ajoutée, et j’ai pensé au safran. Cette plante a besoin de froid en hiver et de chaleur l’été. Sur le papier, ça pouvait marcher.« 

Produire du safran en Creuse, un pari fou en 2005

En juillet 2005, elle plante 10 000 bulbes sur 1200 mètres carrés. Les lignes sont espacées de 12 à 20 cm et les plants sont enfoncés à 25 cm de profondeur pour résister au gel. Le pari est risqué, sachant qu’un bulbe vaut environ cinquante centimes d’euros. « Personne ne croyait à mon projet. A l’époque, il n’existait qu’une coopérative de safran dans le Quercy qui payait mal les producteurs. Les safraniers du Gatinais suivaient des méthodes intensives qui ne me convenaient pas. Moi, je ne pensais pas au rendement mais au développement de la plante, à son bien-être.« 

Après une bataille administrative acharnée, elle passe son brevet professionnel responsable d’exploitation agricole en candidat libre et obtient aux forceps la première DJA (dotation aux jeunes agriculteurs) creusoise en diversification. « A l’époque, les candidats ne s’installaient qu’en bovins. En 2007, j’ai obtenu le prix des jeunes agriculteurs pour l’installation en diversification.« 

Médiatisation pour la plus grande safranière de France

La première fleur éclot un 23 septembre et la récolte est un succès : « Je m’attendais à récolter 30 grammes de safran, mais j’en ai eu 120 grammes. Cela nous a permis d’investir dans de nouvelles parcelles. En parallèle, j’organisais des visites de la safranière. Un journaliste de La Montagne a écrit un article, et en quelques jours, j’ai reçu France Bleue, France Inter, France 3, la chaine de télévision Demain et l’émission Silence ça pousse. Depuis, je suis passée dans plus de 40 émissions de télé, autant de radio et plus de 200 articles de presse.« 

L’exploitation safranière atteint aujourd’hui 2,5 hectares, et est considérée comme la plus grande safranière de France. Véronique Lazérat produit trois kilos de safran avec 450 000 fleurs, ce qui représente le quart de la production française. En 2012, elle a encore planté 150 000 bulbes sur 7000 mètres carrés.

En termes de commercialisation, le safran est vendu à parts égales aux particuliers, aux chefs cuisiniers et à des artisans transformateurs. Les « chutes » aromatisent des confitures (réalisées avec les fruits de l’exploitation et primées en 2011 au concours des maîtres confituriers), du nougat, des boissons, du foie gras, des parfums (dont Georgio Armani)… Ces produits sont vendus à la ferme mais surtout sur le site internet (lien en fin d’article) qui affiche un chiffre d’affaires de 436 600 euros.

« En France, on a le meilleur safran du monde »

Depuis son installation, Véronique Lazérat a formé 400 porteurs de projets du monde entier. « On les accueille deux jours pour la plantation et deux jours pour la récolte. L’exploitation a été reconnue centre de formation continue en février 2013. Du coup, pour fournir les stagiaires en bulbes, on a ouvert une pépinière. Elle produit chaque année 400 000 pieds, en plus des bulbes qu’on arrache tous les quatre ou cinq ans.« 

Aujourd’hui, Véronique Lazérat est consultante internationale : « En France, on a le meilleur safran du monde. J’ai formé des équipes à Tanger et j’irai l’an prochain au Canada. En France, on sèche le safran au four pour qu’il perde 80 % de son poids, et non sur des toits comme cela se fait traditionnellement. Du coup, il conserve mieux son goût. Le terrain conditionne le rendement et la floraison, mais le séchage et l’émondage font la qualité du safran.« 

Les visites à la ferme remportent toujours un franc succès : « On a accueilli des touristes californiens qui ont visité la Tour Eiffel et notre safranière ! Demain, nous recevrons des visiteurs d’Afrique du Sud. » Enfin, pour partager encore son expérience, Véronique Lazérat a publié un livre sur le safran en 2009 (« Secrets de safranière », éditions Lucien Souny), écrit en quelques semaines et épuisé en trois mois.

Safran rime avec travail de titan

Il faut 150 pistils pour un gramme de safran épice, sachant qu’une fleur en compte trois en général. Rien n’est mécanisable. Un safranier aguerri ramasse 2500 fleurs en une heure, qu’il épluchera en deux heures au ciseau à ongle. L’été, le désherbage se fait à la binette et au couteau. Autant dire que durant les trois mois de récolte, les journées sont longues et ne se ressemblent pas. Les fleurs s’ouvrent aux premières lueurs du jour, mais on ne peut pas les cueillir humides. Dès qu’elles sont sèches, il faut les récolter et les émonder (enlever les pistils de la fleur) dans les 24 heures : « Cette semaine, on a récolté 3000 fleurs jeudi, 11 000 vendredi et 29 000 dimanche. Ce matin, on s’est couché à deux heures. » La chef d’entreprise emploie trois salariés et quelques saisonniers. Mais à 30 000 euros le kilo, l’or rouge vaut bien l’huile de coude !

L’expérience de la Font Saint Blaise ne s’arrête pas là. En 2009, Véronique Lazérat a mobilisé les plus grands chefs de France pour planter du thé blanc de Géorgie. « Au Cachemire, le thé est planté près des safranières alors j’ai essayé sur mon terrain. Chaque plant porte le nom d’un chef. Ensuite, j’ai appris qu’il en était de même pour les pistachiers en Iran, alors j’ai planté aussi quelques pieds. »

Le développement local comme cheval de bataille

Vice-présidente du club d’entreprenariat au féminin « Femmes de Creuse », elle est aussi présidente d’un groupement d’intérêt économique : il réunit soixante producteurs et artisans du Limousin dans une boutique collective près de Guéret.

« Au début, je suis passée pour une blonde, une bête curieuse, une parisienne qui passe à la télé… Quand ça a marché, certains ont été jaloux mais beaucoup ont reconnu mon travail. Aujourd’hui, quand je fais mes courses, les papis me demandent des conseils de jardinage. Le tout, c’est de garder les pieds sur terre. Je sais parfaitement d’où je viens. Se battre, ça maintient en vie !« , conclut-elle dans un grand sourire.

En savoir plus : http://www.safrandefrance.fr (site de l’exploitation de Véronique Lazérat) ; https://fr-fr.facebook.com/pages/Safran-de-la-Font-Saint-Blaise-en-Limousin/257751787630439 (page Facebook de l’exploitation).

Journée de la femme rurale, nos portraits des années précédentes : https://wikiagri.fr/tags/journee_mondiale_de_la_femme_rurale

Ci-dessous, notre reportage photos montre les différentes étapes de la culture du safran, jusqu’à la séparation des trois pistils…

 

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