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Municipales 2014, le grand malaise des campagnes

La campagne pour les élections municipales des 23 et 30 mars a permis de révéler au grand jour le grand malaise des campagnes et des élus ruraux qui se sentent de plus en plus délaissés dans une France dominée semble-t-il par les préoccupations urbaines.

Même si tous les regards médiatiques sont tournés vers le sort de quelques grandes villes-clefs et les enseignements nationaux des scrutins locaux, la campagne des municipales a aussi révélé l’existence d’un vif malaise au sein du monde rural et des petites communes.

A la recherche des candidats perdus

Premier symptôme de ce malaise, les zones rurales semblent avoir eu pas mal de difficultés pour trouver des candidats afin de constituer des listes pour ces élections. Au-delà d’une défiance croissante et généralisée vis-à-vis des élus et du personnel politique, cela s’explique vraisemblablement par l’application de trois nouvelles dispositions lors des municipales de 2014.

La première est l’obligation pour les candidats des petites communes de déclarer leur candidature, c’est-à-dire de déposer celle-ci en préfecture, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. La deuxième est l’attribution par l’Etat d’une « nuance politique » à tous les candidats et à toutes les listes de candidats, y compris celles sans étiquette, qui a été étendue aux communes de 1 000 habitants. Cela a été vivement critiqué par l’Association des maires de France (AMF) dans un communiqué publié le 26 février dernier. Enfin, la troisième, la plus connue, est l’obligation d’avoir des listes paritaires hommes-femmes désormais dans les communes de plus de 1 000 habitants, et non plus à partir de 3 500 habitants comme c’était le cas auparavant. Or, on le sait, les petites communes ont eu semble-t-il les plus grandes difficultés à avoir un nombre suffisant de candidates pour obtenir une parité dans les listes. L’association des maires ruraux de France (AMRF) a estimé à propos de ces nouvelles dispositions dans un communiqué publié le 13 mars que « l’accumulation des difficultés rencontrées par les candidats aux élections municipales témoigne d’un acharnement à rendre la démocratie de plus en plus complexe pour les citoyens désireux de s’engager et pour les électeurs ».

Le cas le plus extrême a été bien entendu celui de ces 64 communes dans lesquelles il n’y a eu aucun candidat (une seule ayant plus de 1 000 habitants). Jamais un tel niveau n’avait été enregistré jusqu’à présent puisque lors des dernières élections municipales, en 2008, aucune commune n’était dans ce cas de figure. Ce chiffre aurait pu être d’ailleurs bien plus élevé, certains parlant à un moment donné de plusieurs dizaines de communes concernées, si le ministère de l’Intérieur et les préfets n’avaient pas incité au dernier moment de nombreux maires sortants à se représenter. Les communes dans lesquelles aucun candidat ne s’est présenté peuvent éventuellement en dernière instance être dissoutes et fusionnées avec d’autres communes.

Un malaise profond pour la ruralité

Est-ce un épiphénomène ou bien le symptôme d’une plus grande difficulté aujourd’hui d’être maire d’une petite commune ? En fait, il semble bien que la baisse des vocations de maires dans les petites communes soit le symptôme d’un malaise profond. On observe, en effet, dans de nombreuses petites communes des maires qui effectuent un seul mandat et qui refusent de se représenter en exprimant un certain désarroi. Selon Vanik Berberian, le président de l’AMRF, interrogé par Le Parisien, « beaucoup ont décidé d’arrêter après un seul mandat. Quand ils ont compris dans quoi ils s’étaient engagés, ils n’ont plus envie de remettre le couvert ». Ainsi, Etienne Thellier, maire sortant de Planques, commune de 106 habitants du Nord-Pas-de-Calais, où aucun candidat ne s’est présenté, cité dans La Voix du Nord, estime qu’« au-dessus de nous, à la préfecture, on nous fait sentir que nous ne pesons rien », alors que « nous avons des moyens dérisoires et des responsabilités de plus en plus lourdes ».

Les maires en général ont de moins en moins de pouvoirs et de moyens financiers qui se concentrent désormais dans les intercommunalités. Or, ce facteur est aggravé pour les maires ruraux dont le poids est généralement très faible au sein de ces intercommunalités. Plus concrètement, l’activité de maire d’une commune rurale demande beaucoup de temps compte tenu notamment de l’alourdissement des contraintes administratives, alors que les maires de ces communes ont souvent une autre activité professionnelle. La responsabilité du maire peut être également engagée sur le plan judiciaire. Ce fut le cas ces dernières années avec des mises en examen de maires suite à des défaillances d’équipements communaux ou alors à des accidents se produisant lors d’activités sportives ou scolaires. Parallèlement, la reconnaissance paraît moins importante qu’elle ne l’était auparavant, les administrés étant désormais souvent dans une logique consumériste, notamment dans le sillage de la périurbanisation. Le maire de Beaumont-sur-Oise, une ville de 10 000 habitants, interrogé sur France info expliquait ainsi récemment que « les gens qui arrivent maintenant dans nos villes, on leur doit tout. Actuellement, c’est ‘monsieur le maire, j’ai payé mes impôts, vous me devez’ ». Enfin, il est certain que la périurbanisation a modifié la composition démographique de nombreuses petites communes en amenant dans des zones autrefois rurales des populations citadines ayant d’autres types de préoccupations et d’attentes.

La France des cantons en voie de disparition

Ce grand ressentiment des petites communes et de la France rurale s’inscrit dans un contexte plus large qui est celui d’un sentiment d’abandon de la part d’un gouvernement, d’élites politiques et d’un Etat qui seraient principalement préoccupés par la France urbaine. Il s’est concentré depuis quelques mois sur la question ô combien sensible du redécoupage des cantons.

Jusqu’à présent, l’élection des 3 971 conseillers généraux s’effectuait sur la base d’une circonscription électorale qui était le canton, territoire dont la délimitation datait le plus souvent de 1801. Or, cette élection a fait l’objet d’une importante réforme en mai 2013, qui devrait s’appliquer lors du scrutin de mars 2015. Les élections cantonales deviennent les élections départementales, les conseillers généraux des conseillers départementaux et le Conseil général, Conseil départemental. La grande nouveauté est que, dans chaque canton, ce sera un binôme composé d’une femme et d’un homme qui devrait être élu. Les cantons feront donc l’objet d’un redécoupage puisque le nombre d’élus restera à peu près le même (4 136), mais à partir du moment où un binôme est élu dans chaque département, cela signifie que le nombre de cantons doit être réduit de moitié : de 3 971 à 2 068. La loi indique également que le redécoupage doit s’effectuer sur les bases suivantes : le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques, il doit être continu et toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans le même canton.

Cette réforme suscite de très nombreuses critiques tant sur la méthode employée que sur le redécoupage à proprement parler, notamment de la part des élus ruraux et des représentants du monde rural. Ils estiment qu’au bout du compte la représentativité des territoires ruraux et, plus largement, du monde rural devrait en être affectée. Le Groupe monde rural, par exemple, qui regroupe des organisations professionnelles, des réseaux associatifs et des associations d’élus locaux, a publié un communiqué le 29 avril 2013 dans lequel il souhaite que « le découpage du canton se fasse de manière équilibrée, en tenant compte des territoires, et non seulement de la démographie ! » d’autant que « les territoires ruraux sont les témoins des identités et de la démocratie de proximité qui font référence au « vivre ensemble » ». Cette critique a été notamment portée par le député de la Côte d’Or François Sauvadet qui estime dans Atlantico que « la réforme des élections cantonales signe la mort de la représentation des territoires ruraux » car, selon lui, les élus risquent de venir principalement des zones urbaines et les politiques des conseils départementaux devraient en conséquence privilégier ces zones au détriment des espaces ruraux au risque d’aggraver « le sentiment d’abandon des zones rurales et de la « France périphérique » ».

Dans de nombreux départements ruraux, les élus se sont donc opposés aux projets de redécoupage proposés par le ministère de l’Intérieur. Selon un article d’Acteurs publics, un conseil général sur deux serait ainsi opposé à la réforme de la carte cantonale. C’est le cas, par exemple, dans les Alpes de Haute-Provence, où les conseillers généraux ont même parlé de réforme « ruralicide », ou encore en Savoie ou dans la Somme.

En savoir plus : www.amf.asso.fr/document/index.asp?DOC_N_ID=12519&TYPE_ACTU=1 (communiqué de l’Association des maires de France du 26 février), www.amrf.fr/Presse/Communiqu%C3%A9s/tabid/1225/ID/866/La-democratie-nest-pas-un-luxe-y-compris-a-la-campagne.aspx (communiqué de l’association des maires ruraux de France du 13 mars), www.leparisien.fr/municipales-2014/municipales-ces-villes-sans-candidat-06-03-2014-3648229.php (entretien de Vanik Berberian dans l’édition du Parisien du 6 mars), www.lavoixdunord.fr/region/municipales-2014-boudees-ou-imprenables-ces-communes-ia0b0n1972744 (citation du maire sortant d’une commune où aucun candidat ne s’est présenté dans un article de La Voix du Nord du 9 mars), www.franceinfo.fr/politique/petites-villes-cherchent-candidats-pour-les-municipales-1318565-2014-02-14 (citation d’un maire sur France info le 17 février), www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027414225&dateTexte=&categorieLien=id (loi réformant l’élection des conseillers généraux), www.amrf.fr/Presse/Communiqu%C3%A9s/tabid/1225/ID/643/Quelle-place-demain-pour-le-monde-rural-.aspx (communiqué du Groupe monde rural du 29 avril 2013), www.atlantico.fr/decryptage/comment-reforme-elections-cantonales-signe-mort-representation-territoires-ruraux-francois-sauvadet-708902.html#OlTHggP2uyJQ9y9A.99 (article de François Sauvadet dans Atlantico paru le 26 avril 2013), http://provence-alpes.france3.fr/2014/01/24/digne-les-conseillers-generaux-contre-la-reforme-des-cantons-402171.html (article de France 3 Provence-Alpes où les élus parlent de réforme « ruralicide » à propos du redécoupage des cantons).

Ci-dessous, photo d’archives de maires du canton de Houdan.

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